Par Yves Smith - Le 7 octobre 2022 - Source Naked capitalism
L'une des principales histoires du jour est la colère de l'administration Biden à propos de l'accord de l'OPEP+ visant à réduire la production de pétrole de 2 millions de barils par jour. L'équipe Biden le prend personnellement, décrivant l'affaire comme une surprise, malicieusement programmée pour nuire aux perspectives du parti Démocrate lors des élections de mi-mandat, et la preuve que les Saoudiens, l'un des alliés de longue date des États-Unis au Moyen-Orient, travaillent de concert avec la Russie.
Ce qui est frappant dans cette crise de colère, c'est qu'elle apparaît comme une nouvelle démonstration de l'immaturité géopolitique des États-Unis.
Tout d'abord, M. Le Marché n'a, lui, pas été surpris. D'ailleurs, les prix du pétrole ont peu bougé à la suite de cette nouvelle, alors pourquoi l'équipe Biden ne remarque pas ce que les investisseurs considèrent comme évident. Serait-ce le signe d'une confiance excessive de l'hégémon en son pouvoir ? Toutefois, la réaction tiède du marché semble également due au fait que la réduction n'a pas été entièrement implémentée. D'après le Financial Times :
La baisse réelle de la production due à l'abaissement de l'objectif du groupe Opep+ sera probablement plus proche du 1 million de b/j que des 2 millions de b/j annoncés, car bon nombre de ses membres les plus faibles ont eu du mal à atteindre leurs objectifs de production ces derniers mois.
Pourtant, les responsables de Biden ont affirmé que les Saoudiens ne les avaient pas prévenus de cette éventualité. Extrait de Bloomberg :
Le principal conseiller de Biden en matière d'énergie, Amos Hochstein, a déclaré jeudi sur Bloomberg Television qu'après une réunion avec le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman, il y a moins de deux semaines, il n'avait pas l'impression que l'OPEP+ était prête à procéder à sa réduction la plus spectaculaire depuis le début de la pandémie.
C'est peut-être vrai, mais pourquoi les Saoudiens devraient-ils expliquer ce que l'administration Biden a clairement fait savoir qu'elle ne voulait pas entendre, à savoir que les Saoudiens ne vont pas s'abstenir de réduire la production juste pour sauver la peau de Biden ? En tant que poids lourd d'un cartel pétrolier, ils vont gérer la production comme ils l'entendent pour réguler les prix.
Rappelez-vous que le prince héritier saoudien Mohammed bin Salam a refusé de prendre un appel de Biden en mars dernier pour discuter de la crise des prix du pétrole déclenchée par les sanctions américaines contre la Russie. Il s'agit d'un signal très fort indiquant que MbS ne considère pas que Riyad ait à recevoir des ordres de Washington.
N'oubliez pas non plus que, malgré les jérémiades de l'administration selon lesquelles cette réduction de la production est un ignoble complot russe (tout ce qui est mauvais et ne peut être attribué à Trump doit l'être à Poutine), comme Alexander Mercouris l'a souligné dans sa vidéo de jeudi, le Kremlin était opposé à la modeste réduction de la production le mois dernier.
Dans le même ordre d'idées, le ministre saoudien de l'énergie a réprimandé hier un journaliste de Reuters au sujet des allégations de collusion entre l'Arabie saoudite et la Russie formulées par la nouvelle agence et a déclaré que cela ne s'était pas produit dans les cas récemment revendiqués ni maintenant non plus :
Un deuxième signe d'immaturité géopolitique est de faire des menaces que l'on ne peut pas tenir, ce qui est le cas de ces fulminations. Toujours selon Bloomberg :
Les Démocrates du Congrès, furieux, ont appelé à des représailles contre Riyad, un gouvernement considéré comme un allié de moins en moins fiable. Nombreux sont ceux qui soupçonnent que le prince héritier, dont M. Biden a déjà promis de faire du pays un « paria«, a choisi le moment de l'annonce pour avoir un impact maximal sur l'élection.Pourtant, Biden et son équipe n'ont pas de bonnes options pour répondre à la décision de l'OPEP+ et ne verraient que peu d'avantages à une dispute prolongée soulignant l'incapacité du président à influencer le cartel.
Troisièmement, l'équipe Biden semble ne pas être assez intelligente pour comprendre que le plan de plafonnement des prix du pétrole du G7, qu'elle a parrainé et qu'elle prévoit toujours apparemment de mettre en œuvre malgré le manque d'adhésion en dehors de la sphère de « l'occident collectif », équivaut à essayer de briser l'OPEP. Il est donc possible que le timing ait été délibéré et qu'il s'agisse de représailles, et pas seulement d'une réponse à « des prix plus bas que nous le souhaitons depuis trop longtemps«.
