31/12/2025 ssofidelis.substack.com  10min #300460

Les néoconservateurs célèbrent un peu trop vite les manifestations en Iran

Par  Larry Johnson, le 31 décembre 2025

Les médias occidentaux, en particulier lorsqu'ils partagent le point de vue néoconservateur, se sont empressés de relayer l'information selon laquelle des manifestations en Iran seraient le signe d'un effondrement imminent de la République islamique. Les événements actuels en Iran ravivent les espoirs des néoconservateurs qui aspirent à restaurer le régime du Shah et à éliminer les mollahs. Voici un résumé des informations parues dans les médias :

"Le 30 décembre 2025, le mouvement de contestation se poursuit depuis trois jours en Iran, élargissant les revendications initiales du Grand Bazar de Téhéran aux universités et à plusieurs villes du pays. Déclenchées par le recul historique du rial iranien (environ 1,38 à 1,42 million pour un dollar américain) et une inflation avoisinant les 42,2 à 42,5 %, ces manifestations ont commencé par des grèves et des fermetures de commerces, avant de se convertir en protestations antigouvernementales plus généralisées".

"Les manifestations se sont étendues aux villes d'Ispahan, de Shiraz, de Mashhad, de Hamadan, de Karaj, de Qeshm, de Malard, de Kermanshah et de Yazd, au-delà de Téhéran. Mardi, les étudiants ont rejoint le mouvement, scandant des slogans tels que 'Mort au dictateur' (en référence au guide suprême Ali Khamenei), des appels à la liberté et des références pro-monarchiques (par exemple, 'Longue vie au Shah' ou 'Repose en paix, Reza Shah').

"Le président Masoud Pezeshkian a reconnu le 'caractère légitime des revendications', a chargé le ministère de l'Intérieur d'engager le dialogue avec les représentants des manifestants et s'est dit prêt à mener des réformes économiques. Le gouverneur de la banque centrale a démissionné et a été remplacé par Abdolnasser Hemmati. Les autorités ont exprimé leur volonté d'engager des pourparlers, tout en mettant en garde contre le risque d'une escalade ou d'une exploitation étrangère".

Hum... Que se passe-t-il réellement ? Il s'avère que Nima Alkorshid, le présentateur de Dialogue Works, passe de longues vacances en famille à Téhéran. Voilà 12 ans qu'il n'était pas retourné dans son pays. Une chose est sûre... Sa mère est ravie d'avoir son fils, sa belle-fille et ses petits-enfants à Téhéran. Quoi qu'il en soit, j'ai appelé Nima pour lui demander sa vision des choses.

Selon lui, un sentiment de frustration à l'égard du gouvernement, c'est-à-dire de Pezeshkian, est l'une des causes des manifestations, en raison de la forte inflation. Cependant, ces manifestations ne visent pas le régime islamique, contrairement à ce qu'affirment les médias occidentaux. Il a également souligné qu'environ 25 % de la population est assez conservatrice (ce sont ceux qui ont soutenu Ahmadinejad) et qu'elle est en colère contre Pezeshkian, car elle le trouve trop conciliant avec l'Occident. Ces mécontents sont toutefois de fervents partisans de l'ayatollah Khamenei.

Une vidéo corrobore ces propos. Dans un extrait, un étudiant iranien participant à la manifestation explique les raisons de ces manifestations, affirmant qu'ils ne s'opposent pas à la République islamique, mais plutôt à la corruption des responsables gouvernementaux qui aggravent la crise économique. Il  déclare :

"Telle est la voix d'un Basiji iranien. Je me sacrifierais pour cette patrie. Je donnerais ma vie pour la République islamique. Notre contestation vise des individus tels qu'Ali Ansari et d'autres fonctionnaires corrompus. M. Ejei, chef du pouvoir judiciaire, que faites-vous ?"

J'ai été agréablement surpris par la réaction de Pezeshkian face aux manifestations. Au lieu de tabasser les manifestants et de les jeter en prison, il a reconnu la légitimité de leurs revendications, a limogé le gouverneur de la banque centrale et a promis des réformes économiques. Cette réponse me semble tout à fait raisonnable.

