27/01/2023 les-crises.fr  7 min #223106

Lula investi au Brésil : le début d'une politique étrangère non-alignée ?

Le nouveau président est clair dans sa volonté de coopérer avec les États-Unis mais son pays restera indépendant sur la scène internationale.

Source :  Responsible Statecraft, Andre Pagliarini
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Luiz Inacio Lula da Silva (g), le nouveau président brésilien, son épouse Rosangela Silva (2e à gauche), Geraldo Alckmin, le nouveau vice-président du Brésil (d), et son épouse Maria Lucia Ribeiro (2e à droite) tout sourire se rendent en voiture ouverte de la cathédrale métropolitaine au Congrès pour prêter serment.

La cérémonie d'investiture de Lula le 1er janvier a suivi toutes les étapes traditionnelles prévues dans le cadre d'une passation de pouvoir pacifique depuis le retour de la démocratie à la fin des années 1980.

Les représentants qui sont venu pour participer à l'inattendu 3ème mandat de Lula, sans oublier ce que le nouveau chef d'état avait lui même à dire à propos de sa vision de politique étrangère lors de ses différentes prises de parole d'investiture, donne des indices sur l'évolution du rôle de la plus grande nation d'Amérique latine sur la scène internationale pour les années à venir.

L'indice peut-être le plus clair démontrant la volonté de Lula de marquer une rupture par rapport à son prédécesseur et de garder le Brésil en dehors du camp politique des États-Unis était l'accueil chaleureux qu'il a réservé autant au représentant ukrainien que russe. Avant son investiture, Lula a rencontré individuellement Valentina Matvienko, présidente du conseil de la Fédération de Russie, et la vice-première ministre de l'Ukraine Yulia Svyrydenko. Dans son post à propos de son rendez-vous avec Matvienko, Lula « l'a remerciée pour les salutations de Poutine et a exprimé le désir du Brésil d'une paix ainsi que de l'obtention d'un terrain d'entente pour les deux parties afin de mettre un terme au conflit. »

Il a reçu également de Svyrydenko les meilleurs vœux du président Volodymyr Zelensky ainsi qu'une mise à jour concernant la guerre avec la Russie. « Au Brésil, a-t-il souligné, nous avons une tradition de défendre l'intégrité des nations et nous allons échanger avec tous les acteurs possibles pour la paix. » Prises ensemble, ces déclarations offrent un aperçu de la manière dont Lula voit le conflit qui fait rage en Europe de l'Est et la politique étrangère plus généralement.

Il est clair que le respect de la souveraineté nationale sera un pilier important de la politique extérieure de Lula, que ce soit en Europe ou dans le monde occidental. En effet, Lula a souvent fait référence à la souveraineté nationale en dénonçant l'ingérence étrangère dans des pays comme le Nicaragua, Cuba et le Venezuela, même quand il a occasionnellement critiqué leur régime. En soutenant la souveraineté de l'Ukraine, Lula fait une remarque plus globale sur la non-intervention. C'est en accord avec ce que Celso Amorim, l'ancien chef de la diplomatie de Lula et plus important conseiller aux affaires étrangères, avait dit en mars dernier : « Je suis contre l'usage unilatéral de la force Je ne peux pas condamner l'invasion de l'Irak par les États-Unis et accepter une autre invasion. »

Le fait que Lula ait reçu une délégation russe signale cependant son intention de garder les voies de communication ouvertes malgré le fait que les relations entre Moscou et Washington se soient considérablement détériorée ces dernières années.

La secrétaire à l'Intérieur des États-Unis Deb Haaland, qui avait critiqué le gouvernement de Bolsonaro avec véhémence pendant son mandat au Condrès, était à la tête de la délégation américaine. Elle a déclaré que représenter les États-Unis lors de l'investiture de Lula était « l'honneur d'une vie. En tant qu'ancienne membre du Congrès, » a-t-elle tweeté à propos de la cérémonie de prestation de serment de Lula « être le témoin d'une démocratie en action a été pour moi un honneur. L'investiture qui a lieu aujourd'hui est une étape passionnante dans le travail à venir pour les États-Unis et le Brésil afin de garantir que nos solides démocraties œuvrent pour le bénéfice de tous. » Il est difficile d'imaginer qu'un autre événement politique puisse unir et enthousiasmer des délégations de Russie, d'Ukraine, du Venezuela et des États-Unis.

