Carlos LUQUE
Le lecteur informé des événements en cours en Biélorussie trouvera certainement fondée la suspicion sur l'origine des techniques de révolution non violente appliquées dans ce pays.
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Sous le nom d'Otpor, (résistance), Srda Popovic, accompagné d'un condisciple, Slobodan Dinovic, qui par la suite s'appropriera les télécommunications serbes, organisa depuis 1998 un mouvement étudiant qui, appliquant les techniques du manuel de Gene Sharp, travailla avec ténacité, et fut un élément décisif dans la manipulation des manifestations étudiantes, jusqu'à obtenir la sortie du pouvoir de Slobodan Milosevic président alors de la République fédérale de Yougoslavie.
Ces actions furent les premières applications pratiques réussies d'une variante d'insurrection innovante artificiellement montée sur des manifestations initialement spontanées, et qui plus tard seraient connues sous le nom de coups d'Etats "en douce" ou "révolution de couleurs", ou "printemps".
Lorsque l'enquêtrice se rend au siège de CANVAS, l'organisation de Popovic à Belgrade (Centre pour les actions et stratégies non violentes appliquées (Center for Applied Nonviolent Action and Strategies), le petit organisme a déjà envoyé des formateurs pour animer des ateliers "dans une cinquantaine de pays, dont la Géorgie, l'Ukraine, la Biélorussie, l'Albanie, la Russie, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Liban et l'Égypte." À une question, Popovic répondit : "Entrainer et former des activistes est maintenant notre profession », et « La première leçon est de créer l'unité à travers une vision du futur puissante. Je leur explique comment rassembler des gens de profils idéologiques différents autour d'une cause commune pour obtenir plus de 50% des voix »."
A cette époque, la liste des prochaines cibles était constituée de pays "comme le Vietnam, le Zimbabwe, le Swaziland, la Syrie, la Somalie, la Papouasie occidentale, l'Azerbaïdjan, la Papouasie Nouvelle Guinée, le Venezuela et l'Iran." Interrogé sur la question de savoir si CANVAS faisait la promotion d'une vision du monde, il déclara qu'il ne s'agissait pas d'"une organisation idéologique mais éducative », et que « la couleur politique des activistes nous est égal. Nous veillons seulement à ce que ce ne soient pas des extrémistes parce que les idéologies extrêmes n'ont pas de capacité de croissance dans le combat non-violent ».
Une des connotations auxquelles fait allusion le syntagme "de couleurs", c'est ce principe dés-idéologisé : peu importe les idéologies de ses disciples, l'objectif est de manifester "contre quelque chose".
Le lecteur informé des événements en cours en Biélorussie trouvera certainement fondée la suspicion sur l'origine des techniques de la révolution non violente appliquées dans ce pays, sachant que depuis 2002, toujours selon l'investigatrice, le Fonds d'éducation européenne, à l'origine polonais, avait contacté Canvas "pour former des militants du mouvement Zubr (« bison ») qui voulaient en finir avec le régime d'Aleksandr Loukachenko dans ce pays."
Les militants géorgiens du mouvement Kmara ! (Basta !) participèrent à des cours de formation en Serbie en juin 2003. Par la suite, on les vit dans la « révolution des roses » et furent un facteur déterminant dans le départ d'Eduard Chevardnadze, en novembre de la même année.
Pendant l'automne 2003, et une partie de 2004, la technologie testée en Serbie fut appliquée à grande échelle en Ukraine. Puis, CANVAS commença à former des activistes dans d'autres pays : Azerbaïdjan, Lituanie, Russie, Iran, etc.
Pour ne pas nous étendre, voyons un bref résumé des opérations ultérieures répertoriées par l'investigatrice, avant de commenter certaines des techniques appliquées. Nous avertissons le lecteur qui pourrait considérer ces notes comme de simples informations historiques, que contre Cuba, sans le moindre doute, la tentative d'expérimenter ces méthodes se fait sournoise, bien qu'inutile, Connaissant certains aspects du vaste manuel de Gene Sharp, il se rappellera certainement certaines de ces tentatives, et tirera ses propres conclusions sur le sujet, qui est la raison principale de ces notes.
Les disciples de Srda Popovic sont intervenus :
- à la veille de la révolution des cèdres, au Liban en 2005. Au cours des événements apparaît le symbole du poing noir sur fond blanc, emblème des révolutions non violentes qui avait été créé dans un café de Belgrade en 1998.
- Trois ans plus tard, aux Maldives.
- En 2009, une quinzaine d'activistes égyptiens du mouvement de la jeunesse du 6 avril et de Kifaya (« Basta ya ») arrivent à Belgrade pour étudier les stratégies qui pourraient les aider à renverser le président Hosni Moubarak.
