26/04/2025 ssofidelis.substack.com  7min #276139

Le mythe de la conquête

Par  Ramzy Baroud, le 25 avril 2025

Conquérir un territoire, c'est avant tout soumettre sa population. Il faut bien distinguer cette notion de celle d'"occupation", un terme juridique spécifique qui régit les relations entre une "puissance occupante" étrangère et la nation occupée en vertu du droit international, en particulier la quatrième Convention de Genève.

Lorsque les forces israéliennes ont finalement été contraintes de se retirer de la bande de Gaza en 2005, conséquence directe de la résistance obstinée de la population palestinienne, les Nations unies ont fermement insisté sur le fait que la bande de Gaza  restait un territoire occupé au regard du droit international.

Cette position était en contradiction flagrante avec celle d'Israël, qui a commodément élaboré ses propres textes juridiques désignant Gaza comme une " entité hostile" et non comme un territoire occupé.

Evitons de nous laisser tromper par cette logique apparemment confuse :

Israël s'est révélé incapable de maintenir sa domination militaire sur Gaza,  débutée en juin 1967. La raison principale de son retrait a été la résistance palestinienne, qui a mis à mal ses tentatives de normalisation et surtout de rentabilisation de l'occupation, contrairement à ce qu'il a fait à l'est de Jérusalem et en Cisjordanie.

Entre 1967 et le début des années 1970, lorsque Israël a commencé à  investir dans la construction de colonies illégales dans la bande de Gaza, l'armée israélienne, sous le commandement d'Ariel Sharon, a mené une répression implacable contre les Palestiniens. Il a recouru à une violence extrême, à la destruction massive et aux tactiques de nettoyage ethnique pour soumettre la bande de Gaza.

Pourtant, à aucun moment il n'a atteint son objectif ultime et global, à savoir la soumission totale.

Il a ensuite investi dans son plan tristement célèbre, mais infructueux, des " cinq doigts". À l'époque, Sharon, alors chef du commandement sud de l'armée israélienne, qui incluait Gaza, croyait dur comme fer que la seule manière de vaincre les Gazaouis était de rompre l'unité de la bande de Gaza, et donc de faire obstacle à toute résistance organisée.

Pour atteindre cet objectif, il a cherché à diviser Gaza en zones dites "de sécurité", où seraient implantées la plupart des colonies juives israéliennes, sécurisées par un dispositif militaire massif. À cela se serait ajouté le contrôle militaire israélien des routes clés et le blocage de la plupart des accès côtiers.

Cependant, ce plan ne s'est jamais pleinement concrétisé, car la création de ces "doigts" exigeait que les Palestiniens des deux côtés des "zones de sécurité" soient quelque peu pacifiés, une condition jamais remplie dans la réalité sur le terrain.

C'est finalement la construction de zones de colonies isolées qui a été mise en œuvre : la plus grande se trouvait au sud-ouest de la bande de Gaza, près de la frontière avec l'Égypte, connue sous le nom de Gush Katif, suivie par les colonies du nord et enfin par la colonie centrale de Netzarim.

Abritant quelques milliers de colons et nécessitant souvent la présence d'un nombre bien plus important de soldats chargés de les protéger, ces soi-disant colonies étaient essentiellement des villes militaires fortifiées. En raison de la  géographie limitée de Gaza (365 kilomètres carrés) et de la forte résistance, les colonies disposaient d'un espace d'expansion restreint, demeurant ainsi une entreprise coloniale coûteuse.

Lorsque l'armée israélienne est  venue vider la dernière colonie illégale de Gaza en 2005, les soldats se sont enfuis de la bande de Gaza au milieu de la nuit. Ils étaient poursuivis par des milliers de Gazaouis qui les ont chassés jusqu'à ce que le dernier d'entre eux ait quitté les lieux.

Cet épisode singulier et marquant suffit à lui seul à affirmer avec une certitude inébranlable que Gaza n'a jamais été véritablement conquise par Israël.