La Russie et la Chine, qui ont dénoncé et rejeté la tentative de l'Europe de réimposer des sanctions économiques à l'Iran, œuvrent à la mise en place de mesures stimulant l'économie iranienne et permettant de maîtriser l'inflation. Si l'on ne peut nier que l'économie iranienne a été gravement touchée par les sanctions occidentales, que la Russie et la Chine ont par ailleurs soutenues en 2015 dans le cadre de l'accord sur le nucléaire, l'Iran, grâce à son appartenance aux BRICS et à ses accords économiques, politiques et militaires plus poussés avec la Russie et la Chine, est aujourd'hui mieux placé pour relancer son économie.

Le soutien économique de la Russie se concentre sur les partenariats stratégiques et le commerce, et s'accompagne généralement d'une coopération militaire. En janvier 2025, la Russie et l'Iran ont signé un traité de partenariat stratégique global d'une durée de 20 ans comprenant des dispositions relatives à la coopération économique. La Russie fournit également des armes conventionnelles de pointe (avions de chasse, hélicoptères d'attaque, etc.) en échange de drones, de missiles et de munitions iraniens, renforçant ainsi indirectement l'économie iranienne grâce à un commerce militaire de type troc.

Parallèlement, quatre hauts responsables iraniens se sont rendus à Moscou à cinq reprises depuis le 1er juillet 2025, d'après les informations disponibles. Il s'agit de personnalités politiques, militaires et économiques dont les objectifs vont des pourparlers sur le nucléaire à la coopération militaire et aux partenariats stratégiques.

Le 20 juillet, Ali Larijani (conseiller du Guide suprême, personnalité politique) s'est entretenu avec le président russe Vladimir Poutine pour aborder les négociations sur le nucléaire et les relations bilatérales.

Le 21 juillet 2025, le brigadier général Aziz Nasir Zadeh (ministre de la Défense) a rencontré le ministre russe de la Défense Andreï Belousov afin d'élargir la coopération militaire, probablement dans le but d'obtenir de l'aide après le conflit israélo-iranien.

En août 2025, Abbas Araghchi (ministre des Affaires étrangères, homme politique) a sollicité le soutien de la Russie à la suite des attaques américaines et israéliennes contre les infrastructures iraniennes, survenues après l'annonce du cessez-le-feu. Il s'est rendu à Moscou une deuxième fois le 17 décembre 2025 pour signer un plan de coopération entre les ministères des Affaires étrangères pour la période 2026-2028, et saluer l'élargissement des partenariats.

Les 17 et 18 novembre, Mohammad Reza Aref (premier vice-président, politique et économie) a participé à la réunion du Conseil des chefs de gouvernement de l'OCS et a mené des discussions bilatérales avec le Premier ministre russe Mikhaïl Michoustine concernant la coopération économique et politique"

Et ce n'est pas tout... Le corridor de transport nord-sud (INSTC) joue également un rôle crucial. Depuis le 1er juillet 2025, plusieurs réunions et discussions bilatérales et multilatérales ont eu lieu entre la Russie et l'Iran (souvent en présence de l'Azerbaïdjan), axées sur la promotion du Corridor international de transport nord-sud (INSTC), une route commerciale multimodale qui relie la Russie, l'Iran, l'Inde et d'autres pays. Voici les principales réunions de 2025 :

  • Octobre 2025 : réunions trilatérales à Bakou (Russie, Azerbaïdjan, Iran) pour évoquer l'extension de la route occidentale de l'INSTC, avec notamment des inspections des infrastructures et des accords sur le renforcement de l'efficacité logistique et transfrontalière.
  • Novembre 2025 : les responsables des chemins de fer de Russie, d'Iran et d'Azerbaïdjan ont signé un mémorandum à Bakou pour renforcer la compétitivité de la route occidentale (en fixant notamment des coûts et tarifs unifiés).
  • 12 décembre 2025 : les présidents Vladimir Poutine et Masoud Pezeshkian ont abordé les avancées de l'INSTC (y compris la ligne ferroviaire Rasht-Astara) lors d'une rencontre à Achgabat, au Turkménistan.
  • 16 décembre 2025 : rencontres de haut niveau à Téhéran entre le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, Ali Larijani, et le vice-Premier ministre russe en charge des transports, Vitaly Savelyev, centrées sur l'accélération du corridor et la suppression des points de blocage.

