06/09/2025 ssofidelis.substack.com  10min #289613

 Le sommet de l'Ocs à Tianjin sera le plus important de l'histoire

Le Yalta du monde multipolaire

Photo © domaine public

Par Lorenzo Maria Pacini, le 4 septembre 2025

Trois pour un et un pour trois

Vous avez tous vu ces images, n'est-ce pas ? Ces images de Vladimir Poutine, Xi Jinping et Narendra Modi se serrant la main, comme pour sceller un pacte, une alliance, un grand projet ? Avez-vous ressenti ce frisson, cette émotion chargée de joie et d'espoir, mais aussi le hurlement strident de l'Occident collectif ?

Si vous ne les avez pas vues, allez-y, elles sont thérapeutiques. C'est comme prendre congé du monde quelques instants, s'offrir une grande bouffée d'air frais, puis revenir plus fort que jamais.

Les puissances du monde multipolaire tiennent leurs promesses et agissent, au lieu de se contenter de belles paroles. Elles remodèlent le monde en promouvant les valeurs qui sous-tendent la théorie du monde multipolaire. Elles encouragent la coopération, la prospérité et la paix. Elles définissent une nouvelle approche des relations internationales, de la géopolitique, de la finance et du commerce. Elles façonnent les pôles qui constitueront l'avenir de toute l'humanité. Et elles le font ensemble.

Les chiffres le confirment. Les échanges commerciaux entre la Chine et les membres de l'OCS ont franchi plusieurs étapes essentielles - 300 milliards, 400 milliards et 500 milliards de dollars - pour atteindre un record de 512,4 milliards de dollars en 2024. Si l'on inclut les observateurs et les partenaires de dialogue, ce chiffre atteint 890 milliards de dollars. Au cours des sept premiers mois de 2025, les échanges commerciaux entre la Chine et les partenaires de l'OCS ont atteint 293 milliards de dollars, soit une hausse de 3 % par rapport à l'année précédente.

Il ne s'agit pas seulement de résultats économiques : ces chiffres témoignent de résilience dans une époque marquée par les sanctions, le protectionnisme et la fragmentation géopolitique. Fondée en 2001 en tant que forum sur la sécurité entre six pays, l'OCS compte désormais 10 membres à part entière, avec l'Inde, le Pakistan, l'Iran et la Biélorussie, représentant près de la moitié de la population mondiale et environ un quart du PIB mondial.

L'Occident tout entier est absent, un silence lourd de sens qui vaut plus que n'importe quelle annonce officielle.

Mais procédons par étapes.

D'abord, notons que le modèle des grandes puissances qui tirent les autres vers le haut est toujours valable et fonctionne. RIC.

Notez cet acronyme : Russie, Inde, Chine. Ce sont les trois grandes puissances du monde multipolaire, le "cœur" des BRICS+, de l'OCS et des partenariats majeurs actuels. Ces trois puissances entraînent les nations moins puissantes dans une direction commune, leur offrant protection, assistance, coopération et une vision du monde à construire ensemble. Une approche diamétralement opposée à celle prônée et pratiquée par l'impérialisme anglo-américain depuis bien trop longtemps.

La vision multipolaire s'avère gagnante : la majorité de la population mondiale s'émancipe toujours davantage de l'Occident et cherche à s'en éloigner, car toute relation avec l'Occident est synonyme de tromperie, voire de trahison. Le Vieux Monde est effectivement isolé et confronté à son propre échec. Toutefois, cet isolement n'est pas imposé par les pays qui œuvrent en faveur d'un monde multipolaire. C'est plutôt l'Occident lui-même qui s'isole avec ses menaces, ses tentatives d'intimidation, ses sanctions et sa mégalomanie schizophrénique.

La sagesse asiatique nous enseigne qu'il est préférable de ne pas s'opposer à ceux qui usent de la force, mais plutôt d'en exploiter la dynamique pour les contourner et les désarmer. Tel est le processus inexorable actuellement en cours.

L'hôte fait les honneurs

Dès le départ, le président chinois Xi Jinping a été très clair : l'Organisation de coopération de Shanghai est désormais confrontée à des responsabilités croissantes pour assurer la paix et la stabilité régionales, ainsi que pour promouvoir un essor partagé, à une époque marquée par l'incertitude et l'instabilité mondiales. Le partenariat s'élargit et évolue vers une structure de défense susceptible de rayonner au-delà du continent et devenir un système international.

