Par Chris Marsden
16 mai 2019
Voici le discours prononcé par Chris Marsden, secrétaire national du Parti de l'égalité socialiste (Royaume-Uni), lors de la réunion du 12 mai à Londres en défense de Julian Assange, éditeur de WikiLeaks et de Chelsea Manning, la courageuse dénonciatrice alors incarcérée.
Chris Marsden prenant la parole à la réunion
Parfois, la chose la plus difficile est de bien comprendre l'époque à laquelle on vit. C'est toujours plus facile pour les historiens, car ils ont l'avantage du recul. Mais nous, nous vivons un changement radical dans la politique mondiale.
Juste les événements de ces derniers jours soulignent pourquoi Julian Assange est enfermé à la prison de Belmarsh, et menacé d'extradition vers les États-Unis.
Non pas les mensonges intéressés de l'administration Trump et du gouvernement May, ni les fausses nouvelles diffusées par les médias britanniques et américains.
La vraie raison.
Discours de Chris Marsden à la réunion de Londres. Cette vidéo est extraite de la retransmission intégrale de l'événement publiée par le journaliste indépendant Gordon Dimmack et que l'on peut visionner au youtu.be
Le week-end dernier, le gouvernement israélien faisait pleuvoir des bombes sur Gaza et commettait des «assassinats ciblés». Seize Palestiniens ont été tués, dont une mère enceinte et son bébé de 14 mois.
Dimanche soir, le conseiller américain pour la sécurité nationale John Bolton a annoncé que le porte-avions USS Abraham Lincoln et des bombardiers B-52 à capacité nucléaire étaient déployés pour menacer l'Iran.
Bolton a lancé l'avertissement que «toute attaque contre les intérêts des États-Unis ou ceux de nos alliés sera contrée avec une force implacable».
Le même soir, le président Trump a retweeté un message de l'évangéliste Jerry Falwell Jr. lui demandant de prolonger son mandat de quatre ans à six ans - une menace de facto d'annuler les élections de 2020.
Tout le reste de la semaine, le secrétaire d'État Mike Pompeo a proféré des menaces dans toutes les directions - tant contre les ennemis que les alliés des États-Unis.
«Nous allons tenir les Iraniens comme responsables d'attaques contre les intérêts américains», a-t-il déclaré lundi, lors d'une conférence des pays ayant des territoires dans l'Arctique.
Pompeo a également dénoncé la Chine pour poursuivre des «objectifs de sécurité nationale», la Russie pour son «comportement agressif» et déclaré «illégitime» la revendication du Canada sur le passage du Nord-Ouest.
Il a ensuite annulé une réunion avec la chancelière allemande Angela Merkel pour se rendre en Irak afin de souligner la menace américaine de plonger le Moyen-Orient dans la guerre.
La gravité de ces événements a été soulignée par l'annonce faite samedi que les États-Unis allaient également déployer un système de défense antimissile Patriot au Moyen-Orient.
Jamais la menace de guerre n'a été aussi réelle qu'imminente.
Je vous le demande à tous: dans quelle mesure cela ressemble-t-il à la période qui a précédé la guerre en Irak en 2003, où l'on parlait d'armes de destruction massive et d'une menace indéterminée pour les forces américaines?
Ce sont les États-Unis qui, bien entendu, sont les véritables agresseurs au Moyen-Orient.
Même ABC News a été forcée de reconnaitre que la 5e flotte de la marine américaine est basée à Bahreïn, que l'Arabie saoudite compte plus de 7000 soldats américains, le Qatar 10.000, le Koweït 13.000 et les EAU 5000. Dubaï est également le plus grand port d'escale de la marine américaine en dehors des États-Unis.
Et le danger de guerre ne se limite pas qu'au Moyen-Orient. Un article deForeign Policy paru le 5 mai s'intitule How to win America's next war (Comment gagner la prochaine guerre américaine). L'article reprend la déclaration de 2018 de James Mattis, le secrétaire à la Défense d'alors, selon laquelle c'est la concurrence entre les grandes puissances - et non le terrorisme - qui est désormais la priorité du Pentagone, afin de demander que cette perspective soit «étoffée».