Et puis, il y a la Chine. Elle offre des soutiens économiques plus substantiels, principalement par le biais du commerce du pétrole et d'investissements annoncés, et se positionne comme le premier partenaire commercial de l'Iran. Elle achète 90 % du pétrole exporté par l'Iran à des prix réduits (jusqu'à 14 dollars le baril en dessous du prix du marché), fournissant ainsi des revenus cruciaux estimés à 67 milliards de dollars et représentant 15 % du PIB pour la période allant jusqu'en mars 2025. Ceci représente 13,6 % des importations pétrolières de la Chine et finance 45 % du budget gouvernemental iranien pour l'année 2025-2026. Dans le cadre du partenariat stratégique global de 25 ans conclu en 2021 et confirmé en septembre 2025, la Chine s'est engagée à investir 400 milliards de dollars dans des secteurs tels que le pétrole et le gaz, les infrastructures, les banques, les télécommunications, les ports, les chemins de fer et le tourisme. Les projets d'infrastructure comprennent notamment une nouvelle ligne ferroviaire pour le fret pétrolier (inaugurée en mai 2025, mais interrompue par la guerre) et le premier train de marchandises reliant Xi'an au port sec iranien d'Aprin, également en mai 2025. Les pourparlers sur les corridors économiques via l'Asie centrale (par exemple, la réunion des responsables ferroviaires en mai 2025) sont destinés à améliorer le transit.

D'après les informations rendues publiques, au moins trois hauts responsables iraniens (politiques et militaires) se sont rendus en Chine depuis le 1er juillet 2025. Ces visites ont porté sur des sommets multilatéraux (comme les réunions de l'Organisation de coopération de Shanghai), la coopération bilatérale et la diplomatie post-conflit, dans le contexte des tensions entre l'Iran, Israël et les États-Unis.

  • "Abbas Araghchi, ministre des Affaires étrangères (politique) : a participé en juillet 2025 à une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OCS à Tianjin, et a tenu des discussions bilatérales avec le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, sur le renforcement des liens et les questions régionales.
  • "Masoud Pezeshkian (président, politique) s'est rendu à Pékin pour le sommet de l'OCS les 1er et 2 septembre 2025, pour rencontrer le président Xi Jinping pour discuter du partenariat stratégique global, du commerce, des investissements et de la gouvernance mondiale.
  • "Aziz Nasirzadeh (ministre de la Défense, militaire) - fin juin 2025 (proche de la date butoir de juillet, souvent mentionnée dans les rapports postérieurs à juillet), a participé à la réunion des ministres de la Défense de l'OCS à Qingdao. Il s'agissait de sa première rencontre, reportée en raison du conflit israélo-iranien"

Les initiatives de l'Iran pour relancer une économie solide coïncident avec de nouvelles attaques d'Israël et des États-Unis.  Selon RT :

"Le président Donald Trump a averti que les États-Unis pourraient mener de nouvelles frappes militaires contre l'Iran si ce dernier s'avise de relancer ses programmes nucléaires et de missiles balistiques. Il a fait cette déclaration aux journalistes, aux côtés du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, dans sa propriété de Mar-a-Lago, en Floride, lundi.

"'Si ces informations se confirment, ils devront en assumer les conséquences, et celles-ci seront très lourdes, peut-être même plus lourdes que la dernière fois', a déclaré M. Trump. 'Nous les anéantirons. Nous les écraserons. Mais je l'espère, cela ne se produira pas'.

"Le président américain a indiqué son intention de soutenir 'sans réserve' une action militaire israélienne contre le programme de missiles de l'Iran, affirmant que les États-Unis interviendraient 'immédiatement' en cas de nouvelle avancée nucléaire".

Relancer ses programmes de missiles balistiques ? Il semble que Donald Trump n'ait pas été informé que les programmes de missiles balistiques de l'Iran n'ont pas été détruits pendant la guerre de 12 jours. L'Iran ne les reconstruit pas. Il développe et modernise sa force de missiles balistiques, stockée en toute sécurité dans des bunkers souterrains, hors de portée des armes israéliennes et américaines. Si Israël et Trump sont assez imprudents pour attaquer à nouveau l'Iran, ils découvriront que ce pays est un ennemi bien plus redoutable et dangereux que celui qu'ils ont affronté en juin 2025.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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