08/06/2025 ssofidelis.substack.com  7min #280500

 Des milices soutenues par Israël et liées à l'Ei pillent l'aide à Gaza sous la surveillance de l'armée israélienne

Les sales vieilles manies

Crédit photo © Mahmud Hams

Par  Binoy Kampmark, le 7 juin 2025

C'est l'une de ces choses qui devraient être enregistrées et rejouées à l'infini : Israël, afin de préserver un sentiment de sécurité mal placé, soutient volontiers les groupes palestiniens afin de les diviser. Le Hamas, considéré aujourd'hui comme un monstre existentiel, a été toléré et même soutenu pendant de longues périodes dans le but de saper les plusieurs factions de l'Organisation de libération de la Palestine représentées par le Fatah.

Dans son ouvrage publié en 2008, Hamas vs. Fatah, Jonathan Schanzer explique comment les Frères musulmans égyptiens, source d'inspiration du Hamas, ont été considérés comme une opportunité par les Israéliens lorsqu'ils se sont implantés à Gaza.

"À la fin des années 1970, les Israéliens pensaient avoir trouvé le talon d'Achille du Fatah".

La stratégie israélienne a permis aux Frères musulmans de prospérer, allant jusqu'à autoriser le religieux Cheikh Ahmed Yassin à mettre en place un réseau de services sociaux, médicaux et éducatifs. Ceux-ci avaient été gravement négligés par le Fatah dans la bande de Gaza, et cette approche a effectivement favorisé l'émergence du fondamentalisme, considéré, curieusement, comme plus facile à gérer que l'aventurisme militaire de l'OLP.

La première Intifada, en 1987, a incité Yassin et ses partisans à créer le Harakat al-Muqawama al-Islamiya (Mouvement de résistance islamique). La charte de 1988 de l'organisation que nous connaissons sous le nom de Hamas, plus jeune, plus légère et plus affamée que ses rivaux du Fatah, énonçait clairement son objectif : "Il n'y a pas d'autre solution à la question palestinienne que le jihad".

En 2009, alors qu'il inspectait les ruines du bungalow d'un voisin à Moshav Tekuma, l'officier israélien à la retraite Avner Cohen, qui avait servi à Gaza pendant plus de deux décennies, était plein de regrets.

"À mon grand regret",  a-t-il déclaré au Wall Street Journal, "le Hamas est une création d'Israël".

Le soutien et les encouragements de l'État juif ont en effet enhardi un ennemi mortel.

Un tel bilan devrait inciter les législateurs et les dirigeants éclairés à faire preuve de prudence. Mais comme toujours, l'histoire nous enseigne que ses erreurs restent lettre morte, et que les plus désastreuses et néfastes se répètent à l'infini. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu en est la parfaite illustration. Ses nombreux gouvernements ont fièrement soutenu la politique de division entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, affaiblissant le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas en Cisjordanie tout en soutenant le Hamas à Gaza. De temps à autre, l'armée israélienne procédait à des opérations sanglantes contre le Hamas, une stratégie qui  a fini par être baptisée "tondre le gazon".

Le soutien d'Israël au Hamas s'est traduit par  l'octroi de permis de travail (jusqu'à 3 000 accordés aux Gazaouis en 2021, puis 10 000 durant le gouvernement Bennett-Lapid) et par l'entrée dans la bande de Gaza, depuis 2018, de valises bourrées d'argent qatari via les checkpoints. En 2019, Netanyahu  aurait déclaré lors d'une réunion de la faction du Likoud que les opposants à un État palestinien devraient soutenir le transfert de fonds au Hamas. Cinq ans plus tôt, Bezalel Smotrich, l'actuel ministre des Finances, partisan de la purification ethnique,  déclarait sans ambages que

"l'Autorité palestinienne est un fardeau, et le Hamas un atout".

Avec le Hamas désormais comme cible et ennemi juré, le Premier ministre estime que la même expérience défaillante adoptée par étapes depuis les années 1970 peut être reproduite : soutenir et encourager un autre groupe de Palestiniens à saper toute cause souveraine.

