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 Cjpmo se félicite des mandats d'arrêt de la Cpi à l'encontre de Netanyahu et Gallant, et demande instamment au Canada de les exécuter

Les mandats de la Cpi & le monde qu'ils préfigurent

Par Patrick Lawrence pour ScheerPost, le 24 novembre 2024

LONDRES - On raconte souvent une vieille histoire à propos d'un article de première page que l'un des grands quotidiens d'ici [britannique] aurait publié un jour. Le titre en est : "Tempête dans la Manche, le continent est isolé". Personne n'est certain qu'un journal ait jamais publié un tel article avec un tel titre. La plupart des gens pensent qu'il s'agit d'une histoire apocryphe destinée à suggérer la sensibilité anglocentrique qui caractérise parfois les Anglais.

Les gens citent de temps en temps des éléments précis : l'histoire a été publiée dans le Times des années 1930. Non, c'était dans le Daily Mirror des années 1940. Un lecteur a fait remarquer il y a quelques années sur AskHistorians, un portail hébergé sur Reddit, que la date et la référence les plus courantes sont The Daily Telegraph, autour de 1929.

J'ai toujours été d'avis qu'il y avait une part de vérité locale, mais pas de vérité littérale. Or, au vu des informations publiées depuis que la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre et du ministre de la Défense d'Israël, le 21 novembre, je me pose des questions sur The Telegraph.

"La CPI met sa réputation à l'épreuve en poursuivant Netanyahu",  titre le  Telegraph dans son édition de jeudi soir. Le sous-titre correspond tout aussi bien à un sablier à l'envers : "Les poursuites engagées contre des personnalités démocratiquement élues et soutenues par l'Occident va mettre la légitimité de la Cour à l'épreuve".

Pour reprendre une vieille rengaine, les Anglais sont toujours au rendez-vous.

La Cour n'a pas publié les documents relatifs aux mandats qu'elle a délivrés. Jeudi, elle a simplement cité des "motifs suffisants" selon lesquels le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant "ont intentionnellement et sciemment privé la population civile de Gaza du nécessaire à sa survie". Il s'agit d'un langage juridique alléguant que les Israéliens ont systématiquement utilisé la famine comme arme de guerre, un crime de guerre dont le régime terroriste est ouvertement coupable. Mais compte tenu des massacres et atrocités dont le monde a été témoin en temps réel, je pense que les accusations portées dans le cadre des enquêtes de M. Khan sont probablement bien plus nombreuses.

La CPI a délivré un troisième mandat d'arrêt à l'encontre de Mohammed Deif, le plus haut commandant militaire du Hamas, pour "crimes contre l'humanité et crimes de guerre". À mon avis, il s'agit d'une réponse préventive aux accusations selon lesquelles les conclusions de Khan sont partiales. Quelle que soit la culpabilité de Deif dans les événements du 7 octobre il y a un an, il ne sera jamais jugé : les Israéliens ont annoncé au cours de l'été qu'ils l'avaient tué lors d'une frappe aérienne en juillet dernier. Le tribunal a simplement déclaré qu'il ne pouvait pas vérifier sa mort. C'est ainsi que le mandat d'arrêt a été émis.

Les puissances occidentales et l'État sioniste s'attendent à ces mandats depuis que Karim Khan, le procureur général de la Cour, les a requis en mai dernier. Le régime de Netanyahu a instantanément qualifié les recommandations de Kahn de honte antisémite. "C'est scandaleux", a proclamé le président Biden, un sioniste revendiqué qui a accepté plusieurs millions de dollars du lobby israélien. Dites-moi ce qu'il y a de nouveau sous le soleil, s'il vous plaît. Le point qui nous intéresse ici, c'est que ce genre d'argumentation ne mène plus nulle part.

Le principal argument avancé par le monde dans l'attente des mandats d'arrêt - et on peut se demander pourquoi la Cour a pris autant de temps - a été d'ordre juridictionnel : Israël ne fait pas partie des 124 membres de la CPI et le régime sioniste affirme que ses dirigeants ne sont donc pas soumis aux décisions de la Cour. Le régime Biden, qui n'est pas non plus membre, a soutenu cette affirmation - tout seul, comme d'habitude. Cela non plus n'a pas tenu la route, comme on peut s'en douter.

