06/10/2025 ssofidelis.substack.com  6min #292683

Manchester, ou le terrorisme opportuniste

Par  BettBeat Media, le 3 octobre 2025

Dans le grand théâtre de l'Empire, même les tragédies authentiques deviennent des mises en scène scénarisées, et le chagrin sincère se transforme en capital politique.

La machine impériale exige un timing parfait. Alors que les bombes israéliennes pleuvaient sur Gaza, faisant 45 morts en une seule nuit, le monde entier  se focalisait commodément sur Manchester. Un homme, "Jihad Al-Shami" - un nom si parfaitement adapté à la consommation occidentale qu'il frôle la parodie - a attaqué des fidèles de la congrégation hébraïque de Heaton Park, le jour de Yom Kippour. Il a tué deux personnes (dont une par la police, et en a blessé trois autres (dont une également par la police) avant d'être abattu.

En quelques minutes, le récit s'est cristallisé avec l'efficacité d'une production bien rodée. Terreur antisémite. Les Juifs sont en danger. Actions d'Israël justifiées. Le suspect portait une fausse veste d'explosifs, un accessoire théâtral plutôt qu'une arme, garantissant un impact visuel maximal. Son nom, qui se traduit approximativement par "Guerre sainte, le Syrien", n'aurait pas pu être plus judicieux s'il avait été inventé par des scénaristes hollywoodiens pour un public anglophone conditionné par des décennies de propagande sur la guerre contre le terrorisme.

Le décor opportuniste du terrorisme

L'attentat de Manchester présente toutes les caractéristiques de ce que j'appelle "la mise en scène de la violence" : une performance conçue non seulement pour terroriser, mais aussi pour façonner la conscience publique et servir le pouvoir.

Penchons-nous sur les éléments scéniques : un auteur dont le nom évoque un méchant de film hollywoodien, équipé d'une fausse veste d'attentat-suicide pour un impact visuel maximal. La cible : une synagogue associée au sionisme, le jour le plus sacré du judaïsme. Le jour choisi : précisément au moment où l'opinion internationale se retournait contre la barbarie israélienne à Gaza. La réponse : des appels immédiats à renforcer la protection policière des institutions juives, tandis que les communautés musulmanes se retrouvent toujours plus exposées à la violence d'extrême droite.

Les empires survivent grâce à la manipulation des symboles et à l'instrumentalisation du deuil. Les morts deviennent des accessoires dans des productions plus larges. Les victimes de Manchester, dont la mort est indéniablement réelle, servent désormais à justifier le silence sur les crimes de guerre israéliens. Leur sang coule dans l'encre de nouvelles lois réprimant la solidarité avec les Palestiniens.

Ces stupides musulmans !

C'est ainsi que fonctionne la machine. Israël tue 45 Palestiniens en une seule nuit, mais deux morts à Manchester font la une des journaux. Charlie Kirk qualifie les Palestiniens qui meurent de "stupides musulmans", tandis que sa propre mort fait de lui un nouveau Jésus. Le calcul moral est inversé : les vies occidentales comptent infiniment plus que les vies arabes. La souffrance juive, lorsqu'elle est habilement présentée par la politique sioniste, mobilise instantanément les ressources de l'État. La souffrance musulmane, elle, demeure invisible, sans protection ni reconnaissance.

La réponse de l'État britannique a révélé sa véritable nature. Le Premier ministre, Keir Starmer, a promis une protection immédiate pour les synagogues, mais s'est tu à propos des innombrables mosquées attaquées lors des récentes émeutes. Le message est clair : certaines communautés méritent d'être protégées, d'autres doivent être surveillées. Certains actes violents sont qualifiés de terrorisme, d'autres d'activisme politique.

La sémantique de l'empire

Les crises fabriquées serviront de prétexte au contrôle autoritaire. L'attaque de Manchester remplit déjà cette fonction. Les politiciens parlent de réprimer les "discours dangereux", une expression fourre-tout qui permet de criminaliser les campagnes de boycott et le journalisme critique. La dissidence devient complicité. Les questions sont assimilées à la violence.

Le contexte plus général est délibérément occulté. Ce jour-là, trois attaques ont eu lieu : celle de Manchester a fait deux morts, celle de Gaza 45 et celle du Liban deux autres. Seul celui de Manchester a été qualifié de "terrorisme". Les autres étaient des actes étatiques, légitimés par la reconnaissance occidentale. Le meurtre de masse devient politique étrangère lorsqu'il est pratiqué par des alliés, en particulier s'ils sont (ou pourraient être) reconnus comme "blancs".

Cette application sélective des critères moraux est systématique. Je l'appelle "la sémantique de l'Empire" : un ensemble de structures linguistiques favorisant l'émergence de certaines violences tout en occultant les autres. Les enfants palestiniens deviennent des "boucliers humains". Les soldats israéliens passent pour des "héros". La résistance est qualifiée de "terrorisme". L'occupation, de la "sécurisation"...

L'attaque de Manchester illustre parfaitement cette logique. Un seul acte de violence suffit à justifier des représailles sans fin. Les actions d'un seul homme condamnent des mouvements entiers. La pathologie individuelle devient culpabilité collective, mais uniquement pour les ennemis désignés par l'empire.

Un écho à la logique perverse selon laquelle "rien ne justifie le 7 octobre, mais le 7 octobre justifie tout" - alors même qu' Israël a tué 680 000 Palestiniens, dont un demi-million d'enfants, tandis que le 7 octobre a fait moins d'un millier de victimes, pour la plupart des soldats, dont la moitié ont été tués par la propre directive Hannibal d'Israël.

La propagande du deuil

Ce qui en résulte n'est pas la vérité, mais du simulacre - une mise en scène conçue pour court-circuiter la pensée critique et fabriquer un consentement en faveur d'agendas plus ambitieux. Les victimes sont bien réelles, mais leur mort sert de monnaie d'échange dans des jeux de pouvoir et de légitimité plus importants.

Remettre en question ces récits n'est pas preuve d'insensibilité, mais une nécessité. Les morts méritent justice, pas d'être exploités. Leur mémoire mérite d'être protégée de ceux qui exploiteraient le deuil et la tragédie à des fins de propagande.

L'attentat de Manchester est peut-être exactement ce dont il avait l'air : un extrémiste isolé commettant un acte de violence insensé. Ou peut-être était-ce tout autre chose. Mais ce n'est pas la spéculation qui compte, c'est la vérité : dans le théâtre de l'Empire, même d'authentiques tragédies deviennent des performances scénarisées, et la sincérité du deuil, un capital politique.

Tant que nous n'aurons pas appris à voir au-delà des apparences, tant que nous confondrons spectacle et réalité, nous resterons prisonniers du récit de quelque autre, tels de simples figurants dans un drame dont la fin se répète inlassablement : toujours plus de guerre, de surveillance, de silence et de mort.

Ce spectacle est sans fin. Il passe juste à l'étape suivante, fait de nouveaux morts, réclame de nouvelles ovations. Deux options s'offrent à nous : assister au spectacle, ou quitter définitivement la salle.

Traduit par  Spirit of Free Speech

 ssofidelis.substack.com