En ce qui concerne les évènements égyptiens, Popovic a expliqué à l'investigatrice que "celui-là fut un cas unique dans lequel le modèle fut intégralement appliqué". Ils organisèrent 50 ateliers dans 15 villes égyptiennes. De son côté, Tarel El-Khouly, ancien membre du « 6 avril » et responsable de l'organisation des manifestations déclara : "la formation que nous avions reçue sur la désobéissance civile, la lutte non violente et les moyens de renverser les piliers du système, influença la façon dont notre mouvement se comporta ».
- En janvier 2011, sur la place Tahrir, au Caire, des groupes de jeunes brandissent dans leurs mains des banderoles où figurent le poing levé et la devise : « Le poing secoue le Caire ». Sur internet circulait déjà un tract expliquant en détail les lieux à prendre (la radiotélévision égyptienne, les commissariats de police, le palais présidentiel) et les moyens de contourner les forces de l'ordre.
En ce qui concerne notre continent, les activités de CANVAS ne sont pas publiées comme elles le devraient. Résumons quelques faits rapportés par l'investigatrice :
- Depuis la réélection incontestable d'Hugo Chávez en décembre 2006, avec 62 % des voix, CANVAS a peu à peu formé le mouvement de jeunesse vénézuélien Génération 2007 et a travaillé avec des activistes vénézuéliens, notamment au Mexique et en Serbie. Plusieurs membres de l'équipe de Guaidó furent formés à Belgrade en 2007 : Géraldine Alvarez, sa directrice de la communication ; Elisa Totaro, qui travailla sur la communication du mouvement étudiant en s'inspirant des méthodes et de l'identité visuelle de Otpor ! et Rodrigo Diamanti, chargé de l'aide humanitaire en provenance d'Europe.
Un fait très révélateur est que depuis 2010, un texte de CANVAS expliquait ce qui, pour eux, était un point très faible du Venezuela : son système électrique. (»Analysis of the situation in Venezuela », Canvas Analytic Department, Belgrade, septembre 2010, cité par Ana Otaševic). En 2019, la centrale hydroélectrique Simon-Bolivar est en panne. Caracas et une grande partie du Venezuela s'éteignent.
Je souligne un fait sur lequel insiste l'investigatrice : Si CANVAS est présente également en Bolivie, lors du coup d'État, cette organisation n'a jamais agi dans des pays alliés des USA : Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis ou Pakistan. Jusqu'à maintenant, dans certains pays de notre continent, comme en Colombie, leurs symboles n'apparaissent pas non plus dans les manifestations et la lutte du peuple contre les assassinats de journalistes et de dirigeants sociaux.
Le combat contre ce type de violence n'intéresse pas la non-violence
Je ne citerai qu'une seule autre donnée, parce qu'elle est d'une grande actualité à Cuba. L'origine des finances de CANVAS. Comme vous le savez, certains représentants du soi-disant journalisme qui se présente comme "indépendant" à Cuba ont reconnu qu'ils recevaient des fonds de l'Open Society, l'organisation de George Soros qui est, précisément, le grand financier de l'organisation de nombreuses actions violentes et "non violentes" dans de nombreux contextes, mais aussi dans les milieux universitaires, des sites numériques, les réunions d'intellectuels (quelle que soit l'idéologie de ses hôtes)avec une large panoplie de méthodes.
L'investigatrice affirme que "pour comprendre l'influence de la petite équipe de CANVAS dans tant de pays - (5 personnes à son siège, et quelques activistes directs dispersés dans le monde, pour être précis), - il faut revenir à la fin des années 90. Un rapport spécial de l'Institut des États-Unis pour la paix (United States Institute of Peace, USIP) du 14 avril 1999 nous donne une indication : « Le gouvernement des États-Unis devra augmenter considérablement son soutien à la démocratie de la République fédérale de Yougoslavie pour que sa dotation actuelle, d'environ 18 millions de dollars, passe à 53 millions de dollars au cours de cette même année fiscale (...). Ces fonds pourraient couvrir les voyages à l'étranger des leaders étudiants et financer des programmes d'études et des bourses en Europe et aux États-Unis ». Le rapport est illustré par une image d'un poing noir dressé : le symbole de Otpor !". Ce n'est pas Cubasi qui l'affirme, ni votre chroniqueur. Que faut-il de plus ?
Selon Popovic : "De nombreux acteurs internationaux souhaitaient faire tomber 'Sloba'(Slobodan Miloševic) « C'était des gens avec qui on pouvait parler de politique et gagner de l'argent, comme la Fondation nationale pour la démocratie (National Endowment for Democracy, NED), l'Institut républicain international (IRI) et l'Institut national démocratique (NDI), qui collaboraient avec des partis politiques, et Freedom House, qui travaillait avec les médias »."