De nombreuses bizarreries ont également été dissimulées à l'opinion publique. Le mois dernier,  le  Daily Mail , tabloïd londonien, a rapporté qu'une femme membre du personnel de la CPI a accusé Khan de harcèlement sexuel. M. Khan a immédiatement qualifié cette accusation de mensongère, s'est félicité de l'ouverture d'une enquête impartiale et a demandé qu'une enquête distincte soit menée sur l'origine des accusations. Toute personne dotée d'un détecteur de baratin bien rodé, et familiarisée avec les tours ignobles que les renseignements américains et israéliens ont dans leur sac peut détecter le pot aux roses.

Pour les sceptiques, voici un passage du  récit de cette affaire par  le  New York Times, publié le 11 novembre. Il mérite d'être cité en long, en large et en travers. Avertissement : vous êtes sur le point de vous exposer gravement au langage obscur du Times :

"Le  Daily Mail a rapporté en octobre qu'une collègue a accusé M. Khan de harcèlement, ce qu'il a nié. Le Guardian a ensuite rapporté que M. Khan a tenté d'étouffer les allégations de l'accusatrice, ce qu'il a également nié.

"Après avoir pris connaissance des allégations, Mme [Paivi] Kaukoranta, présidente de l'assemblée représentant 125 [sic] nations qui reconnaissent l'autorité de la Cour, a déclaré fin octobre que la Cour 'chercherait à obtenir le consentement de toute victime présumée d'inconduite avant de procéder à une enquête', mais qu'après une conversation avec la plaignante de M. Khan, la Cour 'n'est pas en mesure de procéder à une instruction'.

"Quelques jours plus tard, M. Khan a déclaré sur les réseaux sociaux que l'affaire a été 'classée' par l'instance de contrôle du tribunal sans ouvrir d'enquête parce qu'aucune plainte n'a été déposée, et que la 'personne lésée présumée' a refusé de participer à l'enquête. M. Khan a également déclaré qu'il sollicite une enquête sur la manière dont les informations, qu'il qualifie de 'désinformation', ont été rendues publiques. Le tribunal, basé à La Haye, n'a pas précisé lundi ce qui aurait changé au cours des dernières semaines pour justifier l'ouverture d'une enquête".

Traduction : la ruse s'est délitée, mais cela ne peut être rapporté de manière suffisamment claire pour être facilement compris. Il faut vraiment aimer le Times, n'est-ce pas ?

Le mois dernier, la CPI a annoncé que Iulia Motoc, la juge roumaine qui présidait l'affaire Netanyahu-Gallant, a été brusquement démise de ses fonctions pour raisons médicales. Pas d'autres détails : "La situation personnelle de la juge Motoc est protégée par le secret médical", précise le communiqué de la Cour.

Nous ne savons rien de plus sur Iulia Motoc ou sur la santé de Iulia Motoc. Il n'y a aucune conclusion à tirer dans cette affaire. Nous ne savons que deux choses. Premièrement, dès l'annonce de la révocation de la juge Motoc, on s'est largement attendu à ce que le jugement de la CPI sur l'affaire Khan soit reporté, comme l'espérait le régime de Netanyahu, et probablement de six mois supplémentaires. Motoc a été rapidement remplacé par Beti Hohler, une Slovène élue juge l'année dernière, mais la rapidité de la nouvelle nomination ne semble pas avoir été prévisible. La question reste donc posée dans l'affaire Iulia Motoc. Cui bono ?

Deuxièmement, une affaire de grande ampleur et à caractère éminemment criminel concerne les multiples tentatives d'Israël de subvertir la CPI et les membres de son personnel en rapport avec les intérêts de l'État sioniste. Karim Khan, dès qu'il a annoncé en mai dernier qu'il cherchait à obtenir des mandats d'arrêt, a déclaré sans ambages :

"J'insiste pour que cessent immédiatement toutes les tentatives d'entrave, d'intimidation ou d'influence inappropriée sur les fonctionnaires de cette Cour".

