Dans le cadre d'une médiation placée sous l'égide de la CEDEAO, les chefs d'Etat de cinq pays ouest-africains se sont rendus à Bamako afin de trouver une issue consensuelle à la crise socio-politique qui ébranle le Mali depuis le 5 juin.
Les présidents de cinq pays ouest-africains (la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Niger, le Nigeria et le Sénégal) se sont rendus ce 23 juillet dans la capitale malienne, Bamako, dans le cadre d'une médiation placée sous l'égide de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Leur venue au Mali, qui doit s'achever en fin d'après-midi, s'inscrit dans le prolongement de la mission menée par l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan la semaine précédente, qui avait toutefois échoué à apporter des solutions faisant consensus à la crise socio-politique qui secoue le Mali depuis le 5 juin. Les cinq chefs d'Etat d'Afrique de l'Ouest vont s'entretenir aussi bien avec le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qu'avec l'influent imam Mahmoud Dicko - figure emblématique de la contestation - et les dirigeants du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la coalition antigouvernementale hétéroclite constituée de politiques, religieux et membres de la société civile.
Malgré une trêve à la «désobéissance civile» annoncée le 20 juillet par le M5-RFP en prélude à la fête musulmane de l'Aïd el-Kebir, le chercheur à l'Institut prospective et sécurité, Jean-Claude Felix-Tchicaya, a estimé sur RT France que la situation à Bamako demeurait «explosive». Selon lui, cette suspension des hostilités ouvre néanmoins une fenêtre d'opportunité pour trouver une issue à la crise malienne.
«Cette contestation post-électorale reflète, en réalité, une crise de confiance et de gouvernance beaucoup plus profonde»
La situation malienne actuelle résulte d'un processus long de plusieurs décennies imputable à de multiples causes, dont la défaillance de l'Etat malien et la mauvaise gouvernance. Mais la proclamation par la Cour constitutionnelle, le 30 avril, de l'invalidité de résultats des élections législatives dans 31 circonscriptions, considérés par certains comme largement favorable au parti présidentiel - le Rassemblement pour le Mali - et à ses alliés, constitue l'élément déclencheur.
«Cette contestation post-électorale reflète, en réalité, une crise de confiance et de gouvernance beaucoup plus profonde. Elle s'est greffée à un front socio-politique déjà en ébullition, caractérisé par des grèves persistantes dans les secteurs de la santé, de la justice et de l'éducation», explique l'Institut d'études de sécurité (ISS) basé à Bamako, dans une note publiée ce 23 juillet. Et de poursuivre : «Elle intervient également dans un contexte de mobilisations citoyennes répétées visant à dénoncer la dégradation de la situation sécuritaire, notamment avec les massacres récurrents de populations civiles dans le centre du pays et, plus récemment, la gestion critiquée de la crise sanitaire liée au Covid-19.»
Parmi les principaux acteurs de la contestation, le plus important est sans aucun doute le M5-RFP, dans lequel l'imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut conseil islamique du Mali, «est à la fois la figure de proue et la caution morale de la contestation», selon les chercheurs de l'ISS. Le M5-RFP avait exigé, dans un mémorandum daté du 30 juin, «le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle, la dissolution de l'Assemblée nationale et la mise en place d'un organe législatif de transition avec un Premier ministre doté des pleins pouvoirs choisi par le M5-RFP et qui ne pourra pas être démis par le président», rappelle l'étude de l'ISS. Et d'ajouter : «S'il est vrai que le M5-RFP apparaît comme une coalition de circonstance dont la cohésion est liée à l'inimitié envers le président [Ibrahim Boubacar] Keïta, il n'en demeure pas moins le véhicule contestataire d'une grogne sociale qui, elle, n'a rien de passager.»
Toutefois, puisque le gouvernement malien et les dirigeants du M5-RFP n'ont pas trouvé de terrain d'entente quant aux revendications contenues dans ce mémorandum - rendant celui-ci caduc le 9 juillet - le mouvement contestataire a appelé à la «désobéissance civile» dans le but de destituer le président IBK. Résultat, d'importantes manifestations se sont déroulées dès le 10 juillet et pendant trois jours, principalement à Bamako mais également dans tout le pays, avec pour conséquence un bilan humain de «11 morts, de plus d'une centaine de blessés et du saccage de nombreux biens publics symboliques tels que l'Assemblée nationale et les locaux de la télévision nationale», relate encore l'ISS.
Pour tenter d'apaiser les tensions, IBK avait annoncé le 11 juillet la «dissolution de fait» de la Cour constitutionnelle. Car en dehors du président lui-même - dont les manifestants réclamaient la démission - la Cour constitutionnelle cristallisait elle aussi la vindicte populaire et le renvoi de ses neuf juges figurait parmi les exigences du M5-RFP.
Le président de la République de Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embaló, a rappelé sur RT France que «le président IBK est élu» et est «à deux ans du terme de son second et dernier mandat». Par conséquent, «on ne peut pas permettre que les gens ou les opposants pensent qu'on va demander le départ d'IBK. Tout est négociable pour moi, sauf le départ d'un président qui est élu», a-t-il estimé.
La CEDEAO propose des «recommandations» pour une sortie de crise
La crise socio-politique actuelle au Mali - dont une large partie du territoire est en proie aux violences djihadistes et/ou communautaires et échappe en partie l'autorité de l'Etat - inquiète ses alliés et voisins, qui craignent que le pays ne sombre dans le chaos.
C'est pourquoi, par la voix de son négociateur, Goodluck Jonathan, la CEDEAO a mis sur la table le 19 juillet des «recommandations» pour une sortie de crise, qui ont par ailleurs reçu le soutien de l'Union africaine, des Etats-Unis et de l'Union européenne. Elles ont en revanche été rejetées par le M5-RFP «qui les juge contraires à la Constitution malienne et reproche à l'organisation sous-régionale un parti pris en faveur du président [Ibrahim Boubacar] Keïta».
«Les cinq présidents qui feront le déplacement doivent être conscients du préjugé défavorable qui entoure leur venue au Mali, et prouver que la CEDEAO n'est pas un "syndicat de chefs d'Etat" qui se soutiennent et se protègent mutuellement», estime l'ISS basé à Bamako, toujours dans la même note.
«Etant donné le contexte politique et sécuritaire, tant sur le plan national que régional, la préoccupation principale doit être d'empêcher un vide constitutionnel. Une répartition de postes [dans un gouvernement d'union nationale] sur la base de pourcentages par catégorie d'acteurs ne suffira toutefois pas pour répondre aux aspirations profondes des populations», continue l'ISS.
Et de conclure : «L'urgence devrait consister à poser les bases d'un processus politique fondé sur une feuille de route qui rendrait irréversible la mise en œuvre de profondes et indispensables réformes de gouvernance pour éviter au Mali et à la région un nouvel épisode d'incertitudes.»
Lire aussi Sahel : une menace terroriste persistante malgré l'optimisme affiché par Emmanuel Macron