Vendredi 24 mai, de nombreux lycéens et étudiants ont séché les cours à travers le monde pour marcher contre le dérèglement climatique. Si l'ambiance était à la fête, beaucoup appellent à la désobéissance pour gagner en radicalité et ne plus être inoffensifs. Reportage à Paris.
- Paris, reportage|
L'énergie des jeunes en grève pour le climat reste toujours aussi vive. Vendredi 24 mai 2019, 15.000 manifestants ont défilé dans les rues de Paris, d'Opéra à République sous un soleil de plomb. Ils répondaient à l'appel d'une seconde grève internationale qui a réuni Global Strike for Climate on may 24th register now!Global Strike for Climate on may 24th register now! . En France, des dizaines des marches se sont déroulées à Grenoble, La-Roche-sur-Yon, Marseille, Valence, Toulon, Bayonne, Marseille...
« C'est important de continuer à investir la rue, expliquait à Paris un jeune manifestant en début de cortège. Pour l'instant, on a encore rien obtenu. Le gouvernement ne nous entend pas. Il boude le changement et se fiche de l'avenir ».
En France, 77 organisations et associations (ont appelé à rejoindre l'événement. « Nous n'avons plus assez de temps pour nous satisfaire des petits pas, des promesses non actées et des combats séparés, écrivaient -elles dans un communiqué. Il est maintenant nécessaire de faire front commun pour obtenir des mesures à la hauteur des enjeux ».
S'ils n'avaient pas sortis, pour l'occasion, les camions ni les ballons, la CGT comme Solidaires ont répondu eux aussi présents. « Il ne peut y avoir de justice sociale sans justice écologique, déclaraient les syndicalistes en chasuble. « Les 100 plus grandes compagnies mondiales sont responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre, rappelaient-ils dans leur tract. 1 % de la population la plus riche a une empreinte carbone 40 fois supérieure au 10 % les plus pauvres ».
La marche se voulait intergénérationnelle. On comptait moins de jeunes que dans les manifestations précédentes, un peu plus de cheveux blancs mais les lycéens ont quand même brillé par leur dynamisme. Cris, chants, slogans.. Tout le long du parcours, ils ont donné de la voix à la marche. Et une certaine euphorie.
Les traditionnels « Et 1, et 2, et 3 °C, c'est un crime contre l'humanité ! » ont parfois laissé la place à des messages plus politiques. Des « Anti, anti, Anticapitaliste ! », criés à la sono ou même des « Écologie libérale, mensonge du capital ! ».
Sur leurs pancartes, comme d'habitude, les jeunes ont rivalisé de bons mots avec une inventivité inépuisable, toujours teintée d'humour. « Plus de pingouins sur la banquise, moins de manchots à l'Elysée », « La planète est plus chaude que Notre-Dame-de-Paris », « La déforestation, c'est uniquement dans le caleçon », « Arrêtez de remplir vos réservoirs, vous siphonnez l'espoir ! ».
Les encadrants bénévoles ont vite été dépassés. Ils ceinturaient avec une corde le début de la manifestation pour « éviter les débordements ». Mais un cortège de tête s'est constitué et la marche s'est étirée le long des boulevards. Des jeunes grimpaient sur les abris bus ou les toilettes publiques. Certains se posaient en bande sur la chaussée libérée des voitures. Tandis que le défilé compact et dense avançait lentement, dirigé par un camion où crachait une sono.
Devant un immeuble de la BNP Paribas, huée sous les sifflements, quelques centaines de personnes sont parties en manifestation sauvage, jouant une demi-heure au jeu du chat et de la souris avec les forces de l'ordre.
Derrière le côté jovial et bon enfant, les clapping et les chorégraphies, un doute s'est néanmoins fait sentir à travers la foule. L'heure était à l'interrogation. Pour beaucoup, les marches ne suffisent pas. Elles sont inoffensives. Il faut trouver d'autres moyens d'action pour nourrir le rapport de force. « Au début, le pouvoir a cherché à nous récupérer, maintenant il nous méprise », analysait ainsi, Jérôme un étudiant en première année de droit.