On sait depuis longtemps que les États-Unis n'ont pas hésité à déployer des moyens insidieux pour déstabiliser la CPI, mais nous en savons désormais beaucoup plus sur les opérations d'Israël dans ce domaine.

Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Je vais laisser +972, le journal d'investigation israélien, expliquer ce qu'il a découvert dans le cadre d'un projet conjoint mené avec Local Call, une autre publication israélienne, et The Guardian :

"Pendant près de dix ans, Israël a espionné de hauts responsables de la Cour pénale internationale et des défenseurs palestiniens des droits de l'homme dans le cadre d'une opération secrète visant à faire échouer l'enquête de la CPI sur des crimes de guerre présumés, comme le révèle une enquête menée conjointement par le magazine +972, Local Call et The Guardian.

"L'opération multi-agences, qui remonte à 2015, a vu la communauté du renseignement d'Israël espionner régulièrement l'actuel procureur en chef de la Cour, Karim Khan, son prédécesseur Fatou Bensouda, et des dizaines d'autres fonctionnaires de la CPI et de l'ONU".

L'article poursuit avec de nombreux et précieux détails, nous révélant toute la dépravation de la panoplie de pratiques corrompues et d'actes illégaux du régime sioniste. Extrait de l'article du Guardian :

"Le pays a mobilisé ses services de renseignement pour espionner, pirater, faire pression, diffamer et menacer le personnel de la CPI dans le but de faire échouer les enquêtes de la Cour...

"La surveillance s'est poursuivie au cours des derniers mois, permettant au Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, de disposer d'une connaissance préalable des intentions du procureur. Une communication interceptée récemment suggère que Khan voulait émettre des mandats d'arrêt contre des Israéliens, mais qu'il subissait 'd'énormes pressions de la part des États-Unis', selon une source au fait du contenu de cette communication....

"Netanyahu s'est intéressé de près aux opérations de renseignement menées contre la CPI, et une source des services de renseignement l'a décrit comme étant 'obsédé' par les informations interceptées au sujet de l'affaire. Supervisées par ses conseillers en sécurité nationale, ces opérations ont impliqué l'agence d'espionnage nationale, le Shin Bet, ainsi que la direction des renseignements de l'armée, Aman, et la division du cyber-espionnage, l'unité 8200.....

L'article de +972 est disponible  ici, celui du Guardian  ici, et celui de Local Call, en hébreu et en anglais,  ici. Chacun a sa propre façon d'aborder l'enquête commune et ils valent tous la peine d'être lus.

 Comme je l'ai soutenu en février dernier, après que l'Afrique du Sud a présenté pour la première fois à la CPI des preuves de la conduite génocidaire d'Israël à Gaza, le régime sioniste ne peut tout simplement pas survivre dans l'espace public international. Il ne doit donc ménager aucun effort, même infime, pour... eh bien, pour 'chier' sur cet univers chaque fois qu'il s'y trouve acculé. C'est ce qui s'est passé depuis que le tribunal a annoncé les mandats la semaine dernière.

La déclaration officielle du bureau de Netanyahu était la suivante :

"Israël rejette avec écœurement les poursuites et les accusations absurdes et mensongères dont il fait l'objet de la part de la cour pénale internationale, qui est un organe politique partial et discriminatoire".

Notez la minuscule au nom de la CPI - une touche subtile. Comment la Cour pourra-t-elle survivre à cela ?

Et plus loin :

"Il n'y a rien de plus juste que la guerre qu'Israël mène à Gaza depuis le 7 octobre 2023, après que l'organisation terroriste Hamas a lancé une attaque meurtrière contre elle, et perpétré le plus grand massacre commis contre le peuple juif depuis l'Holocauste. La décision a été prise par un procureur en chef corrompu qui tente de sauver sa peau des graves accusations portées contre lui pour harcèlement sexuel, et par des juges partiaux motivés par la haine antisémite d'Israël".