La Russie, et en particulier la Chine, sont les principales cibles citées pour l'agression militaire, mais l'article dit que les États-Unis ont «un intérêt durable pour le libre accès aux régions clés du monde - principalement l'Asie et l'Europe - afin de s'assurer que la puissance latente de celles-ci ne se retourne pas contre eux.»
L'article poursuit:
«Pendant toute une génération, le Pentagone a fonctionné sur ce que l'on pourrait appeler le mode Desert Storm, dans lequel les États-Unis ont exploité les énormes avantages techniques qu'ils ont développés, à partir des années 1970, pour construire une armée capable de dominer tout adversaire dans les années 1990 et 2000, une époque où il manquait un concurrent de pair...
«Le problème maintenant toutefois, c'est que cette approche qui a si bien fonctionné contre les soi-disant États voyous ennemis, ne peut qu'échouer contre la Chine ou la Russie... Pour que cette stratégie fonctionne, il faudra un dispositif de forces beaucoup plus mortel, agile et prêt.»
Ce nouveau virage plus agressif vers la guerre explique pourquoi les États-Unis veulent Julian Assange dans leurs griffes.
Lors de son passage au Royaume-Uni, Pompeo a averti le gouvernement May de renoncer à ses plans de faire participer l'entreprise chinoise Huawei dans son réseau 5G, expliquant:
«Les États-Unis ont l'obligation de s'assurer que les endroits où ils opèrent, où se trouvent des informations américaines et où ils peuvent encourir des risques pour leur sécurité nationale, sont dotés de réseaux de confiance, et c'est ce que nous ferons.
Et voilà!
Tout d'abord, les États-Unis menacent de réagir à toute menace contre leur sécurité nationale partout dans le monde.
Ensuite, Pompeo souligne que pour poursuivre leurs intérêts mondiaux sans être surveillés, les États-Unis ont besoin et exigent des «réseaux de confiance».
La principale menace qui pèse sur les ambitions prédatrices de l'impérialisme américain et de son partenaire britannique de second ordre, c'est ni Beijing ou Moscou, mais bien une classe ouvrière informée et politiquement mobilisée.
C'est pourquoi Julian Assange et WikiLeaks doivent être réduits au silence. C'est pourquoi un exemple terrible doit être donné avec la dénonciatrice Chelsea Manning.
Que représente WikiLeaks ?
Pour répondre à cette question, je voudrais citer le discours d'acceptation de la médaille d'or de la Sydney Peace Foundation prononcé par Assange au Frontline Club de Londres en 2011.
Cette médaille a été remise à un moment où personne n'aurait osé demander si Assange méritait un grand prix de journalisme, et encore moins déclarer qu'il n'était pas du tout un journaliste!
Voici ce qu'Assange a alors dit:
«Je garde toujours à l'esprit ce qu'a dit la grande poétesse et romancière May Sarton: il faut penser comme un héros pour agir comme un simple être humain décent...
«Nous sommes objectifs, mais nous ne sommes pas neutres. Nous sommes du côté de la justice. L'objectivité n'est pas la même chose que la neutralité. Nous sommes objectifs au sujet des faits lorsqu'il s'agit de rapporter des faits et non de les déformer. Mais nous ne sommes pas neutres quant au type de monde que nous aimerions voir. Nous voulons voir un monde plus juste.
«Pour mon personnel et moi, WikiLeaks s'efforcera toujours d'être une agence de renseignement du peuple. Et nous agirons toujours - tant que des dénonciateurs seront prêts à agir en héros - en simples êtres humains décents.»
Ce sont là plus que de belles paroles. C'est là un véritable énoncé de mission.
WikiLeaks a en effet agi en tant qu'«agence de renseignement du peuple» et à un coût personnel très élevé pour Assange. C'est pourquoi il est si détesté par les dirigeants du monde.
Deux articles publiés immédiatement après la saisie d'Assange par la police britannique le confirment. Ils montrent ce qui a conduit à la vendetta américaine. Et ce n'est pas le mensonge sans fondement qu'Assange et Chelsea Manning ont mis en danger les troupes américaines en Afghanistan et en Irak.
