05/10/2019 vududroit.com  10 min #162598

Cinq morts lors d'une attaque au couteau à la préfecture de Paris

Massacre de la préfecture : le nihilisme insupportable des belles âmes

Il y a une semaine, Arte a sorti un très bon documentaire sur les Frères musulmans en Europe, et sur leur stratégie de constitution d'un réseau de mosquées radicales. Ce documentaire a été co-réalisé par Chesnot et Malbrunot, qui ne sont pas l'alpha et l'oméga sur le sujet, mais qui ont le mérite de faire un travail sérieux et de qualité sur l'islamisme depuis plusieurs années, qui a en outre la caractéristique d'être assez besogneux et factuel pour être incontestable.

Prise de conscience

Il y a quelques années, j'ai connu une prise de conscience assez brutale au sujet du phénomène islamiste. À l'époque, j'ai même été presque obsessionnel, je n'ai aucun mal à le reconnaître, parce qu'il y avait de quoi être obsessionnel après un tel atterrissage. Comment, des mosquées financées par des États qui haïssent mon pays, sur son propre sol, pour y propager une pensée anti-républicaine ? Des citoyens français qui utilisent les angles morts de la loi française pour devenir les relais d'une pensée profondément anti-nationale, qui a pour but principal de diviser la société ? C'était trop gros. Cela m'a donc conduit à lire, me renseigner, étudier le sujet pendant de longs mois, à faire passablement chier de nombreux amis qui, à l'époque, se sont demandés si je n'étais pas en train de passer du côté obscur : celui de l'intolérance, de la xénophobie, et tant d'autres joyeusetés. C'était en 2016. À l'époque, tenir un discours alarmiste sur le sujet islamiste était encore, malgré Charlie, malgré le Bataclan, suspect. Le principal danger : faire « le jeu du ». Casser l'ambiance avec une pensée pas franchement favorable au vivre-ensemble.

Trois ans plus tard, ce constat alarmiste est jugé recevable par une chaîne comme Arte. Chesnot et Malbrunot vont interroger des imams de France, des spécialistes de l'islamisme à travers le monde. Les premiers soutiennent, face caméra, que leurs mosquées respectives sont financées par les fidèles - et feignent la surprise outrée quand on leur met devant les yeux les justificatifs des virements venus du Golfe, parfois de plusieurs millions d'euros, qui ont permis la construction de ces mêmes mosquées. Les seconds décrivent, l'air parfaitement placide, la stratégie frériste de réislamisation des communautés musulmanes d'Occident, menée à grand renfort de « centres culturels », où le cultuel, justement, est à dessein mélangé avec le culturel. La gigantesque mosquée Annour de Mulhouse est par exemple bien plus qu'un lieu de culte : on y trouve un supermarché halal, une école, une morgue, une piscine à horaires séparés pour les hommes et les femmes, etc. Tout ce petit monde doit penser, manger, nager, vivre halal.

Il y a deux ans, je découvrais le rapport de l'Isesco, document tout ce qu'il y a de plus officiel, qui décrivait la façon dont devaient être « réislamisées » les jeunes générations de culture musulmane en Occident. Document de plus de trois cents pages, émis en 2009 par l'Organisation de la coopération islamique, disponible en PDF sur internet. Accès libre. Tout y est, avec un niveau de détail qui m'a plongé dans une sidération dont je me souviens encore aujourd'hui : dénonciation des valeurs occidentales perverses, affirmation de la nécessité de préserver les descendants de l'immigration arabo-musulmane de la mauvaise influence des valeurs démocratiques, etc. Devoir de multiplier la création de centres mêlant cultuel et culturel - on y revient - pour brouiller les pistes, aussi bien vis-à-vis des fidèles que des autorités. J'ai fiché ce rapport, et l'ai envoyé à plusieurs journalistes, qui ont tous sauté au plafond en s'exclamant qu'il fallait en parler. Aucun ne l'a fait : c'est un peu polémique, comme sujet, quand même. Bon pour Riposte laïque ou Français de souche. Nous ne mangeons pas de ce pain-là.

