Alors qu'une vague de chaleur exceptionnelle a frappé le Soudan du Sud en février 2025, une étude internationale publiée par World Weather Attribution alerte sur les effets catastrophiques de la hausse des températures sur les femmes et les filles. Entre tâches domestiques harassantes, travail en extérieur et accès limité aux services essentiels, les Sud-Soudanaises cumulent les vulnérabilités face à un climat de plus en plus extrême.
À Juba, dans la capitale du Soudan du Sud, l'effondrement d'une dizaine d'élèves par jour suite aux températures intenses a provoqué la fermeture des écoles durant deux semaines. Alors que le thermomètre grimpe au-dessus de 40°C, la ministre de la Santé, Ayaa Benjamin Warille, conseille aux parents de garder leurs enfants à l'intérieur et de rester hydratés, exhortant le public à éviter les activités de plein air pendant les pics de chaleur.
Des recommandations qui semblent vaines, dans ce pays où l'accès à l'eau potable est irrégulier et où la plupart des habitations de fortune n'ont pas d'accès à l'électricité ni à une ventilation suffisante. Ravagé par les conflits et les catastrophes climatiques, le Soudan du Sud compte près de 12 millions d'habitants, dont 92% vivent en dessous du seuil de pauvreté selon le dernier rapport de la Banque mondiale.
Une chaleur extrême désormais dix fois plus probable
Une situation catastrophique dénoncée par de nombreux experts et institutions internationales, qui s'accentue à mesure que les pics de chaleur s'enchaînent. Au mois de février 2025, une vague de chaleur extrême a frappé le pays, rendue 10 fois plus probable par le changement climatique.
"Les températures les plus chaudes de l'année ne sont généralement pas attendues dès février (...). Cependant, avec le climat actuel qui s'est réchauffé de 1,3 °C, les températures nocturnes et diurnes observées sur sept jours dans la région du Soudan du Sud ne sont plus inhabituelles", regrette une équipe de scientifiques du Burkina Faso, du Kenya, d'Ouganda, des Pays-Bas, d'Allemagne, d'Autriche, du Danemark, de Suède, du Mexique, du Chili, des États-Unis et du Royaume-Uni.
Ensemble, ces chercheurs ont collaboré pour évaluer dans quelle mesure le changement climatique d'origine humaine a modifié la probabilité et l'intensité des chaleurs extrêmes dans la région. Leur recherche, publiée le 7 mars dernier par la World Weather Attribution, se penche en particulier sur les impacts de ces événements climatiques sur les femmes et les filles du pays.
"Au Soudan du Sud, le genre joue un rôle crucial dans la vulnérabilité, l'exposition et la capacité d'adaptation aux épisodes de chaleur extrême"
Des vulnérabilités croisées aggravées par le genre
Les femmes du pays cumulent en effet les facteurs de vulnérabilité : mortalité maternelle élevée, faible taux d'alphabétisation, inclusion financière limitée, peu de représentation à l'échelle politique, et une majorité d'emplois précaires dans le secteur informel. "Ces vulnérabilités croisées aggravent les risques posés par les vagues de chaleur, affectant la santé des femmes, leur stabilité économique et leur résilience globale", notent les chercheurs.

Travaillant principalement dans le secteur agricole (ou dans un autre secteur fortement exposé à la chaleur, comme la vente ambulante ou l'industrie manufacturière), les femmes sud-soudanaises consacrent en outre 60 % de leur temps à des tâches domestiques non rémunérées, comme aller chercher de l'eau et cuisiner dans des environnements extrêmement chauds. Pour les scientifiques, "cette exposition prolongée à la chaleur, accompagnée d'efforts physiques, peut avoir de graves effets à long terme sur la santé, notamment des troubles cardiovasculaires, des lésions rénales et une vulnérabilité accrue à l'épuisement dû à la chaleur et aux coups de chaleur".