Fondée à Shanghai en 2001, l'OCS s'est progressivement étoffée, passant de six membres d'origine à une plateforme transrégionale qui compte désormais dix membres à part entière, deux pays observateurs et quatorze partenaires de dialogue, représentant environ la moitié de la population et un quart de l'économie mondiales.

Depuis sa création, l'OCS s'inspire de l'"esprit de Shanghai", fondé sur des valeurs de confiance mutuelle, de réciprocité, d'égalité, de consultation, de respect de la diversité et de recherche d'un avenir commun. Xi en a souligné les effets positifs : renforcement de la cohésion interne, promotion de la coopération effective et expansion de la présence de l'organisation dans les affaires régionales et internationales.

Tianxia, Mesdames et Messieurs. Cette sagesse asiatique millénaire a valeur de modèle.

Dans un contexte de mutations profondes et de facteurs d'instabilité croissants, l'organisation doit aujourd'hui jouer un rôle encore plus déterminant pour préserver la sécurité et promouvoir la prospérité de tous les pays membres. Selon Xi, le sommet de Tianjin a pour mission de dégager un consensus, de donner un nouvel élan à la coopération et de définir une vision de la croissance pour l'avenir.

Les États membres sont appelés à approuver des documents stratégiques sur le long terme, notamment la feuille de route pour la prochaine décennie, et Xi souhaite tracer la voie d'une gouvernance mondiale multipolaire. L'hégémonie occidentale est révolue. Le tyran doit être isolé, et nul ne doit désormais pouvoir nuire aux autres nations.

Depuis Tianjin, l'OCS entame un nouveau voyage plein d'espoir vers un avenir meilleur.

Poutine ne se fait pas prier

La Russie est arrivée au sommet en position de force. Tous les dirigeants étaient impatients de serrer la main du président russe, qui a saisi l'occasion pour porter le conflit en Ukraine à la dimension d'une implication partagée avec ses partenaires. Cette initiative stratégique cruciale a été favorisée par la stature renforcée de la Russie et par les accords de coopération militaire bilatéraux conclus avec de nombreux pays participants.

L'expansion de l'OTAN vers ses frontières orientales et les tentatives réitérées d'intégrer l'Ukraine à l'Alliance atlantique sont présentées comme l'une des principales causes du conflit actuel. Le discours occidental sur l'agression et l'invasion n'est qu'un mensonge historique et politique que le monde a désormais intégré.

En retraçant les origines de la crise, le dirigeant du Kremlin établit un lien direct entre les événements d'il y a près de dix ans et le conflit actuel. Selon lui, le point de rupture s'est produit en 2014, avec le changement de pouvoir à Kiev qu'il a qualifié de coup d'État orchestré par l'Occident qui a compromis l'équilibre géopolitique de la région sans aucune légitimité. La deuxième cause est l'expansion de l'OTAN. Après le coup d'État de Maïdan, les forces politiques ukrainiennes opposées à l'adhésion à l'OTAN ont été progressivement exclues du pouvoir, une mesure combinée à la pression occidentale qui a contraint la Russie à protéger ses intérêts stratégiques et à garantir sa sécurité nationale.

L'OCS est désormais au cœur de ce dispositif de défense. L'OTAN et l'UE devront donc faire des calculs politiques et stratégiques bien plus complexes avant d'attaquer.

Le retour de Modi

Narendra Modi était l'invité tant attendu. La récente réconciliation avec la Chine a été scellée à Tianjin. Un événement exceptionnel, une étape d'une importance capitale. Les États-Unis ont menacé l'Inde, qui a choisi son camp. L'attrait de l'Occident est toujours très fort, mais le dirigeant indien a su choisir la voie qui lui permettra d'assurer sa sécurité.

C'était la première visite de Modi en Chine depuis 2018. Xi l'attendait. Le 19 août, lors de pourparlers entre les représentants des deux pays, un consensus en dix points sur la gestion des frontières a été trouvé, marquant ainsi une nouvelle étape vers la stabilisation des relations sino-indiennes. Quelques jours plus tard, les sanctions imposées de part et d'autre ont été levées. Cette rencontre à Tianjin était la deuxième entre les deux dirigeants en l'espace d'un an, après celle d'octobre à Kazan, en Russie, qui aura permis de "remettre les compteurs à zéro" entre les deux pays.