Je suis surpris que ce premier argument de "haine antisémite" se place si loin dans la diatribe de Bibi. Mais encore une fois, c'est une bonne chose qu'il fasse référence aux accusations de harcèlement contre Karim Khan bien après qu'elles aient été discréditées. Il suffit de le répéter assez souvent pour tromper les moins vigilants d'entre nous.

Benny Gantz, un rival de longue date de Netanyahu mais qui fait maintenant partie de son "cabinet de guerre", sur X :

"... un aveuglement moral et une tache honteuse de dimension historique à ne jamais oublier".

Isaac Herzog, président du régime sioniste :

"C'est un jour sombre pour la justice. Un jour sombre pour l'humanité. La décision scandaleuse de la CPI, empreinte de mauvaise foi, a transformé la justice universelle en une risée universelle. Elle ignore le sort des 101 otages israéliens détenus avec brutalité par le Hamas à Gaza".

Et Yair Lapid, chef de l'opposition à la Knesset, Premier ministre pendant six mois avant que Netanyahu ne forme sa coalition d'extrême droite en 2022 et "un centriste" - oui, un centriste dans la constellation politique d'Israël :

"Israël se défend contre des organisations terroristes qui ont attaqué, assassiné et violé nos citoyens. Ces mandats d'arrêt constituent une reconnaissance du terrorisme".

Taches honteuses, jours sombres, mauvaise foi, reconnaissance du terrorisme, et ainsi de suite, le tout étalé à la truelle. Je cite ces propos peu sérieux pour donner une idée du degré de décalage des dirigeants israéliens par rapport à la réalité.

Ma citation préférée dans ce registre, pour sa bizarrerie en général, est celle du bureau de Netanyahu. Le Premier ministre a décrit les mandats comme étant "une décision antisémite comparable à un procès Dreyfus moderne". Je saisis cette occasion pour rappeler aux lecteurs que le Dr Lawrence a précédemment diagnostiqué que Netanyahu souffre d'une forme de psychose clinique. Cette remarque, qui pue l'autodramatisation, suggère l'aggravation des délires paranoïaques et sera versée au dossier du Dr Lawrence sur Netanyahu.

Alfred Dreyfus était un officier militaire d'origine juive, né en Alsace, qui a servi comme officier d'artillerie dans l'armée française au cours des dernières décennies du 19è siècle. Lorsqu'en 1894, il a été accusé, reconnu coupable et envoyé à l'île du Diable en tant qu'espion pour le compte des Allemands, l'affaire est devenue une cause célèbre pour avoir révélé l'antisémitisme qui sévissait alors au sein des élites militaires et politiques de la Troisième République. Lorsque Dreyfus a été reconnu bouc émissaire innocent et ramené en France, toutes sortes d'écrivains, d'acteurs, d'artistes et de personnalités politiques de premier plan se sont ralliés à son camp - Emile Zola le plus fidèle, mais aussi Anatole France, Sarah Bernhardt, Clemenceau, et d'autres encore. Dreyfus mourut, en 1935, en héros, du moins dans certains milieux.

Beaucoup de gens, même les racistes assassins, sont à leurs propres yeux des héros. Mais où Bibi veut-il en venir ? Il me semble qu'il nous a donné un aperçu - fugace, indirect - d'une partie du psychisme dont nous ne sommes jamais témoins, la part encore capable de souffrir d'une blessure alors qu'une grande partie du monde, plus ou moins toute la planète, est révulsée par sa barbarie. Il s'avère que Bibi Netanyahu, j'en suis sûr, a besoin de reconnaissance. Il veut être perçu comme quelqu'un de bon, d'innocent et d'injustement piégé, en attente de rédemption, comme Dreyfus. Il veut que ses semblables adhèrent à son héroïsme.

