Par Alexandre Lantier et Anthony Torres
13 janvier 2020
Des centaines de milliers de grévistes et de «gilets jaunes» ont manifesté samedi, alors qu'Edouard Philippe proposait un retrait «provisoire» en trompe-l'oeil d'une partie de la réforme des retraites. Le but de cette manœuvre cynique est de permettre aux syndicats de mettre fin progressivement à la grève, tout en donnant à Macron des pouvoirs accrus pour détruire les retraites.
Samedi, Philippe a publié une lettre qui proposait d'organiser quatre mois de discussions entre les fédérations patronales et syndicales sur le financement des retraites. Une analyse de la lettre de Philippe démontre toutefois qu'il n'y a aucun «retrait» significatif de sa part. Toutes les composantes essentielles de la réforme de Macron entreront en fait en application.
Ceci souligne que les négociations syndicales ne sont qu'un piège, car il n'y a rien à négocier avec Macron. Un conflict irréconciliable émerge entre d'un côté le gouvernement et les investisseurs qui le soutiennent comme BlackRock, et les travailleurs en France et à l'international mobilisés contre les inégalités et la guerre. Pour aller de l'avant, il s'agit de former des comités d'action indépendants des syndicats afin d'organiser la lutte pour faire chuter Macron.
La lettre de Philippe préserve la possibilité d'imposer toutes les réformes de Macron: passage à un système de retraites par «points», où les retraites sont calculées sur les 25 dernières années de salaire, et où l'État peut varier la valeur des «points» arbitrairement d'année en année; l'élimination des régimes spéciaux de retraite; et l'augmentation de deux ans de l'âge «d'équilibre» de la retraite. La lettre de Philippe indique seulement que, «provisoirement», cette dernière mesure pourrait ne pas entrer en application si les syndicats trouvent d'autres coupes sociales à réaliser.
Il écrit, «Je confirme la volonté du gouvernement de construire un système universel de retraites par répartition et par points... Les régimes spéciaux seront supprimés au terme de la période de transition définie en décembre dernier. Tous les Français seront affiliés au régime universel.»
Il poursuit, «L'impératif d'équilibre du système de retraite, ainsi que les importantes responsabilités confiées aux partenaires sociaux pour le piloter, seront inscrits dans le projet de loi. C'est aussi la raison pour laquelle le projet de loi prévoira que le futur système universel comporte un âge d'équilibre.» Philippe propose aux syndicats et aux fédérations patronales de tenir une conférence sur le financement des retraites qui «remettra ses conslusions d'ici la fin du mois d'avril 2020.»
Pendant que les syndicats et le patronat préparent ces coupes sociales, ajoute-t-il, «je suis disposé à retirer du projet de loi la mesure de court terme que j'avais proposée, consistant à converger progressivement à partir de 2022 vers un âge d'équilibre de 64 ans en 2027.»
Une fois que les syndicats auront fourni leurs recommandations, le gouvernement exigera les pleins pouvoirs pour attaquer les retraites, selon Philippe: «Le Gouvernement modifiera le projet de loi pour demander au Parlement une habilitation large lui permettant de prendre par ordonnance toute mesure permettant d'assurer l'équilibre du système de retraite à l'horizon 2027.» En clair, il peut réimposer par décret l'âge de la retraite à 64 ans, voire imposer des coupes plus draconiennes.
Même des politiques de droite comme la néofasciste Marine Le Pen et le sénateur gaulliste Roger Karouchi ont raillé cette lettre, en déclarant qu'ils ne savaient pas ce qu'est un retrait «provisioire» d'une mesure. Les syndicats, par contre, l'ont applaudie. La CFDT a déclaré qu'elle «salue le retrait de l'âge pivot du projet de loi, retrait qui marque la volonté de compromis du gouvernement.»
L'UNSA a aussi soutenu Macron, en traitant la lettre de Philippe de «bonne chose, qui permet de discuter sereinement de l'équilibre».
