21/03/2023 euro-synergies.hautetfort.com  8 min #225877

Maurice Joly et le grand engourdissement de la France

Par Nicolas Bonnal

Je poursuis mon enquête sur le présent permanent: un Etat fou et totalitaire, une masse toujours plus abrutie se rebellant vaguement de temps en temps. L'Etat totalitaire vient nous exterminer globalement et localement avec l'informatique maintenant, tout se passera comme à la parade.

C'est Flaubert qui dit après le putsch de Badinguet: « 89 a démoli la royauté et la noblesse, 48 la bourgeoisie et 51 le peuple. Il n'y a plus rien, qu'une tourbe canaille et imbécile. »

Régime autoritaire, retors et moderne, industriel et policier le Second Empire est l'inventeur du monde moderne. Marx ne s'y trompe pas, qui lui consacre son fabuleux Dix-Huit Brumaire.

J'ai déjà parlé de Maurice Joly et des Entretiens qui auraient influencé les Protocoles. Un lecteur me conseille la Question brûlante sur Wiki source : c'est génial et cela ne fait que trente pages.

Joly écrit :

« Il ne faut pas s'étonner si ce noble pays est resté immobile pendant douze ans: las de vicissitudes politiques, épuisé d'agitations, désabusé de ses erreurs, il n'a pas encore eu le temps de refaire sa pensée; il se cherche et ne se trouve pas. Nourri dans le matérialisme des idées modernes, il a oublié momentanément qu'il avait une âme; il lui suffisait de vivre sous un gouvernement habile à protéger ses intérêts. »

Le peuple est déjà vieux et fatigué - il est saturé et désabusé : voyez mes Chroniques sur la fin de l'histoire qui commencent par Chateaubriand et sa fabuleuse conclusion des mémoires.

 amazon.fr

Joly ajoute :

« D'où vient qu'il ne trouve rien autour de lui que des voix depuis longtemps asservies, et que lui-même, sans doute, il ne compte pas ? D'où vient que l'opinion ne se rallie pas, ne se manifeste pas, ne fait explosion nulle part ? Osons le dire : C'est qu'il n'y a pas d'opinion, c'est qu'il n'y a que des individus, c'est qu'il n'y a que des intérêts ; c'est que tous les ressorts de la France sont, non pas brisés, Dieu me garde de dire un tel mot, mais si profondément détendus, qu'il n'y a plus nulle part ni action ni pensée. Le mal est profond, il est terrible, il est pire que l'agitation peut-être, car l'agitation, c'est la vie du moins ; l'atonie, c'est le commencement de la mort. »

Drumont aussi parlera d'atonie vers 1885 quand il constate que, la république définitivement installée sur le cadavre du peuple, le froncé se moque de tout. Mais le cadavre social, français ou occidental, met du temps à pourrir, c'est tout.

Le sujet de cet essai c'est la réforme libérale voulue par Napoléon III :

« Cette prostration de l'esprit public ne devait point échapper à l'Empereur ; il n'entendait point sans doute régner sur des ombres. »

Le problème est qu'on a déjà une crise morale et religieuse : « toute idée religieuse était détruite, une haine sauvage animant les uns contre le culte de leur pays, une indifférence incurable formant chez les autres une sorte de plaie indolente ; les caractères étaient détrempés, les esprits avaient perdu tout ressort ; aussi l'art, qui n'est que l'expression d'une époque, était-il descendu au même niveau, montrant partout les froides empreintes d'un siècle sans génie ; la littérature avilie se traînait dans le ruisseau ; le théâtre, qui, lui aussi, est l'expression des mœurs, n'était plus qu'un réceptacle où l'ineptie donnait rendez-vous à la licence. »

Après les fastes du romantisme la littérature décline ; il reste Flaubert et Baudelaire que l'on veut d'ailleurs envoyer en prison.

Comme Tocqueville ou Guénon - et même Jouvenel, Joly en veut à la monarchie d'avoir liquidé les Grands - les aristos ; on récolte la classe moyenne (qui se nourrit de l'Etat, explique Tocqueville) et la dictature bureaucratique ; haine pour la bourgeoisie :

« Le gouvernement de Louis XIV et celui de Richelieu furent étrangement imprévoyants, il faut en convenir, en favorisant sans mesure l'essor de la bourgeoisie : l'un en décapitant les restes de l'autocratie féodale, l'autre en ruinant la noblesse dans les fêtes et en l'asservissant au milieu du faste de sa cour. 1789 est le résultat final de leur politique. »

Effondrement du personnel politique :