Washington devrait reconnaître la nature exceptionnelle du Brésil de Lula et ne pas chercher à lui lui forcer abusivement la main sur des questions de politique internationale. Lula a su démontrer également son enthousiasme et ses compétences sur la scène internationale qui méritent un degré de latitude, sinon de déférence de la part des États-Unis dans ce nouveau contexte politique.

Jusqu'au dimanche matin de l'investiture, il était prévu que le président vénézuélien Nicolás Maduro participe à la cérémonie mais il n'a finalement pas pu venir, bien que tous les représentants de son gouvernement étaient présents. Apparemment la peur de tomber sous le coup de sanctions américaines aurait interféré avec les plans de Maduro.

En effet, les relations entre Washington et Caracas vont très certainement être un sujet dans lequel Lula va chercher à jouer un rôle proactif. L'administration Biden, qui a montré des signes de réceptivité à une nouvelle approche envers le Venezuela après les efforts va-t-en-guerre de changement de régime de l'administration Trump, ferait mieux de croire en la crédibilité asymétrique de Lula avec les gouvernements de gauche à travers l'Amérique latine. Dans les conflits régionaux et ailleurs, Lula voudra positionner le Brésil - et lui-même - comme un intermédiaire pour les problèmes diplomatiques épineux. Un pragmatisme ancré dans une vision du monde généralement progressiste semble être la carte de visite de son administration.

Lors de son allocution au Congrès, Lula a aussi réitéré son engagement pour l'intégration régionale et la revitalisation des BRICS, la confédération du Brésil, Russie, Inde, Chine et de l'Afrique du Sud, qui s'est révélée être un acteur majeur des économies émergentes pendant le dernier mandat de Lula.

« Notre leadership va se concrétiser par la reprise de l'intégration de l'Amérique du Sud, de Mercosur, la revitalisation de Unasur et d'autres instances d'articulation souveraine dans la région, a-t-il déclaré. Sur cette base nous seront capables de reconstruire un dialogue fier et actif avec les États-Unis, la communauté européenne, la Chine, les pays de l'Est et d'autres acteurs globaux, renforcer les BRICS, la coopération avec les pays d'Afrique et rompre l'isolement dans lequel notre pays a été relégué. »

Il a continué en plaidant plus globalement pour l'indépendance du Brésil sur la scène internationale, dont le profil singulier ne rentre dans la catégorie ni pro ni anti États-Unis. « Le Brésil doit être son propre maître, a-t-il déclaré, le maître de sa destinée. Il doit redevenir un pays souverain. Nous sommes responsables de l'Amazonie et de vastes biomes, de grands aquifères, de sources de minerais, de pétrole et d'énergies propres. Avec souveraineté et responsabilité, nous serons respectés pour le partage de cette grandeur avec l'Humanité ; solidairement, jamais par la soumission. »

Washington pourrait voir la politique étrangère de Lula comme un obstacle quant à ses plans concernant les Amériques. Après tout, le Brésil ne perçoit pas les menaces dans le monde de la même manière que les États-Unis. Et c'est cela que Washington doit reconnaître comme légitime. Il est tout à fait normal que Lula, ayant été élu démocratiquement, cherche à relancer le programme de politique étrangère dans lequel il s'est tant engagé lors des deux dernières décennies. Le Brésil sort tout juste d'un moment périlleux pour sa propre démocratie et cherchera probablement une nouvelle ère où il s'affirmera sur la scène internationale. Pour ceux qui s'investissent dans un ordre mondial pacifique et fondé sur la coopération, Lula offre de précieuses perspectives.

Les États-Unis devraient saluer l'émergence d'un Brésil plus audacieux et démocratique. Un Brésil stable et confiant est une bonne chose pour l'ensemble de l'hémisphère occidental - ainsi que pour le monde.

Source :  Responsible Statecraft, Andre Pagliarini, 02-01-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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