06/05/2025 reseauinternational.net  5min #277042

Le nouvel ordre tripolaire : ce ne sera pas un «Yalta 2.0», mais plutôt un «Congrès de Vienne 2.0»

Alfredo Jalife-Rahme souligne que la transition entre la structuration du monde unipolaire et sa version multipolaire passe par une phase tripolaire. Cette période ne doit pas être comparée avec celle du partage de Yalta, mais avec la pause du Congrès de Vienne. Les BRICS vont désormais jouer un rôle central.

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par Alfredo Jalife-Rahme

Nous vivons l'intermède entre l'ancien ordre unipolaire qui n'en finit pas de disparaître, parallèlement à la naissance d'un nouvel ordre tripolaire, dans un contexte multipolaire, qui n'est pas encore consolidé, ce qui explique la dynamique chaotique de la transition en cours.

L'entropie de l'unipolarité a donné son premier avertissement accéléré avec la faillite de Long Term Capital Management en 1998, qui a ensuite tenté de se recapitaliser grâce à la bulle  dot.com au début du deuxième millénaire.

La fin de la mondialisation financière était déjà inscrite sur le mur du réel, comme je l'avais prévu dans mon livre de 2007 « Hacia la desglobalización» (Vers la démondialisation), et elle a atteint son paroxysme avec la faillite de Lehman Brothers en 2008.

L'intermède d'une décennie de crise de la mondialisation financière de 1998 (Long Term Capital Management) et de 2008 (Lehman Brothers) s'est reflété dans le discours prémonitoire du président Vladimir Poutine lors de la Conférence sur la sécurité à Munich le 10 février 2007. (1)

Parallèlement, le concept de stabilité stratégique - que le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi vient d'évoquer dans son importante interview accordée à Sputnik News (2) - a évolué et/ou régressé, selon les cas, entre ses trois acteurs superlatifs, dans une dynamique incontestable aujourd'hui : le déclin des États-Unis, la résurrection miraculeuse de la Russie et l'ascension irrésistible de la Chine, ce qui établit de facto un nouvel ordre tripolaire comme noyau de l'ordre multipolaire élargi où le Sud global pourrait gagner une meilleure opérabilité et une plus grande marge de manœuvre.

Déjà dans mon livre de 2018, « El (Des)Orden Global en la Era Post-Estados Unidos» (Le désordre global à l'ère post-États-Unis), j'avais parié sur un nouvel ordre tripolaire en marche avec Trump 1.0, Poutine et Xi, interrompu par l'élection controversée du duo démocrate Biden/Kamala Harris mais qui, aujourd'hui, avec la défaite imminente des États-Unis/OTAN/Union européenne en Ukraine, reprend sa dynamique interrompue.

Aujourd'hui, la guerre des droits de douane - la Première Guerre commerciale mondiale : Réseau Voltaire dixit - est devenue multiforme et a débouché sur une guerre financière et même une guerre des devises qui confirment le positionnement géoéconomique de la Chine et l'ascendant de la Russie en tant que première superpuissance militaire de la planète, depuis ses ogives nucléaires pléthoriques jusqu'à ses missiles hypersoniques de rêve comme l'Oreshnik. US News and World Report reconnaît la suprématie incontestable de la Russie en tant que superpuissance militaire suprême. (3)

On parle à tort de l'avènement d'un Yalta 2.0 alors qu'en réalité, la planète se dirige plutôt vers un Congrès de Vienne 2.0.

Il ne s'agit pas d'un Yalta 2.0 car à Yalta 1.0, les dirigeants des trois pays vainqueurs étaient présents : Staline, Roosevelt et Churchill.

Aujourd'hui, la défaite de Biden dans la guerre empêche les États-Unis de se présenter en vainqueur, même si leur appartenance au nouvel ordre tripolaire, malgré leur déclin, est incontournable.

La présence de Trump 2.0 à un Congrès de Vienne 2.0 équivaudrait au rôle réparateur et restaurateur de Talleyrand, celui qui avait pris la place de Napoléon vaincu.

Il est frappant de constater que Foreign Affairs traite de la tripolarité du Nouvel Ordre Mondial dans «The Rise and Fall of Great-Power Competition» (4), tandis que Newsweek se permet de proposer une «carte tripolaire (5)» avec les sphères d'influence respectives. Une grande partie du Sud global pourrait opter pour la diplomatie tripolaire à laquelle aspire le Brésil qui, depuis son adhésion aux BRICS+, souhaite maintenir d'excellentes relations avec les trois pôles suprêmes de la planète à la fois, selon l'interview accordée au Financial Times par le conseiller présidentiel Celso Amorim. (6)

D'ailleurs, alors que le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov se trouve actuellement au Brésil pour préparer le 17e sommet des BRICS+ qui se tiendra les 6 et 7 juillet à Rio de Janeiro, il a rencontré son homologue chinois Wang Yi pour promouvoir l'entrée de l'Inde et du Brésil comme membres permanents au Conseil de sécurité de l'ONU, où les BRICS+ disposeraient alors d'une majorité.

source  La Jornada via  Réseau Voltaire

traduction  Maria Poumier

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