Aujourd'hui, ceux qui dénoncent ce phénomène conjoint, à commencer par le grand spécialiste Mohamed Louizi, sont reçus, sont admis dans des documentaires, comme celui d'Arte dont j'ai parlé en introduction. On ne les traite plus de fous, de nauséabonds. On les écoute, avec quelques années de retard, la mine un peu inquiète. On ne les traite plus de complotistes ou de mauvais esprits rétifs au vivre-ensemble. Combien d'attentats a-t-il fallu pour en arriver là ? Combien d'enquêtes d'opinion (je renvoie à l'enquête publiée par Le Point il y a une semaine) qui montrent que, factuellement, les jeunes générations de culture musulmane sont bien plus religieuses et radicales que celles de leurs parents et grands-parents ? Je ne les ai pas comptées, je me suis contenté de les lire.

Le mur de la réalité

 Les rapports pleuvent sur la « radicalisation », pêle-mêle : à la RATP, dans la police, dans la pénitentiaire. Davet et Lhomme  signent un bouquin alarmiste, il y a un an, sur la Seine-Saint-Denis. Mais attention : la priorité, ce n'est pas de protéger, de nous protéger. C'est de ne pas faire « le jeu du », et de ne pas nuire au vivre-ensemble. C'est bien connu : une société où potentiellement, des pans entiers de la population pourraient se détester et estimer n'avoir plus rien en commun d'ici dix ou vingt ans, c'est très « vivre-ensemble ». C'est très bienveillant. Où finissent ces rapports ? Je n'en sais rien. De quels effets sont-ils suivis ? Je ne le sais pas plus. Je sais qu'en tout cas, le parfum de suspicion qui pesait sur tous ceux qui s'intéressaient au phénomène islamiste, ce procès en racisme, en xénophobie, est en train de tomber peu à peu en désuétude, face au mur de la réalité. Et c'est une nouvelle aussi excellente que triste et presque accablante.

Accablante, parce qu'il aura fallu des centaines de morts, des dizaines de livres, des dizaines de rapports et des pelletées de documentaires pour qu'un début de prise de conscience intervienne. Il reste quand même dans l'air un douloureux et entêtant parfum de lâcheté et de culpabilité rentrée. Est-ce qu'en admettant le fait qu'il y ait un problème, on ne serait pas un peu, nous aussi, en train de faire « le jeu du » ? Est-ce qu'on ne serait pas mieux à persévérer dans notre petit nihilisme de consommateurs insignifiants, les yeux rivés sur nos téléphones et sur nos nombrils, à laisser cette vilaine société progressiste / rance - cocher la case correspondant à votre petite pathologie personnelle - s'effondrer gentiment ? Est-ce que tout ceci vaut bien la peine qu'on se batte, finalement ? Ce nihilisme insupportable semble être, lui aussi, en train de tomber, en tout cas je l'espère. Et les pires nihilistes qui restent sont sans doute, comme d'habitude, ceux qui savent, ceux qui lisent et qui réfléchissent, mais préfèrent poursuivre leurs petites vies de ricaneurs autosatisfaits. Comment donc, s'abaisser à s'intéresser à un sujet aussi corrosif, aussi gênant ? Très peu pour moi. Laissons donc tout ceci s'effondrer en essayant de maintenir nos petites vies et nos petites certitudes, le plus possible.

La goutte d'eau, enfin ?

Je ne sais pas de quelles conséquences sera suivi l' attentat de la préfecture de police de Paris. Comme d'habitude, je vais espérer que ce sera l'acte de trop, celui par lequel le lent et douloureux suicide de mon pays prendra fin. Quatre fonctionnaires servant la France, saignés comme des animaux, par une personne au sujet de laquelle la première urgence consiste à relativiser, sinon écarter, cette si sulfureuse et polémique « radicalisation ». Il ne faudrait pas déranger. Et Mélenchon qui consacre sa revue d'actualité de la semaine à la scandaleuse infraction à la laïcité de l'Etat que constitue la cérémonie à Saint-Sulpice pour Chirac - pas un mot, en revanche, sur le happening de la  Ligue islamique mondiale, en France, ou les bourreaux de Raif Badawi s'affichent en toute quiétude avec de hauts représentants de l'Etat. Et les porte-parole du gouvernement qui expliquent qu'il ne faudrait quand même pas faire d'amalgame. Les ricaneurs ricanent, les aveugles continuent de ne pas voir, les complaisants se complaisent. Il est vraiment temps que ce suicide collectif, constitué du chapelet parfois bruyant et sanglant des meurtres, parfois de l'accumulation silencieuse des petits accommodements et des regards tournés vers le sol, cesse.

Cette lâcheté est vraiment, et je le dis après avoir déjà eu une certaine patience, depuis plusieurs années que je suis le sujet de près, insupportable, et me fait honte pour mon pays.

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 Ambroise de Rancourt

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