Alors que plus de 7 femmes adultes sur 10 sont analphabètes, l'éducation des jeunes filles est gravement mise à mal par les chaleurs extrêmes qui touchent le pays.
"Les fermetures prolongées d'écoles augmentent le risque de pertes d'apprentissage, renforcent les attentes sexistes des ménages et augmentent les risques de mariage précoce, rendant la rentrée scolaire plus difficile pour les filles"
Entre conflits, services de santé défaillant et violences : des risques multipliés
Les jeunes mères sont aussi particulièrement vulnérables, alors que le Soudan du Sud affiche l'un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde, avec 1 223 décès pour 100 000 naissances vivantes selon l'OMS. Lié à un système de santé défaillant, ce triste phénomène est aggravé par la montée des températures, en particulier pour les femmes vivant dans des logements informels en zones urbaines, qui subissent l'effet d'îlot de chaleur urbain.
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"Une synthèse de 198 études menées dans 66 pays a révélé que l'exposition à la chaleur était liée à une augmentation des naissances prématurées, du risque accru de mortinatalité, des anomalies congénitales et du diabète gestationnel", notent également les chercheurs, bien que ces tendances n'aient pas encore pu être confirmées pour le Soudan du Sud.
Finalement, les conflits prolongés qui terrassent le pays exacerbent aussi les effets de la chaleur, en limitant l'accès aux ressources essentielles telles que l'eau et les soins de santé. Bien qu'un accord de paix ait été signé en 2018, des millions de personnes sont encore déplacées à l'intérieur du pays. Alors que l'insécurité force les populations vulnérables à se réfugier dans des abris surpeuplés et mal ventilés, les femmes et les filles sont confrontées à des risques supplémentaires.
"Souvent chargées de s'approvisionner en eau et en bois de chauffage, ces tâches les exposent à la fois à une chaleur extrême et à des menaces accrues de violence"
Construire une résilience climatique équitable
Mais le travail des chercheurs ne s'arrête pas à énumérer les défis qui pèsent sur les épaules des femmes sud-soudanaises. "L'objectif de cet article est de suggérer des pistes pour construire une résilience climatique plus équitable". À ce titre, et conscient des enjeux majeurs que traverse le pays, les scientifiques suggèrent des stratégies peu coûteuses et ciblées pour aider les communautés à gérer les risques de chaleur.
Dans les écoles, des mesures telles que la modification des horaires de cours pour éviter les heures les plus chaudes de la journée ou la réorganisation du calendrier scolaire pourraient contribuer à éviter les fermetures à long terme. En outre, "la modernisation des bâtiments scolaires avec des options de refroidissement passif (par exemple, des arbres d'ombrage, la peinture des toits en blanc) peut également être un moyen peu coûteux de réduire les risques, tout comme la formation aux premiers secours pour les enseignants et les élèves afin qu'ils puissent reconnaître les signes de maladies liées à la chaleur et prendre les mesures appropriées", suggère le rapport.
En zone rurale, il est essentiel de soutenir les agricultrices grâce à des pratiques agricoles résilientes au climat, de renforcer la protection du travail des travailleurs extérieurs et d'apporter une aide financière aux ménages les plus vulnérables. De manière générale, l'élargissement de l'accès à l'eau potable, aux zones ombragées et aux espaces de rafraîchissement est primordial. Au sein des camps de déplacés, ce type de mesures peut apporter un véritablement un soulagement à une population déjà très vulnérabilisée.
Malheureusement, tant que les inégalités structurelles persisteront au sein de l'État le plus jeune du monde, le genre continuera de jouer un rôle essentiel dans la vulnérabilité, l'exposition et la capacité d'adaptation aux épisodes de chaleur extrême. C'est sans oublier d'autres groupes marginalisés, comme les personnes handicapées, les personnes âgées et les enfants, qui cumulent eux aussi des facteurs de risque devant la montée des températures.
- Lou Aendekerk
Photo de couverture :