«...en vain formait-on coalition sur coalition pour escalader le pouvoir et y faire arriver les plus agissants. Pas un homme solide ne se présentait en scène ; on ne voyait que des pygmées se montant sur le dos les uns des autres, et dégringolant aux grands éclats de rire de la foule. »

Joly, qui sous-estime la satanique résilience du bourgeois, éprouve plus de sympathie pour le peuple. Mais bon, le peuple: beaucoup d'appelés (sous les drapeaux), peu d'élus (à la Chambre !):

« Demandez donc aux masses déplorablement égarées de 48, si elles se sentaient incarnées dans la bourgeoisie comme le Saint-Esprit dans la Trinité. Non, la bourgeoisie n'est pas le peuple ; le peuple avec ses grands instincts, sa haute moralité, n'entend pas qu'on le confonde avec la bourgeoisie ; il veut être lui et il est lui, ne fût-ce que par cette distinction profonde qu'il n'a rien et que la bourgeoisie possède, qu'il vit de son travail quotidien et que la bourgeoisie est émancipée du labeur, qu'elle est parvenue et que lui cherche à parvenir... »

 amazon.fr

L'abêtissement général est déjà une évidence (voyez mon texte sur Maxime du Camp) :

« Les beaux ouvrages dont une foule de rares génies ont doté la France sont bien plus connus à l'étranger qu'ils ne le sont en France, où personne ne les lit ; des livres pleins de frivolité, de sottises et quelquefois de turpitudes, sont seuls en possession de la faveur publique. »

On est déjà avec cet individu distrait et lâche, dont parlera Julius Evola :

« Mais ce qui est plus grave, c'est une absence de volonté, un défaut de persévérance, une mobilité qui fait tout entreprendre et tout quitter. Le moindre obstacle décourage, la moindre adversité terrasse. »

Et nous sommes entourés de Macron et d'Attal - et de Dussopt :

« C'est plus que jamais le règne des petits hommes, des hommes d'antichambre, des hommes de coulisse ; il semble qu'une mystérieuse conspiration les pousse, les élève, les caresse, ce sont les mœurs du sérail. Où sont donc nos vertes franchises et notre vieil esprit gaulois ? »

Joly écrit même que « le peuple français n'ose plus moquer ouvertement tous ces Gitons... »

On essaie d'éviter le fisc (aujourd'hui seuls le peuvent les plus riches) : « la masse du public en France ne comprend seulement pas le principe de l'impôt ; on n'y satisfait qu'avec douleur ; pour beaucoup de gens, se soustraire aux charges de l'État n'est pas une mauvaise action, voler le gouvernement n'est pas voler, c'est reprendre son bien à un ennemi qui a toujours les mains dans vos poches. »

 amazon.fr

Fin de l'opinion publique et des grands hommes :

« Non, je le répète, il n'y a pas d'opinion publique en France, je vais plus loin, je dis qu'il n'y a pas de libre-arbitre. À part quelques hommes qui se sont fait des principes et des idées personnelles à force d'étude et de méditation, le plus grand nombre vit sur une provision de lieux-communs qui passent de main en main comme de la monnaie. »

Avant la télé on est bien abruti par la presse. Car la galaxie Gutenberg aura fait de nous des couillons :

« Ce sont partout les mêmes mots, les mêmes phrases qui reviennent à l'oreille, et ces mots, ces phrases sont toutes faites depuis vingt ans. La Presse a habitué le public à prendre chaque jour sa pâtée d'idées toute formulées ; - voyez plutôt ce qui se passe : jamais le public ne jugera par lui-même un homme, un livre, une brochure ; la Presse lui dit : tel livre vient de paraître, c'est fort beau, il le lit ; la Presse lui dit : on joue ce soir telle pièce, c'est magnifique, il y court. Ainsi du reste. »

Le public cocu reste content : « et ce qu'il y a de plus fort, le public est trompé, dupé, on se rit de lui en face il croit, il croit toujours ; il lui suffit que les choses soient imprimées, sa déconvenue de la veille ne lui dessille pas les yeux le lendemain. »

Le grand engourdissement est là pour durer :

« Mais il est douteux que le pays sorte si tôt de son engourdissement. Nul mouvement d'opinion n'a précédé ni suivi cette crise, l'atonie persiste en présence du remède le plus salutaire : c'est un symptôme que le siège du mal est profond. »

Sources :

 fr.wikisource.org

 dedefensa.org

 dedefensa.org

 dedefensa.org

 dedefensa.org

 dedefensa.org

 lesobservateurs.ch

 dedefensa.org

 euro-synergies.hautetfort.com

 Commenter