26/04/2025 ssofidelis.substack.com  6min #276114

Le silence de l'Occident sur Gaza

De la "panne morale" et du courage dans le discours

Par  Ilan Pappé, le 24 avril 2025

Les réactions du monde occidental aux violations des droits humains dans la bande de Gaza et en Cisjordanie soulèvent une question troublante : pourquoi l'Occident officiel, et l'Europe occidentale officielle en particulier, est-il si indifférent à la souffrance des Palestiniens ?

Pourquoi le Parti démocrate américain est-il complice, directement et indirectement, de cette inhumanité quotidienne en Palestine - une complicité si flagrante qu'elle a probablement été l'une des causes de sa défaite électorale, les électeurs arabes américains et progressistes des États clés n'ayant pu, et à juste titre, pardonner à l'administration Biden son rôle dans le génocide de la bande de Gaza ?

C'est une question pertinente, car nous sommes confrontés à un génocide médiatisé que l'on voit s'intensifier sur le terrain. La situation est différente des phases précédentes, marquées par l'indifférence et la complicité de l'Occident, que ce soit durant la Nakba ou pendant les longues années d'occupation depuis 1967.

Durant la Nakba et jusqu'en 1967, il n'était pas aisé d'obtenir des informations, et l'oppression après 1967 a été plutôt progressive et, à ce titre, ignorée des médias et de la politique occidentaux, qui ont refusé de reconnaître sa portée cumulative sur les Palestiniens.

Mais ces dix-huit derniers mois sont très différents. Ignorer le génocide dans la bande de Gaza et le nettoyage ethnique en Cisjordanie ne peut être motivé que par l'intention, non par ignorance. Les agissements des Israéliens et le discours qui les accompagne sont bien trop évidents pour être ignorés, à moins que les politiciens, les universitaires et les journalistes ne choisissent de le faire.

Cette ignorance est avant tout le résultat d'un lobbying israélien très efficace, qui a prospéré sur le terreau fertile du complexe de culpabilité européen, du racisme et de l'islamophobie. Dans le cas des États-Unis, elle résulte aussi d'un lobbying efficace et impitoyable mené depuis tant d'années, que très peu de gens dans le monde universitaire, les médias et, surtout, la politique osent défier.

Ce phénomène, connu dans les études récentes sous le nom de "panique morale", est particulièrement caractéristique des couches les plus conscientisées des sociétés occidentales : intellectuels, journalistes et artistes.

La panique morale, c'est la peur de suivre ses convictions morales et de faire preuve de courage, car les conséquences peuvent être graves. Tout le monde, ne se retrouve pas un jour ou l'autre confronté à une situation qui nécessite du courage, ou au moins de l'honnêteté.

C'est ce qui explique le silence de tant d'Allemands lorsque les Juifs ont été envoyés dans les camps d'extermination, et que les Américains blancs soient restés passifs lorsque les Afro-Américains étaient lynchés ou, auparavant, réduits en esclavage et victimes d'abus.

Quel serait le prix à payer pour les grands journalistes occidentaux, les politiciens chevronnés, les professeurs titulaires ou les PDG d'entreprises renommées s'ils accusaient Israël de commettre un génocide dans la bande de Gaza ?

Ils semblent s'inquiéter de deux conséquences possibles. La première est d'être qualifiés d'antisémites ou de négationnistes de l'Holocauste, et la seconde de craindre qu'une réponse sincère ne déclenche un débat sur la complicité de leur pays, de l'Europe ou de l'Occident en général dans le génocide et toutes les politiques criminelles menées contre les Palestiniens qui l'ont précédé.

Cette panique morale engendre des phénomènes étonnants. En général, elle métamorphose des personnes cultivées, intelligentes et bien informées en imbéciles absolus dès qu'elles s'expriment sur la Palestine. Elle empêche les membres les plus sensés et les plus réfléchis des services de sécurité de remettre en question les exigences israéliennes d'inscrire toute la résistance palestinienne sur une liste terroriste, et elle déshumanise les victimes palestiniennes dans les médias mainstream.

L'absence de compassion et de solidarité élémentaire envers les victimes du génocide est clairement mise en évidence par le double langage des médias grand public occidentaux, en particulier des journaux américains les plus influents, tels que The New York Times et The Washington Post. Lorsque le rédacteur en chef de The Palestine Chronicle, le Dr Ramzy Baroud, a perdu 56 membres de sa famille, tués par la campagne génocidaire israélienne dans la bande de Gaza, aucun de ses collègues journalistes américains n'a pris la peine de lui parler ou de manifester le moindre intérêt pour cette atrocité. En revanche, une allégation israélienne fabriquée de toutes pièces selon laquelle il existerait un lien entre The Chronicle et une famille dont l'immeuble abritait des otages a suscité un vif intérêt de la part de ces médias et retenu leur attention.

Cette absence de considération élémentaire pour l'humanité et la solidarité n'est qu'un exemple parmi d'autres des dérives que peut entraîner cette frénésie moralisatrice. Les actions menées contre les étudiants palestiniens ou pro-palestiniens aux États-Unis, contre des militants connus en Grande-Bretagne et en France, ainsi que l'arrestation en Suisse du rédacteur en chef d'Electronic Intifada, Ali Abunimah, sont autant de manifestations de ce comportement moral pervers.

Un cas similaire s'est produit récemment en Australie. Mary Kostakidis, célèbre journaliste australienne et ancienne présentatrice du journal télévisé SBS World News Australia diffusé en prime time en semaine, a été traduite devant la cour fédérale pour avoir rapporté, de manière assez modérée, la situation dans la bande de Gaza. Le fait même que la cour n'ait pas rejeté cette accusation dès son dépôt montre à quel point la paranoïa morale est profondément enracinée dans le Nord global.

Cependant, on peut y voir un autre aspect. Fort heureusement, un groupe bien plus conséquent de citoyens n'hésite pas à prendre le risque de soutenir ouvertement les Palestiniens, et affiche sa solidarité tout en sachant qu'il s'expose à un licenciement, à l'expulsion, voire à une peine de prison. Ils sont rares dans les milieux universitaires, médiatiques ou politiques traditionnels, mais ils constituent pourtant la conscience de nombreuses sociétés occidentales.

Les Palestiniens ne peuvent se permettre le luxe de laisser la psychose morale occidentale s'exprimer ou exercer son influence. Ne pas céder à cette psychose est une étape modeste mais essentielle dans la mise en place d'un réseau mondial de soutien à la Palestine, dont nous avons cruellement besoin, d'abord pour mettre fin à la destruction de la Palestine et de son peuple, mais aussi pour créer les bases d'une Palestine décolonisée et libre, à l'avenir.

Traduit par  Spirit of Free Speech

Savage Minds

On "Moral Panic" and the Courage to Speak

The responses in the Western world to the situation in the Gaza Strip and the West Bank raise a troubling question: why is the official...

2 days ago · 128 likes · 2 comments · Ilan Pappé

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