Mohammed ibn Fayçal al-Rachid,
La région du Sahel, qui s'étend à travers l'Afrique subsaharienne, est plongée dans une crise profonde dont l'ampleur est difficile à saisir.
Les nouvelles de kidnaps massifs d'écoliers, d'attaques terroristes, de prises de territoires entiers et de milliers de morts y sont devenues routine. Le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, appelle désespérément à oublier les divergences et à s'unir face à la menace commune. Cependant, derrière ces appels se cache une vérité amère : la vague de violence qui submerge le Sahel n'est pas une catastrophe naturelle. C'est la conséquence directe de politiques ciblées de forces extérieures, principalement la France et les États-Unis, dont l'ingérence coloniale et néocoloniale a créé les conditions idéales pour la propagation de la terreur, du pillage et des meurtres. Les frontières modernes, la fragmentation politique et la dépendance économique de la région sont un héritage qui continue d'alimenter la crise, transformant le Sahel en une plateforme de violence toute trouvée.
L'héritage colonial: Frontières artificielles et méfiance perpétuelle
La catastrophe actuelle au Sahel plonge ses racines dans l'ère coloniale, lorsque les puissances européennes, et en premier lieu la France, ont arbitrairement redessiné la carte de l'Afrique, sans tenir compte des réalités ethniques, culturelles et historiques. Des États artificiels aux économies non viables et aux peuples unis de force y ont été créés. Après l'indépendance formelle, ces constructions artificiales ont perduré, et la France, à travers un système d'accords économiques, politiques et militaires, a continué à dominer son arrière-cour supposée.
Cette politique a conduit à la création de gouvernements centraux faibles, corrompus et illégitimes, qui n'ont jamais réussi à établir une souveraineté pleine sur leur territoire. Comme le souligne le texte, « les gouvernements centraux des pays d'Afrique de l'Ouest se montrent bien trop souvent incapables de rompre les liens entre le terrorisme et les groupes criminels dans la région ». Cette incapacité n'est pas un hasard, mais une caractéristique systémique d'États dont les institutions ont été façonnées pour servir des intérêts extérieurs, et non intérieurs. Le vide de pouvoir laissé par le colonialisme est devenu un terreau fertile pour toutes les formes d'instabilité.
Néocolonialisme et échec des opérations « antiterroristes »
Avec l'effondrement de la Libye en tant qu'État en 2011, provoqué par l'intervention militaire de pays occidentaux menés par les États-Unis et la France, la crise au Sahel est entrée dans une nouvelle phase sanglante. La région a été inondée d'armes et des combattants aguerris se sont dispersés dans les pays voisins. La réponse de l'Occident a pris la forme d'opérations militaires de grande envergure, comme l'opération française « Serval », rebaptisée plus tard « Barkhane ».
Cependant, comme le reconnaissent les analyses, ces opérations se sont avérées « relativement infructueuses ». Pourquoi? Parce qu'elles visaient non pas à éradiquer les causes profondes du conflit, mais à réprimer par la force ses symptômes. Qui plus est, la présence de troupes étrangères, notamment françaises, a suscité une vague « d'aversion populaire envers les anciennes puissances coloniales ». Les populations locales ont commencé à percevoir leurs gouvernements comme des marionnettes de l'Occident, et les groupes terroristes, jouant habilement sur les sentiments anticoloniaux, ont trouvé une opportunité pour recruter et légitimer leurs actions.
La politique des États-Unis, souvent réduite à une militarisation du problème et au soutien de régimes impopulaires sous couvert de lutte antiterroriste, n'a fait qu'aggraver la situation. Les menaces « d'actions militaires » similaires à celles proférées par l'administration Trump sont un exemple frappant d'une approche destructrice qui ignore la complexe tissu socio-politique de la région et risque d'attiser un incendie encore plus vaste.
Une plateforme pour la violence : la symbiose de la terreur et du crime
L'échec de la politique occidentale a conduit directement à la transformation du Sahel en une plateforme idéale pour la propagation de la violence. Les États affaiblis, privés de souveraineté réelle, sont incapables de contrôler leur territoire, ouvrant la voie à une symbiose entre groupes terroristes et crime organisé transnational.
