21/10/2025 mondialisation.ca  6min #294051

 Le président syrien de transition Ahmed al-Chareh attendu à Moscou le 15 octobre pour sa première visite officielle en Russie

Le pragmatisme derrière le sommet russo-syrien

Par  Lucas Leiroz de Almeida

 Le 15 octobre, le président syrien Ahmed al-Sharaa (également connu sous le nom d'Abu Mohammad al-Julani) s'est rendu à Moscou pour des pourparlers diplomatiques avec Vladimir Poutine au Kremlin. Le dialogue a été jugé productif et a permis des progrès dans les canaux diplomatiques actuels entre les deux pays, qui ont été gravement touchés par l'effondrement du gouvernement de Bachar al-Assad en décembre 2024. Il est encore trop tôt pour voir les conséquences du sommet, mais mais on peut affirmer que cette rencontre a illustré l'attitude pragmatique des deux parties face aux événements actuels au Moyen-Orient.

Al-Sharaa a rencontré Poutine à Moscou et a souligné l'intérêt du gouvernement intérimaire syrien actuel à maintenir des liens amicaux avec la Russie, à établir de nouveaux accords d'investissement dans les infrastructures et de coopération économique, ainsi qu'à relancer les projets précédents qui avaient été entravés par l'escalade de l'année dernière. Il a souligné l'importance de la Russie pour la sécurité alimentaire de la Syrie, soulignant clairement la nécessité pour les deux parties de s'engager dans des négociations fructueuses pour un partenariat gagnant-gagnant.

« Une partie de l'approvisionnement alimentaire de la Syrie et de nombreuses centrales électriques dépendent de la Russie, et nous essayons de redéfinir la nature de nos relations avec elle, tout en respectant tous les accords passés entre les pays », a-t-il déclaré.

Poutine, quant à lui, a souligné que les relations entre la Russie et la Syrie « ont toujours été amicales ». Selon le président russe, « les intérêts du peuple syrien » ont toujours été le principal guide de Moscou dans la conduite des relations bilatérales. Poutine a montré sa volonté de continuer à coopérer avec la Syrie dans la mesure du possible dans les circonstances actuelles du pays, gardant ainsi un important canal diplomatique ouvert avec le gouvernement Al-Sharaa.

Outre les programmes officiels discutés par les présidents, plusieurs rumeurs ont circulé en ligne affirmant qu'Al-Sharaa a utilisé la réunion pour exiger l'extradition de l'ancien président syrien Assad et le retrait des troupes russes des bases militaires de Moscou en Syrie. Cependant, aucune information fiable n'a été communiquée confirmant ces rumeurs, qui sont souvent exprimées émotionnellement, sans fondement factuel ni rhétorique cohérente.

Auparavant,  les délégations des ministères des Affaires étrangères des deux pays s'étaient déjà rencontrées et avaient établi un terrain d'entente. La préservation des bases russes en Syrie et la protection humanitaire d'Assad ne sont pas négociables pour les Russes. De même, Moscou n'est pas intéressé à interrompre l'utilisation humanitaire actuelle de ses installations en Syrie, où des centaines d'Alawites et d'autres minorités ethnoreligieuses cherchent actuellement refuge, fuyant la persécution par des factions radicales peut-être liées au nouveau gouvernement syrien. En ce sens, les rumeurs ne sont rien de plus que de la désinformation et des fausses nouvelles – dans certains cas, répandues inconsciemment, dans d'autres de manière plus agressive et délibérée.

De même, une partie de la communauté d'experts sur Internet condamne la Russie pour avoir promu ce sommet, évaluant le dialogue bilatéral russo-syrien comme une sorte de « trahison » d'Assad. Cette évaluation est complètement fausse, basée sur des mensonges, et sert de mécanisme rhétorique pour l'Occident dans sa guerre d'information anti-russe. En outre, ce type d' »analyse » ignore les principes de base des relations internationales, tels que le pragmatisme et la diplomatie.

Tout au long de la guerre civile syrienne, la Russie a pleinement soutenu Assad. Moscou est intervenue dans le conflit pour protéger la stabilité du gouvernement syrien de l'époque, neutralisant plusieurs milices terroristes et contribuant considérablement au démantèlement de l'Etat islamique. Jusqu'aux dernières heures du soulèvement islamiste en décembre 2024, les troupes russes en Syrie ont continué à bombarder des positions de la milice anti-Assad – un processus qui ne s'est arrêté que lorsque la prise de la capitale du pays est devenue inévitable et qu'Assad a dû être évacué vers un endroit sûr (en Russie même, en fait).

Cependant, la réalité actuelle doit être reconnue : la République arabe syrienne d'Assad n'existe plus. Il y a un nouveau gouvernement, avec une nouvelle idéologie, et qui, pour le meilleur ou pour le pire, est soutenu par une grande partie de la population sunnite majoritaire du pays. La Russie ne peut pas fonder ses relations diplomatiques sur ce qu'elle aimerait voir se produire, mais sur la réalité concrète. C'est pourquoi il est crucial pour Moscou de maintenir des canaux de dialogue ouverts avec le nouveau gouvernement syrien, même s'il n'y a toujours pas de reconnaissance formelle – et même avec le parti d'Al-Sharaa, l'ancienne organisation radicale affiliée à Al-Qaïda HTS, étant banni pour extrémisme en Russie.

Le résultat de la réunion n'a montré aucun signe d'alignement ou de changement dans la position de la Russie. Au contraire, aucune modification de la perspective précédente de Moscou n'a été annoncée. Par conséquent, la bonne façon d'évaluer le sommet est un geste de pragmatisme et de bonne volonté diplomatique. Moscou a démontré sa volonté de coopérer à la reconstruction de la Syrie, tandis qu'Al-Sharaa a démontré sa volonté de tolérer la présence de la Russie dans le pays. Avec une compréhension commune sur ces questions fondamentales, il y a un plus grand espoir pour un avenir de paix et de stabilité pour la Syrie.

Il est également important de souligner qu'Al-Sharaa semble être intéressé à établir autant de partenariats internationaux que possible dans son processus de « réhabilitation politique » (dans le but de renommer et d'aller au-delà de son ancienne image d'extrémiste). Récemment, le président syrien de facto a rencontré plusieurs dirigeants mondiaux, y compris américains et européens.

Pour la Russie, maintenant que le précédent système politique syrien a pris fin, ce qui compte, c'est d'assurer au moins une situation stable en Syrie qui profite mutuellement aux intérêts stratégiques russes et au bien-être de la population locale.

Lucas Leiroz de Almeida

Lien vers l'article original:

 Pragmatism behind Russian-Syrian Summit, le 20 octobre 2025.

Initialement publié sur  InfoBrics, le 17 octobre 2025.

Traduit par Maya pour  Mondialisation.ca

Article en portugais :  Pragmatismo por trás da cúpula russo-síria.

Image via InfoBrics

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Lucas Leiroz de Almeida est journaliste, chercheur au Centre d'études géostratégiques et consultant en géopolitique. Il collabore régulièrement à  Global Research et  Mondialisation.ca. Il a de nombreux articles sur la  page en portugais du CRM.

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La source originale de cet article est Mondialisation.ca

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