Le 11 avril, Buzzfeed a publié un article en exclusivité sur les rapports d'évaluation des dommages inédits du département de la Défense, réalisés après que WikiLeaks ait publié le cache de documents classifiés de Manning.
Un rapport sur les documents divulgués concernant l'Afghanistan indique expressément qu'ils n'auraient pas eu d'«incidence significative» sur les opérations militaires américaines.
Un autre rapport déclarait «avec grande confiance que la divulgation des données irakiennes n'aura pas d'impact personnel direct sur le leadership actuel et passé des États-Unis en Irak.»
Le véritable problème identifié dans ces rapports était que la fuite de détails sur des dizaines de milliers de victimes civiles en Afghanistan et en Irak «pourrait être utilisée par la presse ou nos adversaires pour nuire au soutien des opérations actuelles dans cette région».
Autrement dit, WikiLeaks pourrait galvaniser politiquement le sentiment antiguerre dans le monde entier.
Le lendemain, le 12 avril, le réseau de la National Public Radio (NPR) aux États-Unis publiait sa liste des menaces que WikiLeaks faisait peser sur la sécurité nationale. NPR notait, à titre d'exemple majeur, la révélation que la CIA pouvait utiliser la technologie de télévision de pointe comme dispositif d'écoute, même lorsqu'un téléviseur était éteint.
Le réseau NPR a ensuite cité un ancien haut responsable du renseignement qui se plaignait que cela «crée des situations où la communauté du renseignement américaine va devoir dépenser des ressources tant en argent qu'en personnel pour mettre au point de nouvelles méthodes.»
Voilà un crime qui doit être puni - coûter autant d'argent à l'État secret!
Les laquais rémunérés de la classe dirigeante dans les parlements et les médias sont évidemment au courant de tout cela et ont choisi de le cacher.
Les journalistes qui s'en prennent à Assange et le décrivent dans les termes les plus vils qu'on puisse imaginer, comme Suzanne Moore et Hadley Freeman du Guardian, sont eux-mêmes vils.
Ils font partie de la machine à mensonges officielle des médias, des fournisseurs de fausses nouvelles éhontés. Ils seraient heureux de vendre leur âme au plus offrant si un tel marché pouvait être conclu. Et le prix serait bon marché.
Et lorsque des dirigeants politiques qui prétendent s'opposer à l'extradition d'Assange vers les États-Unis, comme le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn, ne font rien, eux aussi sont coupables.
Il en va de même pour ceux qui adoptent une attitude d'impartialité face à la menace de la Suède de renouveler les demandes d'extradition d'Assange - et qui prétendent croire que les fausses allégations contre lui sont crédibles et n'ont rien à voir avec les efforts des États-Unis pour le faire taire.
Quiconque n'est pas un partisan actif dans la lutte pour la liberté d'Assange et de Manning ne trahit pas seulement des principes démocratiques fondamentaux, mais est aussi complice de l'offensive permanente des puissances impérialistes contre les travailleurs et les peuples opprimés du monde.
Ne vous y trompez pas, le prix d'une telle trahison sera payé en sang.
Le Parti de l'égalité socialiste considère la défense de Julian Assange et Chelsea Manning comme le fer de lance de la nouvelle lutte mondiale contre l'impérialisme.
Nous vivons tous dans des temps vraiment sombres - des décennies de guerres ininterrompues, non seulement en Afghanistan et en Irak, mais aussi dans les Balkans, au Rwanda, en Libye, en Syrie, au Yémen - et la liste ne cesse de s'allonger.
Cette explosion d'une guerre de type colonial s'est accompagnée d'une attaque contre les libertés démocratiques menée au nom de la «guerre contre le terrorisme», y compris la surveillance de masse révélée par cet autre dénonciateur héroïque, Edward Snowden.
Cette éruption du militarisme impérialiste et la rupture d'avec les formes démocratiques de gouvernement, de même que la facilitation des forces d'extrême droite, constituent un changement trop fondamental pour être expliqué comme les simples actions d'éléments politiques criminels de l'élite au pouvoir comme Trump.
Ce sont là les symptômes malins d'un système capitaliste mondial en crise terminale.