Philippe Martinez, chef de la CGT stalinienne, a avoué que «l'âge pivot est un leurre» qui «ne change rien à notre opposition à la réforme». Il a déjà insisté toutefois qu'il continuera à se rendre aux négociations des attaques contre les retraites avec l'État et le patronat, et qu'il est fier que la CGT ait assisté à «toutes» les négociations de la réforme des retraites avec Macron, depuis leur début en 2017.
Un gouffre de classe sépare les chefs syndicaux des millions de travailleurs qui ont fait grève ou manifesté contre la réforme. La base a lancé la lutte, et les travailleurs ont l'intention non seulement de stopper la réforme, mais de mettre fin aux politiques de guerre, d'austérité et d'inégalité mises en place par Macron et les marchés financiers internationaux.
Sylvie, une «gilet jaune», a dit au WSWS à Paris: «L'âge pivot on s'en fout on ne veut pas de la réforme tout court.... On sait bien que les syndicats on leur fait moyennement confiance, mais la base eux par contre ils sont déterminés.»
Mikaël, un travailleur des BTP et «gilet jaune», a dit: «Moi je pense que vraiment ceux qui dirigent les syndicats ont un peu de connivence avec lui, c'est surtout les syndiqués qui nous rejoignent qui viennent avec nous qui ne lâcheront rien eux.Moi je trouve que ils ne servent à rien. Voilà c'est le peuple qui doit se réveiller et qu'enfin on va pouvoir réussir à avoir quelque chose de correct.»
L'opposition monte aussi à la guerre et à l'aristocratie financière, soulignait Laurent, un chauffagiste: «Ils sont en train de tout détruire, ce qu'on veut c'est un avenir pour nos gosses... On retourne au 19ème siècle.»
Laurent a souligné son enthousiasme face aux mobilisations à l'international, de la grève de masse en Inde jusqu'au Liban: «C'est toujours les mêmes qui dirigent partout et c'est les mêmes qui font les mêmes dégâts partout. Quand on discute avec un Malien qui nous parle de Total et de Bolloré on se rend compte que l'on a tous le même ennemi, les mêmes parasites enfin les mêmes qui essayent de détruire toutes les nations. Demain s'ils veulent nous faire une guerre ils se mettront tous d'accord pour écraser les peuples et repartir de plus belle.»
Laurent a évoqué l'assassinat récent par un drone américain du général iranien Qassem Suleimani, qu'il a traité de «terrorisme. On n'a pas assassiné des gens dans leur pays, qu'on soit d'accord ou pas d'accord avec leur politique. Aujourd'hui ça déborde de partout. Ils sont capables de faire des actes criminels. C'est comme avec Saddam Hussein, Kadhafi», les chefs d'État irakien et libyen renversés et mis à mort lors de guerres américaines. «On les a tué pour le pétrole et l'argent», a dit Laurent.
Plusieurs manifestants ont souligné le danger de guerre et de répression sur fond de crise iranienne, et alors que Macron veut passer en force sur les retraites. Sophie, une prof de français, a dit que les violences policières sont «inadmissibles et le pire c'est que ça semble se banaliser. Ne parlons pas des élites médiatiques, les intellectuels qui devraient s'insurger, rout ce monde là a été étonnamment silencieux sur le sujet. Les violences policières c'est scandaleux et là ça devient grave parce qu'on sent que vraiment ils sont en roue libre. Ce qui s'est passé jeudi en tête de cortège est odieux, des tirs à bout portant.»
Elle a ajouté qu'une guerre en Iran ou au Moyen Orient servirait à justifier le nationalisme et la répression en Europe: «Le point de vue de pas mal d'entre nous c'est d'abord un bon moyen aussi d'étouffer les luttes locales. On l'a vu parce qu'au Liban ça a tout de suite arrêté le mouvement.... on sait que la guerre c'est le meilleur moyen pour étouffer les colères des peuples.»
Ceci souligne la nécessité pour les travailleurs d'ôter aux syndicats le contrôle de leurs propres luttes, et de construire des comités d'action indépendants pour mener une lutte politique contre la guerre, l'austérité et pour faire chuter Macron.