
Par Abdel Qader Sabbah & Sharif Abdel Kouddous, le 21 juillet 2025
Un reportage en première ligne sur un peuple contraint de mourir de faim ou d'être abattu dans une quête périlleuse pour obtenir de maigres rations
GAZA CITY - La guerre d'extermination qu'Israël mène à Gaza n'en finit pas de sombrer dans l'horreur. Affamés, les Palestiniens s'effondrent dans les rues et meurent de faim à cause du blocus. Ceux qui tentent de se procurer des vivres sont abattus lors de massacres toujours plus meurtriers. L'armée israélienne émet fréquemment des ordres d'expulsion massive et étend ses opérations terrestres, morcelant l'enclave et déplaçant de force les Palestiniens vers des zones toujours plus réduites. Et les attaques aériennes et terrestres incessantes se poursuivent.
Au cours des cinq derniers jours seulement, plus de 550 Palestiniens ont été tués à Gaza, selon le ministère de la Santé. Le nombre de morts confirmés depuis le début de l'offensive a dépassé les 59 000 lundi, un chiffre largement sous-estimé selon les observateurs. Au cours des deux derniers mois, plus de 1 000 Palestiniens ont été tués alors qu'ils tentaient de trouver de l'aide dans des zones militarisées, sous la supervision de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), un groupe douteux soutenu par les États-Unis et Israël.
Dimanche a été l'une des journées les plus meurtrières pour les personnes en quête d'assistance, avec plus de 70 morts, dont au moins 67 dans le nord de Gaza, où les troupes israéliennes ont ouvert le feu sur des civils qui tentaient d'obtenir de la nourriture auprès d'un convoi du Programme alimentaire mondial entrant par le passage de Zikim.
"Les chars sont arrivés, nous ont pris en tenaille et ont commencé à tirer alors que nous levions les mains", a raconté Ibrahim Hamada, blessé à la jambe, à Drop Site, alors qu'il gisait sur un brancard d'hôpital, grimaçant de douleur. "Il y a eu tellement de morts qu'ils n'ont pas pu tous être évacués. J'ai rampé sur le ventre pour atteindre une voiture qui m'a emmené à l'hôpital", a-t-il déclaré. "J'étais allé là-bas pour manger, il n'y a plus rien chez moi".
Plus de 150 personnes ont été blessées lors de l'attaque. L'hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza a été totalement débordé par les morts et les blessés, pour la plupart de jeunes hommes et des garçons. Des visages émaciés dépassaient des linceuls blancs recouvrant leurs corps gisant au sol. À la clinique Sheikh Radwan, toute proche, plus d'une douzaine de cadavres dans des sacs mortuaires blancs étaient alignés dans la cour. Des familles à la recherche de leurs proches sont venues soulever délicatement une partie des sacs mortuaires pour tenter de reconnaître un être cher.
"La situation est très difficile. Nous avons évacué les morts, comme vous pouvez voir, et transporté les blessés d'un endroit proche de la zone prise pour cible par des bombes lancées depuis des drones, des tirs ou par la nouvelle grue militarisée située sur le site de distribution de l'aide", a déclaré Mohammed al-Hout, un secouriste du Croissant-Rouge. "Les gens ont été touchés à la tête ou aux pieds... Certains ont eu le crâne fracassé".
Le Programme alimentaire mondial des Nations unies a déclaré dans un communiqué que 25 camions transportant des produits alimentaires sont entrés dimanche à Gaza par le passage de Zikim, à destination des communautés affamées du nord de la bande de Gaza.
"Peu après avoir passé le dernier checkpoint au-delà de Zikim, le convoi est tombé sur une foule de civils qui attendaient anxieusement de pouvoir accéder aux vivres dont ils ont désespérément besoin", a déclaré le PAM. "Alors que le convoi approchait, la foule a été prise sous le feu de chars israéliens, de snipers et d'autres tireurs". Le communiqué ajoute : "Ces hommes et ces femmes essayaient simplement d'accéder aux vivres pour nourrir leurs familles, en proie à la famine".
Dimanche également, neuf Palestiniens ont été tués près d'un centre de distribution d'aide à Rafah, géré par la GHF. Ces tueries ont eu lieu au même endroit où, quelques jours plus tôt, plus de 20 personnes ont été tuées lorsque des gardes du GHF ont gazé des Palestiniens affamés enfermés dans le centre, provoquant la mort d'un grand nombre d'entre eux par suffocation et piétinement.
Ces meurtres quotidiens de Palestiniens désespérés, affamés et menacés de famine, plongent Gaza dans une situation d'urgence sans précédent. Le blocus total imposé par Israël le 2 mars a été officiellement levé le 27 mai, lorsque de rares distributions d'aide ont commencé dans quatre centres militarisés de la GHF, dont trois sont situés au sud de Gaza et un à Wadi Gaza. Les Palestiniens, dont une grande partie est au bord de la famine, doivent choisir entre mourir de faim et risquer leur vie dans ces centres de distribution d'aide.
"Les gens ont faim. Ils ne peuvent que rejoindre ces lieux de mort. Quoi qu'il arrive, ils meurent", a déclaré Abu Maher Al-Masry, témoin des meurtres commis dimanche près du passage de Zikim. "Je suis adulte, incapable de marcher tellement j'ai faim. Je n'ai pas avalé une seule bouchée de quoi que ce soit depuis plus d'un jour".
