15/12/2020 tlaxcala-int.org  5min #182950

 Affaire Giulio Regeni : l'Italie s'impatiente, Sissi continue à faire le mort

Les 750 Patrick Zaki et les mille Giulio Regeni du régime égyptien

 Chiara Cruciati

L'étudiant écrit à sa famille : « Je ne vais pas bien ». Sa détention a été renouvelée ainsi que celle de centaines de prisonniers : en 12 heures, 750 cas ont été examinés, soit 62 accusés à l'heure. Un nouveau rapport révèle que 1 058 personnes sont mortes en prison depuis 2013, l'année du coup d'État d'Al Sissi.

« J'espère que vous allez tous bien. » C'est ainsi que Patrick Zaki a commencé sa dernière lettre à sa famille, écrite au stylo bleu sur une feuille de papier rayée. Il l'a écrite depuis la prison de Tora, où le régime détient des prisonniers politiques dans des conditions difficiles à imaginer. Elle est datée du 12 décembre, hier. La famille l'a reçue (ainsi qu'une lettre précédente datée du 22 novembre) lors d'une visite et l'a rendue public sur la page Facebook «  Patrick Libero  الحرية لباتريك چورچ», qui accompagne une nouvelle demande de libération.

« Les dernières décisions sont décevantes et, comme d'habitude, sans motif compréhensible. J'ai toujours des problèmes de dos et j'ai besoin d'un antidouleur puissant et d'herbes pour m'aider à mieux dormir. Mon état mental n'est pas bon depuis la dernière session. Je n'arrête pas de penser à l'université et à l'année que j'ai perdue ».

Des mots qui maintiennent la famille dans une angoisse impuissante : ces dernières semaines, l'état mental et physique de l'étudiant de l'université de Bologne s'est aggravé, détérioré par le  renouvellement lancinant de la détention provisoire sans jamais aller au procès.

« Nous demandons à l'ambassade (italienne) - a déclaré hier Patrizio Gonnella, président d'Antigone, à l'Adnkronos - d'envoyer une équipe médicale pour vérifier son état psychophysique ». Virginio Merola, maire de Bologne, la ville où Patrick étudie, a également pris la parole : « Il est important que la dignité de l'État italien soit restaurée. Dans cette situation, je pense qu'il serait indispensable de retirer au moins l'ambassadeur ».

Ce qui a noirci son horizon a été la dernière audience, qui a eu lieu le 7 décembre, lorsque sa détention a été renouvelée pour 45 jours supplémentaires. Anticipée d'un mois (elle devait se tenir en janvier prochain), elle avait suscité des espoirs déçus lorsqu'on s'était rendu compte que ce dimanche-là, un seul tribunal, celui du troisième circuit antiterroriste du Caire, déciderait du renouvellement de la détention (ou de la libération) pour environ 750 prisonniers. 750 personnes dans une session de douze heures, cela signifie 62 de l'heure, soit plus d'un prisonnier par minute.

Des chiffres sans précédent aussi pour la machine judiciaire égyptienne huilée et qui rendent vaine toute aspiration à un procès équitable ou à la protection des droits de la défense. C'est ce que soulignent les avocats présents site indépendant égyptien Mada Masr : « Le juge aurait dû écouter qui ? Quelles affaires méritaient un regard ? ». Aucune chance d'ouvrir la bouche pour les avocats, obligés - dans certains cas avec leurs clients - de s'entasser au tribunal en pleine pandémie, invoquée par le régime pour refuser les audiences et les visites familiales pendant des mois.

Toutes les détentions ont été renouvelées, y compris celle de la célèbre avocate Hoda Abdel Moneim et de l'ancien candidat à la présidence Abdel Moneim Abouel Fotouh, transporté en ambulance dans la salle d'audience : « Tenir une séance avec un tel nombre d'accusés et renouveler la détention pour tous n'est qu'un exercice symbolique - explique un avocat - A quoi sert de mettre en place une défense si, au final, le tribunal renouvelle des détentions en violation de la loi ? »

La loi existe, mais dans les années post-putsch, elle a subi des changements si importants qu'elle a été adaptée aux besoins répressifs du régime. En tout cas, elle est violée. Un autre éclairage sur les prisons est apporté par l'association Comité pour la justice, basée à Genève : depuis 2013, année du coup d'État, 1 058 personnes sont mortes en détention en Égypte, dont 100 entre janvier et octobre 2020.

Dans le rapport «  Les Giulio Regeni d'Égypte », le CFJ a rassemblé tous les cas de décès par âge, structure de la prison et raisons : torture (144), manque de soins (761), suicide (67), mauvaises conditions dans la cellule (57) et autres raisons (29). Le rapport est sorti le jour où, en Italie, le ministère public de Rome a rendu compte de la clôture de l'enquête sur la torture et le meurtre du jeune chercheur italien et de l'intention de demander l'inculpation de quatre agents de la sécurité nationale du Caire.

On connaît maintenant aussi le visage de l'un d'entre eux, a-t-on appris vendredi : c'est lui qui a aidé le syndicaliste Mohammed Abdallah à éteindre la caméra fournie par les services secrets après avoir enregistré le visage et les paroles de Giulio Regeni le 7 janvier 2016. À cette occasion, Abdallah a parlé avec Giulio des fonds de la Fondation Antipode, 10 000 livres qui, selon le bureau du procureur, sont le motif de l'enlèvement et du meurtre du chercheur.

C'est dans ce contexte qu'intervient la nouvelle de la condamnation à trois ans de prison prononcée hier à l'encontre de neuf policiers accusés de torture et du meurtre de Magdy Makeen, 53 ans, vendeur de poisson, qui a eu lieu au poste de police d'Al Amiriya au Caire fin 2016. Une rareté dans l'Égypte d'Al Sissi.

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  ilmanifesto.it
Publication date of original article: 13/12/2020

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