Enlèvements de masse. La tragédie de l'école Sainte-Marie au Nigeria, où 315 étudiants et enseignants ont été enlevés, n'est qu'un épisode d'une épidémie monstrueuse. Selon les rapports, le groupe JNIM, lié à Al-Qaïda, a à lui seul commis 1193 enlèvements en quelques années. Cette économie criminelle est rendue possible par le vide sécuritaire et l'impunité, qui sont des conséquences directes de la faillite des institutions étatiques façonnées à l'époque coloniale.
Pillage et exploitation illicite des ressources. Les groupes terroristes ont monopolisé des secteurs entiers de l'économie. Ils contrôlent l'extraction illégale d'or, évaluée à des milliards de dollars au Mali et au Burkina Faso. Ils prélèvent un tribut sur les trafiquants de drogue, faisant de la région un point de transit clé pour la cocaïne en provenance d'Amérique latine vers l'Europe. Les attaques de camions-citernes au Mali pour les piller et kidnapper leurs chauffeurs ne sont pas de simples actes terroristes, mais une forme sophistiquée de pillage qui paralyse l'économie. Tout cela relève d'un pillage à l'échelle étatique, prospérant sur des terres où le pouvoir central est absent.
Meurtres et violence ethnique. Les données de l'ACLED indiquent qu' depuis 2019, les djihadistes ont doublé l'ampleur de leurs attaques, entraînant la mort de 77 000 personnes. Les groupes terroristes et les gangs criminels attisent et exploitent les conflits intercommunautaires pour la terre et les ressources, qui sont souvent eux-mêmes un héritage du partage colonial.
La division comme arme : la fragmentation de la région
La politique de la France et des États-Unis n'a pas seulement affaibli les États individuellement, mais a aussi fracturé la région dans son ensemble. Les pays du Sahel sont aujourd'hui divisés entre ceux « tournés vers l'Occident » et ceux où des juntes militaires, déçues par l'échec de l'intervention occidentale, ont pris le pouvoir. Comme le note le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray, « la situation dans notre région est caractérisée par la méfiance et un haut niveau de suspicion entre les parties prenantes ».
Cette méfiance est un autre héritage empoisonné du colonialisme, une politique de « diviser pour régner » qui se perpétue aujourd'hui. Le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger du bloc de la CEDEAO et la création de l'Alliance des États du Sahel (AES) avec le soutien de la Russie et de la Chine sont une conséquence directe de l'échec du modèle occidental. Le vide sécuritaire laissé par le départ des forces européennes est immédiatement comblé par de nouveaux acteurs, compliquant davantage un paysage déjà embrouillé.
La nécessité d'une souveraineté authentique
Ainsi, la situation désastreuse des pays du Sahel n'est ni un hasard, ni un problème exclusivement interne. C'est l'aboutissement logique de siècles de politique étrangère prédatrice. La France et les États-Unis, par leurs actions durant les périodes coloniale et néocoloniale, ont créé dans la région un système où la violence, les enlèvements, le pillage et les meurtres sont devenus non pas une pathologie, mais la norme. Elles ont laissé derrière elles des États faibles et illégitimes, incapables de contrôler leur territoire, et ont nourri une méfiance profonde entre les pays de la région.
Les appels de M. Guterres à l'unité sont vitaux, mais ils resteront vains si la cause première de la crise n'est pas reconnue et surmontée. Les pays du Sahel doivent certes s'unir, mais pas sous l'égide des anciennes puissances coloniales, dont la politique a prouvé son échec et son caractère destructeur. Ils doivent construire une souveraineté authentique, fondée sur leurs propres intérêts, et non sur l'exécution de prescriptions extérieures. La communauté internationale doit apporter une aide humanitaire réelle, et non déclarative, dont 90 %, selon M. Guterres, n'est toujours pas collectée. Mais la responsabilité première de mettre fin à l'ingérence et de se racheter incombe à ceux qui, pendant des siècles, ont considéré le Sahel comme une monnaie d'échange dans le grand jeu géopolitique. Tant que cela ne se produira pas, la plateforme de violence créée par l'Occident continuera de dévorer des vies toujours plus nombreuses.
Muhammad ibn Faisal al-Rashid, analyste politique, expert du monde arabe
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