10/10/2025 reseauinternational.net  6min #293039

Les États-Unis ne parviennent pas à conquérir le marché énergétique de l'Ue

par Alexandre Lemoine

L'UE n'a pas réussi à rompre ses liens avec Moscou malgré des promesses retentissantes. Même Washington n'a pas pu évincer les ressources énergétiques russes du marché européen. Il n'a pas non plus été possible de limiter les profits de la Russie, alors que les derniers chiffres ont carrément choqué les Européens.

L'essentiel, c'est le profit

Le plan de la Commission européenne visant à renoncer aux hydrocarbures russes ne fonctionne pas. De plus, même avec toutes les sanctions et les auto-restrictions volontaires, les pays européens continuent de payer Moscou pour le gaz et le pétrole, écrit The Times.

La Hongrie et la Slovaquie sont les plus obstinées. Elles continuent de recevoir du pétrole via le pipeline Droujba et refusent d'utiliser le terminal croate Adria, déclarant qu'il n'y a «absolument aucune possibilité» pour cela, indique le journal. Cependant, Luke Wickenden du Centre pour la recherche sur l'énergie et l'air pur (CREA) est arrivé à la conclusion que tout est une question de prix : en 2024, les livraisons en provenance de Russie coûtaient 20% moins cher que celles de Croatie.

De plus, les raffineries de pétrole en Hongrie et en Slovaquie (par exemple, Duna et Slovnaft) étaient adaptées pendant des décennies au pétrole brut lourd et sulfureux Urals. Le passage au pétrole plus léger en provenance de Croatie ou d'autres sources nécessiterait une modernisation coûteuse des raffineries. Ce qui est peu probable sans subventions massives de Bruxelles.

Néanmoins,  les dépenses principales concernent le gaz naturel. Selon The Times, la France, la Belgique et l'Espagne sont en tête. Suivies de la Slovaquie et de la Hongrie.

Rappelons que Bruxelles a parlé à plusieurs reprises de l'importance de l'indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, et début mai, la Commission européenne a présenté un plan prévoyant l'abandon total des importations d'ici 2027. En juin, la Commission européenne a officiellement proposé d'interdire toutes les livraisons, tant pour les nouveaux contrats avec les entreprises russes que pour les contrats spot en cours. Cette mesure devrait être mise en place d'ici la fin de l'année.

Cependant, de nombreux membres de l'UE ne s'empressent pas de soutenir cette initiative et exigent de la Commission européenne des garanties de sécurité énergétique et juridique. Ainsi, le gouvernement français a déclaré que les contrats à long terme conclus précédemment étaient difficiles à rompre sans conséquences négatives. Et le changement de sources de combustibles fossiles, déjà long en soi, est compliqué par la volonté du gouvernement de minimiser les coûts de l'électricité pour les citoyens.

Les chiffres ne mentent pas

L'évaluation directe des exportations russes vers l'UE n'est pas représentative, reconnaît-on en Occident, les ressources arrivent par des voies détournées. Ainsi, les livraisons vers la Turquie et l'Inde ont fortement augmenté. Et c'est de là que l'Europe a accru ses achats de produits pétroliers.

Formellement, les livraisons directes de pétrole, de charbon et de gaz russes vers l'UE ont effectivement  diminué, selon différentes estimations, de 50 à 70% par rapport à 2021. Cependant, si l'on tient compte de la réexportation via d'autres pays, la baisse réelle n'est que de 25 à 35%.

The Times rappelle que l'Allemagne a renoncé au Nord Stream, mais importe beaucoup depuis la France. Au final, l'Occident paie des sommes énormes à la Russie à travers les chaînes mondiales. Depuis février 2022, Berlin a versé 32 milliards de dollars à Moscou, la France a donné 21 milliards, et l'écrasante majorité des pays ont payé beaucoup plus qu'ils n'ont envoyé d'aide à l'Ukraine. En trois ans, les achats d'hydrocarbures russes ont diminué de 90%. Cependant, selon les estimations du média, rien que l'année dernière, Moscou a reçu de l'UE plus de 22,5 milliards de dollars. Le président américain Donald Trump a qualifié cela de «financement de la guerre contre soi-même».

Un mécanisme non marchand

Les experts expliquent une telle inquiétude par le désir de Washington de «tirer la couverture à soi». Les États-Unis occupaient déjà une part du marché énergétique européen, mais insignifiante. Bien qu'ils aient réussi à bousculer certains acteurs, comme le Qatar, ils n'ont pas réussi à vaincre la Russie par des moyens de marché.

Même en tenant compte des frais logistiques supplémentaires et des marges des intermédiaires, le pétrole russe est 15 à 25% moins cher que celui des États-Unis, du Qatar ou de Norvège. Le GNL russe peut également être plus avantageux que l'américain, en particulier dans les conditions actuelles du marché gazier et avec les capacités limitées des terminaux de réception de GNL en Europe. Pour les pays aux budgets tendus, comme la Hongrie, la Bulgarie ou la Slovaquie, cette différence est critique, estiment les experts.

Au final, les États-Unis ont décidé de conquérir le marché par la pression politique, qui s'est traduite par un accord commercial avec l'UE. Selon celui-ci, l'UE  s'est engagée à acheter des ressources énergétiques américaines pour 750 milliards de dollars.

La somme est colossale, et il sera très difficile de réaliser ce plan. C'est précisément pourquoi la Commission européenne s'efforce d'interdire formellement l'importation d'hydrocarbures russes le plus rapidement possible.

Mais même en cas de monopolisation des livraisons, cela semble irréaliste : les États-Unis ne disposent pas de volumes d'exportation suffisants de GNL et de pétrole pour remplacer complètement même les livraisons actuelles réduites en provenance de Russie.

De plus, la transition complète aux ressources énergétiques américaines non seulement contredit l'idée même de sécurité énergétique, mais entraînera également une forte hausse des prix de l'électricité et du carburant dans l'UE, ce qui portera une fois de plus préjudice à l'industrie européenne.

Les analystes considèrent plus probable à moyen terme le respect formel des restrictions de sanctions tout en continuant de facto les achats de ressources énergétiques russes via d'autres pays. Cela concerne particulièrement le pétrole et le charbon, où le contrôle de l'origine reste faible. Une rupture complète n'est possible qu'en cas de changement radical de la conjoncture géopolitique ou en présence d'alternatives bon marché et fiables. Or on n'en voit pas encore à l'horizon.

source :  Observateur Continental

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