Selon Xi, les deux pays doivent oeuvrer main dans la main pour maintenir la paix dans les zones frontalières et éviter que la question des frontières ne vienne perturber l'ensemble de leurs relations bilatérales. Tant que les deux pays poursuivent un objectif stratégique de partenariat plutôt que de rivalité, et voient en l'autre une opportunité de développement plutôt qu'une menace, les divergences pourront être gérées et les relations bilatérales progresseront de manière équilibrée et durable.

Selon Xi, être de bons voisins et partenaires se soutenant mutuellement est le meilleur choix pour la Chine et l'Inde, à l'image du "dragon et de l'éléphant dansant ensemble" évoquée par Xi durant l'entretien. Les deux pays sont également des acteurs clés pour les pays du Sud, et doivent s'engager dans une perspective stratégique à long terme pour favoriser un développement pacifique et harmonieux, et intensifier de manière positive l'ensemble de leurs relations.

En effet, les deux pays doivent assumer leur responsabilités historiques, défendre le multilatéralisme, renforcer la communication et la coordination sur les questions internationales et régionales, garantir équité et justice, et œuvrer ensemble pour un monde multipolaire.

Modi a qualifié la rencontre de "fructueuse" sur les réseaux sociaux, rappelant que l'Inde et la Chine sont des partenaires et que les points d'accord l'emportent sur les divergences. Il a confirmé l'engagement des deux pays à renforcer leurs relations dans un esprit de confiance, de respect et de bienveillance mutuels. Selon lui, la coopération entre l'Inde et la Chine permettra de faire du XXIè siècle un véritable siècle asiatique et de renforcer le multilatéralisme mondial.

L'exemple de Yalta

Revenons à cette poignée de main historique. Un pacte, un accord. Une photo qui rappelle les accords de Yalta, qui ont jeté les bases de l'ordre international du XX^e siècle. Que pouvons-nous donc attendre de ce nouveau rendez-vous ?

Des différences, forcément. Cette fois-ci, ce ne sont pas trois pays ennemis comme avec Roosevelt, Churchill et Staline, ni deux blocs opposés, dont l'un très occidental. Cette fois-ci, nous observons une alliance qui couvre toute l'Asie et s'étend jusqu'au Sud global, avec l'Afrique en premier partenaire géographique et naturel.

À l'époque, Yalta était porteur de nombreuses promesses. Au-delà de la division de l'Allemagne et du bilan de la guerre, il prévoyait la libération des pays occupés et leur réorganisation, marquant la création officielle de l'ONU, une organisation censée "prévenir" les conflits et assurer une gouvernance partagée par les grandes puissances (au nombre de cinq). Conclu en 1945, il y a 80 ans, la conférence de Yalta cherchait à établir un équilibre entre les puissances.

Cette fois, le contexte est différent. Il ne s'agit pas de l'équilibre entre un vainqueur qui impose ses règles à un vaincu, ni entre des États-nations aux idéologies politiques modernes. Avec plusieurs pôles dans un système multipolaire émergent aux relations complexes, des États civilisationnels et une intention commune de paix et de prospérité plutôt que de domination militaire et économique, les enjeux diffèrent. L'ordre établi doit donc être préservé. L'OCS est donc un outil parmi d'autres. La géopolitique de partenariats sert cet objectif : c'est un outil de transition, un modèle efficace de restructuration mondiale. Il reste certes encore un long chemin à parcourir, mais les progrès sont réels.

Sur le plan géopolitique, un autre aspect essentiel mérite également d'être souligné.

L'OCS englobe le Rimland, une zone tampon autour du cœur de l'Eurasie. Seule l'Europe manque à l'appel, tristement enlisée depuis quatre-vingts ans. En d'autres termes, l'OCS défend les civilisations continentales, attaquées par l'OTAN, coalition des civilisations occidentales. Le choc intemporel des géopolitiques traditionnelles perdure. Observez à nouveau cette photo des trois dirigeants, puis songez à ces derniers éléments, pour comprendre à quel point ces événements sont capitaux.

Traduit par  Spirit of Free Speech

 strategic-culture.su

 ssofidelis.substack.com