par Karine Bechet-Golovko.
Les organismes internationaux n'existent que tant qu'ils sont, et légitimes, et utiles. L'avenir de l'ONU semble en ce sens très compromis, à la fois en raison de son incapacité ni à prévenir, ni à endiguer les conflits internationaux, et en raison de la privatisation américaine dont il a été l'objet ces dernières années. Le départ de la Russie du Conseil des droits de l'homme de l'ONU est la dernière goutte, qui peut faire glisser dans les tréfonds de l'histoire, une institution issue d'un passé révolu.
La dimension géopolitique du conflit en Ukraine est dominante, mais souvent reste en arrière-plan. Dans cette opération de sortie de la Russie du Conseil des droits de l'homme, afin de tenter d'en faire un État-paria terroriste sur la scène internationale, les États-Unis donnent à cette Première Guerre globale toute sa véritable dimension - un combat à mort contre l'existence d'autres pôles potentiels de pouvoir.
Ils ont, en effet, initié avec leurs pays satellites et leurs instruments (dont l'Ukraine) une résolution devant l'Assemblée générale de l'ONU, afin suspendre la Russie du Conseil des droits de l'homme en raison des exactions soi-disant commises par l'armée russe en Ukraine. Cette procédure est exceptionnelle et n'a été utilisée qu'une seule fois, en 2011, contre la Libye.
Le résultat ne fut pas une surprise, la résolution a été adoptée, mais pas à une majorité écrasante. 93 pour, 54 abstentions et 24 contre. La Russie n'est pas isolée et la majorité de « monde global » est assez juste, si l'on additionne les abstentions et les refus. Si c'est une victoire tactique, ce peut être un échec stratégique des États-Unis.
En carte, cela donne ceci, les pays qui ont voté pour sont en orange, ce qui ont voté contre en vert, ceux qui se sont abstenus en jaune et en blanc quand ils n'ont pas voté :
De plus, ces résultats ont été obtenus par des méthodes de bandits, les États-Unis ayant menacé de sanctions les pays qui ne les soutenaient pas, comme le déclare le président Serbe, pour expliquer son vote de soutien à la résolution. Bref, s'il s'agit d'une victoire, elle est très relative.
Pourtant, tout a été mis en avant, comme le montre la déclaration de l'ONU, la mise en scène de Boutcha, les déclarations délirantes du représentant ukrainien sur les crimes supposés, non enquêtés, non démontrés (et pour cause) de l'armée russe, qui violerait et tuerait à tour de bras.
Suite à ce vote, la Russie a décidé de sortir elle-même, il n'y en effet aucune raison d'attendre la suite. Selon Guénady Kouzmine, le représentant de la Russie :
« La partie russe considère la résolution adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies visant à suspendre l'adhésion de la Russie au Conseil des Droits de l'Homme comme une mesure illégale et politiquement motivée, prise dans le but de démonstrativement punir un État membre souverain de l'ONU, qui poursuit une politique intérieure et extérieure indépendante ».
Pour la Russie, cela ne change rien, en revanche de plus en plus en question vont se poser pour l'ONU. Cette institution et ses composantes ont été établies en raison du rapport de force issu de la Seconde Guerre mondiale, quand il y avait un équilibre des puissances entre les États-Unis et l'URSS. Avec la chute de l'URSS, la Russie a formellement juridiquement repris la suite, mais politiquement elle a abandonné le terrain en entrant dans le jeu de la globalisation et a perdu le contrôle dans l'institution. Ces organes sont devenus des organes de gouvernance atlantiste et ne sont plus des institutions internationales, la manière dont les États-Unis décident de la délivrance ou non des visas en est un bon exemple. Pour autant, la Russie y possède une voix et des instruments juridiques, qui ne lui permettent pas d'initier une politique, mais lui permettent de limiter la volonté toute-puissante atlantiste.
Désormais, un pas a été franchi. Il est certes possible d'évincer la Russie, de rester « entre-soi », entre les satellites et les apeurés, mais le monde n'est plus global et l'échec est patenté avec la sortie de la Russie. Cette décomposition du système des organes de gouvernance issus de la Seconde Guerre mondiale rappelle à s'y méprendre la chute de la SDN. Ce nouveau conflit, qui est une guerre même si tout le monde a peur du mot, engendrera, dans tous les cas, une nouvelle architecture géopolitique : si la Russie perd, la globalisation sera décomplexée et n'aura plus à garder les apparences de la diplomatie ; si la Russie gagne, il faudra redéterminer les rapports entre les pays, qui auront le courage de la souveraineté.
source : Russie Politics