La figure centrale et bénéficiaire de cette dernière folie est le très louche Yasser Abu Shabab, un habitant de Rafah issu d'une famille bédouine connue pour son casier judiciaire bien chargé. Se faisant appeler "Service antiterroriste" ou "Forces populaires", et armés des fusils d'assaut et du matériel saisi au Hamas (et redistribués par Israël), son "clan", comme le décrivent certaines sources, est connu pour avoir pillé l'aide humanitaire à Gaza. Aux yeux de Netanyahu, ces pillards cupides sont devenus des sentinelles opportunistes, surveillant partiellement l'aide dérisoire actuellement envoyée à Gaza sous la supervision de la Fondation humanitaire de Gaza, soutenue par Israël.

Georgios Petropoulos, haut fonctionnaire des Nations unies basé à Gaza l'année dernière,  qualifie Abu Shabab de "seigneur de guerre autoproclamé de l'est de Rafah". Pour sa part, Abu Shabab  admet avoir pillé des camions d'aide humanitaire, mais uniquement "pour pouvoir manger, pas pour vendre". Les penchants prédateurs de ces groupes sont bien connus, et le chef du bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires dans les territoires palestiniens occupés, Jonathan Whittall, a porté une  accusation accablante le 28 mai :

"Le véritable vol de l'aide depuis le début de la guerre a été perpétré par des gangs criminels, sous la surveillance de l'armée israélienne, qui les a laissés opérer à proximité du checkpoint de Kerem Shalom à Gaza".

Le 21 mai, le groupe d'Abu Shabab  a publié sur Facebook que "92 camions ont été sécurisés et sont entrés dans la zone protégée par nos forces populaires, puis sont ressortis sans encombre sous notre surveillance". Aucune précision n'a été donnée quant à l'organisation qui aurait loué les véhicules de transport.

Alors que les rumeurs allaient bon train sur la dernière initiative du gouvernement israélien, Netanyahu a mis les choses au clair.

"Sur les conseils des responsables de la sécurité, nous avons mobilisé les clans de Gaza hostiles au Hamas", a-t-il claironné dans une  vidéo publiée avec son cynisme habituel. "Qu'y a-t-il de mal à cela ?" Cette stratégie "ne fait que sauver la vie de soldats israéliens et la divulgation de cette information ne profite qu'au Hamas".

Le conseil prétendument donné par le Shin Bet à Netanyahu d'armer les milices de Gaza opposées au Hamas était une mesure opportuniste,  largement motivée par le refus persistant du Premier ministre d'impliquer l'Autorité palestinienne dans la bande de Gaza.

Les législateurs israéliens n'ont pas tous été impressionnés par la dernière tentative de Netanyahu de séduire par sa prétendue ingéniosité. Yair Golan, chef des Démocrates à la Knesset, l'a  condamné comme constituant une menace pour la sécurité israélienne.

"Au lieu de conclure un accord, de prendre des dispositions avec l'axe sunnite modéré et de ramener les otages et la sécurité des citoyens israéliens, Netanyahu crée une nouvelle bombe à retardement à Gaza".

Le chef du parti Yisrael Beiteinu, Avigdor Lieberman, estime que le transfert d'armes à la milice d'Abu Shabab a été effectué de manière unilatérale.

"Le gouvernement israélien est en train d'armer un groupe de criminels et de hors-la-loi, identifiés comme appartenant à l'État islamique",  a-t-il déclaré à la chaîne publique Kan. "À ma connaissance, cela n'a pas été approuvé par le cabinet".

L'aide humanitaire étant désormais à la merci d'un groupe rejeté par les responsables de l'ONU, les travailleurs humanitaires et certains politiciens israéliens - dans un rare consensus -, une nouvelle série de dérapages se profile, d'une stupidité absolue et désespérée. Israël ajoute à son insécurité, tandis qu'Abou Shabab ne connaît que trop bien l'opinion de sa famille, exprimée dans une  déclaration glaçante :

"Nous affirmons ne plus tolérer le retour de Yasser dans notre famille. Nous n'avons aucune objection à ce que son entourage le liquide immédiatement, et déclarons que sa mort est méritée".

Traduit par  Spirit of Free Speech

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