Bien qu'Israël ait levé sa présence militaire permanente dans les principaux centres urbains de la bande de Gaza, il a continué à opérer dans des zones dites "tampons", souvent constituées de profondes incursions en territoire palestinien, bien au-delà de la ligne d'armistice. Il a également imposé un blocus total sur Gaza, ce qui explique pourquoi la majorité des Gazaouis n'ont jamais mis les pieds hors de l'enclave.

Le  contrôle exercé par Israël sur l'espace aérien, les eaux territoriales, les ressources naturelles (principalement les gisements de gaz en Méditerranée) et bien d'autres choses encore a rapidement amené l'ONU à conclure que Gaza demeure un territoire occupé.

Sans surprise, Israël s'est opposé avec véhémence à cette réalité. Le véritable désir de Tel-Aviv est le contrôle absolu de Gaza, associé à la désignation opportuniste et intéressée du territoire comme étant perpétuellement hostile. Cette logique perverse fournirait à l'armée israélienne un prétexte exploitable à l'infini pour déclencher des guerres dévastatrices contre la bande de Gaza déjà assiégée et appauvrie, chaque fois qu'elle le jugerait opportun.

Cette pratique brutale et cynique porte le nom effrayant de " tondre le gazon" dans le jargon militaire israélien, un euphémisme déshumanisant qui désigne la dégradation systématique et délibérée des capacités militaires de la Résistance palestinienne afin d'empêcher Gaza de pouvoir un jour défier efficacement ses geôliers israéliens ou s'échapper de sa prison à ciel ouvert.

Le 7 octobre 2023  a mis fin à ce mythe, lorsque l'opération Al-Aqsa Flood a remis en cause la doctrine militaire israélienne de longue date. La région dite "de l'enveloppe de Gaza", où était basé le commandement sud de feu Sharon, a été entièrement prise par les jeunes de Gaza, qui se sont organisés dans des conditions économiques et militaires extrêmement difficiles pour, contre toute attente, vaincre Israël.

Tout en reconnaissant la désignation de Gaza comme territoire occupé par l'ONU, les Palestiniens parlent et commémorent, à juste titre, sa "libération" en 2005. Leur logique est claire : le redéploiement de l'armée israélienne dans la région frontalière a été la conséquence directe de leur résistance.

Les tentatives actuelles d'Israël pour vaincre les Palestiniens à Gaza échouent pour une raison historique fondamentale. Lorsque les forces israéliennes se sont retirées furtivement de la bande de Gaza il y a deux décennies, à la faveur de la nuit, les combattants de la résistance palestinienne ne disposaient que d'un armement rudimentaire, plus proche des jeux pyrotechniques que du matériel militaire efficace. Le paysage de la résistance a fondamentalement évolué depuis cette époque.

Cette réalité de longue date a été bouleversée ces derniers mois. Toutes les estimations israéliennes  suggèrent que des dizaines de milliers de soldats ont été tués, blessés ou psychologiquement  affectés depuis le début de la guerre à Gaza. Puisqu'Israël n'a pas réussi à soumettre les Gazaouis au cours de deux décennies d'attaques incessantes, il est non seulement improbable, mais carrément absurde d'espérer qu'il parvienne aujourd'hui à soumettre et à conquérir Gaza.

Israël est lui-même parfaitement conscient de ce paradoxe inhérent, d'où son choix brutal et précipité : perpétrer un  génocide, un acte horrible destiné à ouvrir la voie au nettoyage ethnique des survivants. Le premier a été exécuté avec une efficacité dévastatrice, une tache sur la conscience d'un monde resté pour l'essentiel silencieux. Le second, cependant, n'est qu'un fantasme irréalisable, fondé sur l'idée délirante que les Gazaouis choisiraient volontairement d'abandonner leur terre ancestrale.

Gaza n'a jamais été conquise et ne le sera jamais. En vertu des principes immuables du droit international, elle reste un territoire occupé, même si l'armée israélienne finit par se retirer à la frontière, un retrait que la guerre destructrice et vaine menée par Netanyahu ne pourra repousser indéfiniment. Lorsque ce redéploiement inévitable aura lieu, les relations entre Gaza et Israël seront irrévocablement transformées, témoignant ainsi de la résilience et de l'esprit indomptable du peuple palestinien.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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