Quatrièmement, certaines des déclarations de l'administration Biden confirment l'attitude colonialiste des États-Unis que Poutine a décrite de manière très précise dans son discours de la semaine dernière. Remarquez cette section d'un article du Wall Street Journal :
À Washington, les législateurs ont concentré leur attention sur l'Arabie saoudite, affirmant que le pays s'est aligné sur la Russie malgré son attaque contre l'Ukraine, ce qui rend le royaume inapte au soutien des États-Unis.Ils proposent des projets de loi qui permettraient de saisir les actifs que les pays membres de l'OPEP possèdent aux États-Unis ou d'exiger le retrait des forces armées américaines d'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.
« La famille royale saoudienne n'a jamais été un allié digne de confiance de notre nation«, a tweeté jeudi le sénateur Dick Durbin (D., Ill.), numéro 2 des démocrates au Sénat. « Il est temps pour notre politique étrangère d'imaginer un monde sans leur alliance«.
Comme le dirait Lambert, c'est merveilleusement explicite. Les États-Unis pensent qu'il est raisonnable de voler les pays qui ne se plient pas à leur volonté.
Par Tsvetana Paraskova, rédactrice pour Oilprice.com, qui a plus de dix ans d'expérience dans la rédaction pour des organes d'information tels que iNVEZZ et SeeNews. Publié à l'origine sur OilPrice :
Le secrétaire d'État Blinken a qualifié la décision de l'OPEP+ de réduire la production de 2 millions de bpj de « décevante et à courte vue«.
Le secrétaire d'État a déclaré que les États-Unis examinaient leurs « options de réponse » et consultaient étroitement le Congrès.
Le président Biden a ordonné une nouvelle libération de 10 millions de barils de la réserve stratégique de pétrole, en novembre, et continuera à ordonner des libérations en fonction des besoins.
Les États-Unis envisagent des « options de réponse » dans leurs relations avec les membres de l'OPEP+ et son chef de file de facto, l'Arabie saoudite, après que le groupe a annoncé une importante réduction nominale de 2 millions de bpj de son objectif collectif de production de pétrole plus tôt cette semaine, a déclaré le secrétaire d'État américain Antony Blinken.
« En ce qui concerne les relations futures, nous examinons un certain nombre d'options de réponse. Nous consultons étroitement le Congrès«, a déclaré le secrétaire Blinken lors d'une conférence de presse au Pérou jeudi en fin de journée.
« Nous ne ferons rien qui puisse porter atteinte à nos intérêts - c'est ce qui nous guidera avant tout - et nous garderons tous ces intérêts à l'esprit et consulterons étroitement toutes les parties prenantes concernées lorsque nous déciderons des mesures à prendre«, a ajouté le secrétaire Blinken.
Invité à commenter la réduction de la production de l'OPEP+, il a déclaré : « Nous considérons que cette décision est à la fois décevante et à courte vue, d'autant plus que l'économie mondiale doit faire face aux conséquences de la reprise après le COVID, ainsi qu'à l'agression de la Russie en Ukraine et aux conséquences qui en découlent. »
« Nous avons toujours dit que l'offre doit répondre à la demande, et nous avons été clairs à ce sujet et nous avons travaillé sur ce point«, a déclaré le secrétaire Blinken.
Suite à la décision de l'OPEP+, le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, et le directeur du Conseil économique national (NEC), Brian Deese, ont déclaré dans un communiqué :
« Le président est déçu par la décision à courte vue de l'OPEP+ de réduire les quotas de production alors que l'économie mondiale doit faire face à l'impact négatif continu de l'invasion de l'Ukraine par Poutine. À la lumière de l'action d'aujourd'hui, l'administration Biden va également consulter le Congrès sur des outils et des pouvoirs supplémentaires pour réduire le contrôle de l'OPEP sur les prix de l'énergie ».
Le président Joe Biden a demandé au ministère de l'énergie de livrer 10 millions de barils supplémentaires de la réserve stratégique de pétrole (SPR) sur le marché le mois prochain, ont-ils ajouté.
« Le président continuera à ordonner des libérations de la réserve stratégique comme il convient pour protéger les consommateurs américains et promouvoir la sécurité énergétique, et il ordonne au secrétaire à l'énergie d'explorer toute action responsable supplémentaire pour continuer à augmenter la production nationale dans l'immédiat. »
Yves Smith
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.