Et la chercheuse ajoute :
"Selon Paul B. Mccarthy, alors responsable régional de la NED, OTPOR a reçu la plus grande partie des 3 millions de dollars dépensés par l'organisation étatsunienne en Serbie à partir de septembre 1998. Ces fonds auraient servi à déclencher des manifestations et à fabriquer du matériel de propagande, tee-shirts, affiches, autocollants avec le graphique du poing, ainsi qu'à former et coordonner des militants. « Nous avons imprimé deux millions de copies du tract 'C'est terminé', que nous avons distribué dans toute la Serbie. Nous avions des comités dans 168 lieux. C'était le plus grand réseau d'activistes ; aucun parti en Serbie n'en avait autant. Quelqu'un a payé pour tout cela, tout comme pour les bureaux et les téléphones portables, etc. »".
Interrogé sur le financement, Serdga Popovic répondit qu'"il ne posent aucun problème, parce qu'il s'agit d'« organisations qui travaillent de manière transparente ». Et que ces millions ne représentent rien de "crucial".
Et une dernière citation, sur les chaises tournantes de ces "révolutionnaires" :
"Les « révolutions de couleur » mènent à des carrières brillantes. Les anciens activistes se sont associés avec des institutions de belles renommées, comme Freedom House ou des fondations privées comme celle de Soros. D'autres occupent des postes importants dans leur gouvernement. Popovic enseigne en ligne à l'Université Harvard et a été élu en 2017 recteur de l'Université de St. Andrews en Écosse. Il donne également une conférence annuelle à l'Académie de l'armée de l'air des États-Unis, à Colorado Springs. « Ma théorie reste la même : 4% des changements de régime sont réalisés par des changements violents, 96% par un changement non violent. Un jour, ces élèves devront décider : « Allez, nous bombardons'ou 'nous ne bombardons pas'. Si vous parvenez à influencer une telle décision, vous sauvez de nombreuses vies », déclare Popovic, qui fut nominé pour le prix Nobel de la paix en 2012. Le Forum économique mondial de Davos l'a distingué l'année suivante comme l'un de ses « jeunes leaders planétaires » (Young Global Leaders) et figurait même parmi les « 100 penseurs les plus importants de la planète » en 2011, selon le magazine étasunien Foreign Policy."
Bush avait dit dans un discours de l'époque : "Nous avons allumé un feu, un feu dans la mémoire des hommes qui réchauffe ceux qui sentent son pouvoir, brûle ceux qui tentent de freiner sa progression et un jour ce feu incontrôlable de la liberté atteindra les endroits les plus sombres de notre monde". Des années après, la "liberté" arriverait dans les ogives des bombes sur les coins sombres d'autres mondes, à la place des révolutions non-violentes dont Bush parlait dans son discours.
Après la chaîne de "révolutions non violentes" qui vont de 2001 en Serbie (de velours), 2003 en Géorgie (des Roses), 2004 en Ukraine (l'Orange) et Kirghizstan, 2005 (des Tulipes), Poutine et Bush se réunissent au cours d'un sommet que certains médias ont appelé de la "réconciliation". C'est la première rencontre des deux hommes d'État depuis que la "révolution" orange entraina l'Ukraine dans l'orbite occidentale.
Le film de Manon Loizeau, Les Etats-Unis : à la conquête de l'Est (*), traduit par la TV Vénézuélienne, montre un vaste parcours à travers plusieurs des pays et des personnages mentionnés au paragraphe précédent. Il montre la scène d'une rencontre de Bush, avant l'arrivée de Poutine sur le lieu de la rencontre, avec "une autre" délégation très spéciale : il lève un toast de travail avec toute l'équipe des leaders des récentes révolutions colorées.
En un instant, presque au début du reportage, on peut voir Giga Bokeria, organisateur du mouvement étudiant géorgien (KMARA), s'adresser à Ivan Marcovic, le leader du mouvement étudiant serbe OTPOR, et lui dire : "Tu sais, on m'a demandé ce qu'on pouvait faire à Cuba. - Vous avez besoin d'un visa pour aller à Cuba ?" et l'autre de répondre "Nous, non. Nous, non. Nous n'avons pas besoin de visa pour aller à Cuba. Vous allez voir. Nous allons envoyer 10 millions de Serbes pour faire la révolution à Cuba."
On les attend toujours.
Traduction Rose-Marie LOU
(*)
(À suivre...)
Le Monde diplomatique : Ana Otaševic : Mercenarios de la lucha no violenta. Cómo exportar la democracia liberal mondiplo.com
La chercheuse concentre son attention sur l'activité ultérieure de Srda Popovic et de son organisation actuelle, CANVAS. Cet article est basé sur les données fournies.
La première partie de ces notes peut être consultée à l'adresse cubasi.cu et l'enquête citée dans rebelion.org
»» cubasi.cu