Certains sont devenus critiques. « En vrai, je suis fatigué de ces marches, disait Antoine, également à la fac, il ne se passe pas grand-chose. On se fait plaisir, mais après ? Le pouvoir regarde passer ça avec indifférence. Il n'a pas peur ! » Sarah, du lycée Sainte Geneviève, exprimait elle aussi un sentiment d'exaspération : « Au fil des marches, je me demande ce que je fais là, on a perdu de la spontanéité et de la force.. ».
Etienne : « La manifestation est une première étape dans un parcours d'engagement ».
« Les marches ne constituent pas la panacée mais il faut quand même continuer », argumentait de son côté Sophie, 65 ans. Tous voient dans la marche un point de départ plus qu'un aboutissement. « Elle peut servir de tremplin, c'est une première étape dans un parcours d'engagement », disait ainsi Etienne, impliqué au sein d'ANV Cop 21 et d'Alternatiba. « On le constate ensuite, beaucoup de primo-manifestants nous rejoignent dans des actions de désobéissante civile. Avant septembre et le début des marches, on était une vingtaine pendant les actions, aujourd'hui on peut se retrouver à plusieurs milliers pour bloquer la république des pollueurs ! ».
Gilles : « À Attac, on a constaté un regain d'énergie, des envies de blocage. »
« La marche est symbolique, ce qui compte vient après ». C'est ce que voulait croire aussi Gilles, d'Attac : « De nombreux groupes se sont constitués ces derniers mois pour prolonger la mobilisation comme RadiAction, Désobeissance Ecolo Paris ou Extinction Rebellion. À Attac, on a constaté un regain d'énergie, des envies de blocage. On a occupé le siège de Bayer il y a trois jours. Un mois auparavant, on le recouvrait de peinture ». Récemment, des jeunes grévistes pour le climat ont également appelé à rejoindre les actions internationales de blocage Ende Gelande.
Atys : « Avec XR, j'ai choisi d'aller dans l'illégalité pour défendre mes idées. Nous n'avons plus le choix. »
De son côté, Atys, lycéen de 17 ans à Sèvres, s'est engagé depuis plusieurs mois à Extinction Rebellion (XR) : « Lors des marches, on recrute du monde pour faire des actions plus radicales après ». Cette expérience avec XR l'a transformé : « Ça m'a donné du courage, des raisons de me battre et d'exister. J'ai choisi d'aller dans l'illégalité pour défendre mes idées. Nous n'avons plus le choix ».
L'appétence pour l'action directe et la désobéissance était palpable au cours de la marche. Quelques publicités de JC Decaux ont été arrachées sous les applaudissements, tandis que d'autres taguaient au sol et sur les murs les logos d'Extinction Rebellion. Selon Léna, une étudiante, « ce n'est pas seulement en dehors des marches qu'il faut agir physiquement. Dissocier les actions de la manifestation n'est pas la solution. Il faut redonner aux marches un caractère offensif et autogéré ».
« J'en ai marre qu'on nous qualifie de gentil et de mignon. Le pouvoir et les médias nous infantilisent, ajoutait Fleur sur le parcours. Nous ne sommes pas seulement en grève, nous sommes en rage, nous sommes révoltés. Avec ces mois de mobilisation, l'écologie est devenue notre quotidien. Ça nous a changé. Maintenant, on veut prolonger la grève pour le climat à toute notre vie ».
Vers 15 heure, un invité surprise s'est glissé dans le cortège. 130 activistes ont exhibé le portrait d'Emmanuel Macron, décroché le matin même à la mairie du 19 e arrondissement. Une manière de ridiculiser celui qui s'était sacré « champion de la Terre ».
Arrivés place de la République, les décrocheurs de portraits ont pris la parole pour expliquer leur action : « L'écologie n'est pas un argument de campagne mais une action de vie ou de mort. Aujourd'hui, nous sommes prêt à prendre des risques et à entrer en résistance ».