Côté américain, les réactions étaient prévisibles, même dans les cas les plus extrêmes. Dans une déclaration étonnamment succincte, le président Biden, fidèle comme toujours au lobby israélien, sinon aux intérêts des États-Unis, a qualifié les mandats de "scandaleux". Et, avec ces fulgurances rhétoriques que les Démocrates semblent dernièrement trouver persuasives, il a ajouté :

"Permettez-moi d'être clair, une fois de plus : quoi que la CPI puisse laisser entendre, il n'y a pas d'équivalence - aucune - entre Israël et le Hamas. Nous serons toujours aux côtés d'Israël face aux menaces qui menacent sa sécurité".

Je m'en remets ici à John Whitbeck, avocat international basé à Paris, qui a fait remarquer sur son blog à diffusion privée après la publication de la  déclaration de M. Biden par la Maison Blanche :

"La seule chose avec laquelle je peux être d'accord dans les réactions israéliennes et américaines outragées et outrancières aux mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale... c'est qu'il ne peut y avoir d'équivalence morale entre le gouvernement israélien et le Hamas. En effet, il ne peut y avoir d'équivalence morale entre ceux qui imposent une occupation illégale, comme l'occupation par Israël de l'État de Palestine depuis 76 ans a été définitivement signifiée par la Cour internationale de justice, et ceux qui résistent à cette occupation, comme c'est leur droit légal, y compris par l'action armée, en vertu du droit international".

Rien ne peut tout simplement venir à bout de Tom Cotton, le Républicain de l'Arkansas et le sénateur le plus stupide actuellement en poste au Capitole, dans ce genre d'occasions. Voici Cotton avec ses accus chargés à bloc :

"La CPI est un tribunal fantoche et Karim Khan un fanatique dérangé. Malheur à lui et à tous ceux qui tentent d'appliquer ces mandats illégaux. Permettez-moi de leur rappeler amicalement que ce n'est pas pour rien que la loi américaine sur la CPI est connue sous le nom de 'Hague Invasion Act' (loi sur l'invasion de La Haye). Pensez-y".

L'Amérique a-t-elle jamais connu une telle Scheisskopf [allemand : tête de noeud]... une telle bêtise mêlée aux affaires de l'État ? Pensez qu'il y a encore peu de temps, le nom de Tom Cotton a été évoqué lorsque Trump réfléchissait à sa candidature au poste de secrétaire d'État ?

Pour mémoire, le régime de Bush II a adopté la "loi sur l'invasion de La Haye" en août 2002 - notez la date, car les agissements de l'armée américaine en Afghanistan suscitaient déjà des critiques - comme un premier coup monté contre la CPI, créée par un traité signé à Rome un mois plus tôt. Son nom officiel est American Servicemembers Protection Act (loi sur la protection des militaires américains), et elle autorise le recours à la force militaire - oui, la force militaire - pour sauver tout Américain ou citoyen d'un allié des États-Unis que la Cour a mis en état d'arrestation.

Lindsey Graham, le Républicain de Caroline du Sud, n'est pas aussi stupide que Tom Cotton, même s'il s'en est fallu de peu.  Voici Graham brandissant le drapeau israélien après l'annonce des mandats d'arrêt :

"Je vais introduire une législation qui mettra en garde les États tiers : si vous aidez et encouragez la CPI après les mesures prises contre l'État d'Israël, vous pouvez vous attendre à des conséquences de la part des États-Unis. Toute nation qui se joint à la CPI après cet outrage est complice d'un acte téméraire qui bafoue l'État de droit".

Réfléchissons à tout cela, comme nous y invite Tom Cotton.

Tom Cotton et Lindsey Graham feraient de bons rédacteurs de titres pour le Telegraph, je trouve. Ils présentent le même déficit de perspective que celui qui a suggéré que la CPI, après avoir délivré ses mandats, se trouve à l'heure des comptes, et que sa légitimité est donc en jeu. Cotton et Graham ont les idées aussi déformées que le plus bas de gamme des rédacteurs en chef.