Dimanche, le ministère de la Santé a déclaré que 18 personnes sont mortes de faim la veille. Le ministère a publié un bulletin urgent précisant que
"un nombre sans précédent de personnes affamées de tous âges arrive aux urgences dans un état d'épuisement et de fatigue extrêmes. Nous alertons sur le danger que courent des centaines de personnes dont le corps est émacié, car leur organisme n'est plus en mesure de résister".
De nombreux rapports font état de Palestiniens fouillant les poubelles, raclant les restes de nourriture par terre et mangeant des ordures dans les rues. Selon l'ONU, près d'une personne sur trois n'aurait pas mangé depuis plusieurs jours.
La journaliste Nahed Hajjaj a publié sur les réseaux sociaux :
"Ne soyez pas surpris si nous, journalistes, cessons de couvrir l'actualité ici. Je jure devant Dieu qu'aujourd'hui, je n'ai pas pu me lever à cause de la faim. Il n'y a rien à manger. Avec ou sans argent, les marchés sont vides".
Le correspondant d'Al Jazeera, Anas al-Sharif, a fondu en larmes en direct devant l'hôpital Al-Shifa, alors qu'une femme s'effondrait à proximité, terrassée par la faim.
"Les gens s'effondrent dans les rues, ils tombent morts d'inanition", a-t-il déclaré.
En réponse, un porte-parole de l'armée israélienne s'est moqué d'Al-Sharif sur les réseaux sociaux, affirmant qu'il verse des
"larmes de crocodile" et que ce ne serait qu'une "mise en scène de propagande du Hamas".
Au total, 86 Palestiniens, dont 76 enfants, sont morts de faim et de malnutrition depuis le début de la guerre, a déclaré dimanche le ministère de la Santé, qualifiant la situation de "massacre silencieux".
Philippe Lazzarini, directeur de l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), qui supervisait la distribution de l'aide à Gaza avant qu'Israël n'impose un blocus et n'interdise l'accès aux organisations indépendantes, a déclaré sur les réseaux sociaux que la crise est "exclusivement créée par l'homme et en toute impunité".
"Des stocks de nourriture sont disponibles à quelques kilomètres seulement", a-t-il déclaré dimanche sur X. "À elle seule, l'UNRWA dispose de stocks suffisants à l'extérieur de Gaza pour nourrir toute la population pendant les trois prochains mois. Mais nous ne sommes pas autorisés à acheminer les vivres depuis le 2 mars".
La famine et la malnutrition s'aggravent alors que l'armée israélienne poursuit son offensive terrestre et multiplie les ordres d'évacuation. Plus de 86 % de la bande de Gaza se trouvent désormais en "zone rouge", c'est-à-dire sous le coup d'un ordre d'évacuation ou dans une zone de combat.
samedi, pour la première fois depuis le début du massacre, l'armée israélienne a émis des ordres de déplacement dans un secteur de Deir al-Balah, dans le centre de Gaza, qui s'étend jusqu'au littoral, le long du "couloir de Kissufim". Deir al-Balah est l'une des rares zones où les troupes terrestres israéliennes n'ont que rarement opéré, et où sont basés les sièges de plusieurs agences des Nations unies et d'ONG médicales. Cette mesure coupe en effet la route entre Deir al-Balah et les villes du sud, Khan Younis et Rafah. L'armée israélienne a ordonné aux habitants de rejoindre al-Mawasi, un camp de tentes situé sur la côte sud et désigné "zone humanitaire". Cependant, Israël bombarde régulièrement cette zone, tuant récemment plus de 20 personnes, dont des enfants, qui s'abritaient dans des tentes lors d'une frappe aérienne dimanche.
Des ordres d'expulsion ont également été renouvelés pour le nord de Gaza ; toute la zone située au nord de la rue al-Quds et de la rue Salah Khalaf a été désignée "zone de combat", et interdite d'accès.
La semaine dernière, l'armée israélienne a annoncé avoir achevé le tracé d'un couloir de 15 kilomètres à travers Khan Younis, établissant ce qu'elle a appelé le "couloir Magen Oz", qui sépare l'est de l'ouest de la ville. Ce couloir est le dernier d'une série de zones créées par l'armée israélienne à coups de destructions à grande échelle afin de diviser la bande de Gaza en zones distinctes : le couloir Morag, qui jouxte Magen Oz et sépare Rafah de Khan Younis, le couloir Mefalsim, qui sépare le nord de la ville de Gaza, et le couloir Netzarim, qui longe Wadi Gaza et sépare le nord du sud.
L'offensive israélienne ne semble pas prête à ralentir, et la communauté internationale ne prend aucune mesure pour contraindre Israël à mettre fin à ses attaques et pour autoriser l'acheminement d'une aide d'urgence en quantité suffisante afin d'éviter une famine généralisée.
"Maudit soit ce silence. Maudite soit cette famine", a déclaré Eyad Amawi, représentant du Comité de secours de Gaza et coordinateur des ONG locales. "Maudit soit cet enfer, l'humanité a sombré".
Traduit par Spirit of Free Speech
Jawa Ahmad, chercheur sur le Moyen-Orient pour Drop Site News, a contribué à ce rapport.