Le conflit entre puissances rivales pour le contrôle des marchés et des ressources est devenu si aigu dans un monde de plus en plus globalisé que les mécanismes politiques et économiques de régulation mis en place au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale se sont effondrés. En conséquence, le monde dans lequel nous vivons ressemble à nouveau à celui de la génération des années 1930, marqué par la guerre commerciale, le réarmement, les guerres coloniales et la réaction fasciste.
Mais cette crise produit aussi une puissante contre-force sur laquelle un monde complètement différent peut être construit.
La classe dirigeante a passé des décennies à augmenter systématiquement l'exploitation brutale de la classe ouvrière, à réduire les salaires et à détruire les services essentiels, non seulement pour être plus efficacement en concurrence pour la domination économique mondiale, mais aussi pour canaliser de plus en plus la richesse de la société dans les caisses d'une oligarchie super-riche.
À cause de l'effondrement de l'Union soviétique et de tous les anciens partis ouvriers et syndicats, et de la confusion politique que cela a engendrée, les classes dirigeantes ont pensé qu'elles pouvaient faire cela à tout jamais.
Eh bien elles ont tort.
Le Parti de l'égalité socialiste, le Comité international de la Quatrième Internationale et leWorld Socialist Web Site basent leur lutte pour libérer Assange et Manning sur la classe ouvrière internationale.
Dans la tradition de Marx, Engels, Lénine et Trotsky, nous comprenons que la lutte pour défendre ces figures héroïques est le fer de lance de la lutte contre l'impérialisme et pour le socialisme. Cette perspective apparaît aujourd'hui comme la seule voie à suivre pour l'humanité.
Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à une croissance extraordinaire de la lutte des classes, pays après pays.
Les travailleurs qui subissent des difficultés insoutenables depuis des décennies en arrivent à la conclusion amère qu'ils doivent se battre contre ceux qui ont ruiné leur vie et qui nient l'avenir de la jeune génération - quel qu'en soit le prix pour eux-mêmes. Et pour ces gens, pour ceux qui luttent contre l'ordre social actuel, la prise de position héroïque de principe d'Assange et Manning est source d'inspiration.
Pour que cela soit clair, voici quelques-uns des commentaires que le WSWS a reçus au sujet d'Assange:
Du Royaume-Uni:
«Assange est à l'avant-garde de la lutte pour la liberté d'expression contre les gouvernements corrompus, notamment lorsqu'il révèle les secrets de sécurité de l'État américain.»
«Assange est coupable d'être un héros, coupable de dire la vérité, coupable de dénoncer les crimes de guerre américains en Afghanistan et en Irak.»
D'Australie:
«C'est honteux qu'Assange soit étiqueté comme un criminel alors qu'il dévoile qui sont les vrais criminels dans notre société... Il est la voix des sans-voix en ce moment, et nous devrions tous nous battre pour ce pour quoi il se bat.»
«Si vous arrivez à convaincre les travailleurs de s'unir, les gens vous écouteront. Quand quelqu'un se lève, il y a un effet d'entrainement. Les travailleurs ici doivent soutenir Assange, parce que nous avons besoin de plus de gens comme lui dans le monde.»
Des États-Unis:
«L'emprisonnement d'Assange est une attaque contre toute la classe ouvrière... Les capitalistes et les pouvoirs en place sont désespérés. Ils ne veulent pas que les travailleurs sachent la vérité. Ils comprennent bien que la classe ouvrière est plus puissante que nous n'en avons nous-même conscience, et ils ont peur de nous.»
C'est là la voix de l'avenir qui nous parle, et nous devons lui donner une expression politique et un leadership.
On a beaucoup parlé d'histoire aujourd'hui. C'est dans la nature de nos réunions. Nous sommes un parti fondé sur l'histoire. Mais je veux que ce soit très clair: tout le monde dans cette pièce écrit l'histoire. Ils sont du bon côté de l'histoire parce qu'ils participent à la lutte contre l'impérialisme. Et mener cette lutte signifie la défense de Chelsea Manning, la défense de Julian Assange et la construction d'une nouvelle direction révolutionnaire au sein de la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 14 mai 2019)