Ces mandats revêtent une signification profonde que vous ne trouverez jamais dans le Telegraph ou dans tout autre journal dominant, et dont vous n'entendrez jamais parler par aucune chaîne de télévision, qu'elle soit financée par des entreprises ou par l'État. D'emblée, Bibi Netanyahu et Yoav Gallant pourront se rendre aux États-Unis quand ils le souhaitent. Ils pourront même s'adresser à des sessions conjointes du Congrès et être ovationnés, comme c'est déjà arrivé quatre fois à Bibi. Mais les voyages dans le reste du monde seront pour le moins compliqués.

J'ai vu ce week-end que Viktor Orbán, le premier ministre sauvage de la Hongrie, a invité Netanyahu à effectuer une visite d'État à Budapest. D'accord, Orbán promet au monde entier qu'il fera les choses à sa façon. Mais il y a 123 autres membres de la CPI, comme nous l'avons déjà indiqué, et Netanyahu ou Gallant courront un risque plus ou moins grand à se rendre dans chacun d'entre eux.

D'ores et déjà, ces mandats révèlent - ou entraînent - des failles dans la façade de l'alliance occidentale. Hormis les États-Unis, l'ensemble du monde atlantique et tous ses appendices sont signataires du Statut de Rome. Et maintenant, que va-t-il se passer ? Telle est la question.

À ma grande surprise, le gouvernement Starmer s'est empressé de déclarer officiellement qu'il "respecte l'autorité de la CPI" et qu'il se conformera à ses décisions. Sur le papier, cela signifie que le Royaume-Uni arrêtera l'un ou l'autre des deux accusés s'ils posent un pied sur le sol britannique. Il est difficile d'imaginer que les Britanniques s'opposent à Washington sur une question d'une telle portée. Mais à mon avis, la Grande-Bretagne vient de dire à Bibi et à son ministre de la Défense : "S'il vous plaît, ne venez pas. S'il vous plaît, ne nous mettez pas dans le pétrin".

Au fond, je perçois les mandats comme une annonce formelle et légale, au nom de la grande majorité des nations, que le nouvel ordre mondial que beaucoup d'entre nous pressentent aujourd'hui - l'ordre mondial post-américain, l'ordre qui doit succéder à cet épouvantable et chaotique "ordre fondé sur des règles" imposé par les Américains - doit être perçu comme une inéluctabilité historique. Le droit international, autrement dit, doit être restauré après des décennies d'abus de la part des Américains et de leurs plus fidèles disciples. Les mandats annoncent ainsi une sorte de confrontation entre l'ancien et le nouveau, entre le droit et l'anarchie, entre l'hégémonie et la parité mondiale comme impératif du 21è siècle.

La question soulevée est celle de l'isolement. Et, comme à l'accoutumée, les cliques politiques de Washington surenchérissent. Israël, déjà considéré comme un paria, est une cause perdue sur ce plan. Les Américains ont longtemps progressé résolument vers la voie de l'isolement en raison de leur prétention permanente à l'hégémonie mondiale. En se rangeant aux côtés d'Israël aujourd'hui, alors qu'ils ne pouvaient plus agir autrement, les Américains s'enfoncent encore un peu plus dans leurs certitudes.

Il sera intéressant de voir comment les Européens aborderont le monde après l'émission de ces mandats dans les mois et les années à venir. Je prends la déclaration d'intention express du gouvernement Starmer comme un signe avant-coureur intéressant. Les principales puissances européennes pourraient décider qu'elles ne peuvent tout simplement plus soutenir le régime sioniste et les Américains contre la CPI. Si tel est le cas, les mandats émis la semaine dernière pourraient marquer un tournant décisif dans les relations transatlantiques. La chose est plausible.

Considérons les mandats de la CPI comme une grande tempête dans un chenal allant des États-Unis et d'Israël au reste du monde, puis posons-nous la question suivante : "Qui va se retrouver isolé du reste du monde ?"

* Patrick Lawrence, correspondant à l'étranger pendant de nombreuses années, principalement pour le International Herald Tribune, est critique des médias, essayiste, auteur et conférencier. Son nouveau livre, 'Journalists and Their Shadows', vient de paraître chez  Clarity Press. Son site web est  Patrick Lawrence. Soutenez son travail via  son site Patreon.

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