21/08/2024 arretsurinfo.ch  12min #255207

Meta, en pleine offensive contre la liberté d'expression, bannit le site The Cradle

Par  The Cradle

Le géant des médias sociaux a pris pour cible un média indépendant d'Asie occidentale, alors qu'il intensifie sa répression des voix palestiniennes et régionales, tant sur ses plateformes que parmi ses employés.

Le 16 août, Meta, la société mère de Facebook et d'Instagram, a définitivement banni The Cradle de ses plateformes de réseaux sociaux pour avoir prétendument contrevenu aux standards de la communauté en "faisant l'éloge d'organisations terroristes" et en se livrant à de l'"incitation à la violence".

"Personne ne pourra voir ou trouver votre compte, et vous ne pourrez plus l'utiliser. Toutes vos informations seront définitivement effacées", peut-on lire dans le message accompagnant l'interdiction sur Instagram, où The Cradle avait dépassé les 107 000 followers et accumulé des millions de vues.

"Vous ne pourrez pas faire appel à une révision de cette décision", conclut le message, bien que l'interdiction ait été prononcée sans aucun avertissement ni possibilité de recours.

The Cradle est un site d'information indépendant, géré par des journalistes, qui commente la géopolitique de l'Asie occidentale d'un point de vue Ouest asiatique. Depuis 2021, la publication s'est fait un nom en couvrant les événements régionaux avec toute la profondeur et les nuances qui font souvent défaut aux médias grand public.

Les accusations de Meta quant à l'"éloge d'organisations terroristes" et à l'"incitation à la violence" trouvent en grande partie leur origine dans des messages et des vidéos qui relaient des informations ou des citations de mouvements de résistance d'Asie occidentale tels que le Hamas, le Hezbollah et Ansarallah - inscrits sur la liste noire de nombreux gouvernements occidentaux - qui jouent un rôle essentiel dans l'actualité d'une région au bord du gouffre que signifie une guerre majeure.

Les organisations politiques majeures d'Asie occidentale sont profondément ancrées dans les institutions et la société au Liban, en Palestine et au Yémen et constituent un élément essentiel du tissu social de ces pays. Elles sont représentées dans la gouvernance, gèrent des écoles, des hôpitaux et des services publics et distribuent des salaires à des millions de travailleurs civils.

Ironie de la chose, un grand nombre des citations signalées par Meta de The Cradle au sujet de ces organisations émanent également de responsables israéliens et occidentaux :

"Les renseignements recueillis par le Hezbollah sont aussi précis que ceux d'une organisation de renseignement occidentale avancée, avec des capacités d'observation, une collecte de renseignements rigoureuse et une documentation en temps réel... Dans le nord du pays, il n'y a pas de cible que le Hezbollah ne puisse atteindre avec un taux de réussite supérieur à 50 % ». - Meta affirme que cet article, datant de deux mois, a violé les standards de Meta, bien que les citations proviennent de journalistes et d'officiels israéliens."

Parmi les autres posts qui, selon Meta, enfreignent ses règles, figurent un soutien à des manifestants qui pénètrent dans une usine Elbit au Royaume-Uni, sous la forme d'une image titrée  "L'armée israélienne approuve les plans d'une offensive sur le Liban" et les propos d'un responsable du Hamas au Liban sur la manière dont le "front de soutien [à Gaza]... a atteint son objectif".

Bien que The Cradle se soit parfois heurté aux directives communautaires frustrantes et peu précises de Meta - auxquelles la publication répondait toujours immédiatement - les choses ont semblé se verrouiller davantage après l'assassinat, le 31 juillet, du chef du Politburo du Hamas, Ismail Haniyeh, lorsque la société détenue par le milliardaire américain Mark Zuckerberg a nettement  durci sa politique en matière de liberté d'expression.

Vidéo:  https://x.com/trtworld/status/1821460086008558006

Dans les jours qui ont suivi l'assassinat de Haniyeh, Meta a supprimé 10 posts du compte Instagram de The Cradle en 48 heures. Il s'agissait de citations de responsables du Hamas et du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, condamnant les massacres à Gaza et les frappes israéliennes à Téhéran et à Beyrouth, de vidéos publiées par des factions locales de la résistance affrontant l'armée israélienne à Gaza, et même de titres d'actualité concernant Haniyeh.

L'un des messages supprimés pour non-respect des standards était un titre indiquant que "le Hamas appelle à un 'jour de révolte' après l'assassinat d'Haniyeh". Un autre post contenait un diaporama de citations du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, évoquant les assassinats à Beyrouth et à Téhéran, ainsi qu'une réaction prévisible.

Vidéo:  https://x.com/trtworld/status/1821460086008558006

Le Hamas appelle à un "jour de révolte" après l'assassinat de Haniyeh. (Supprimé par Meta pour violation des droits de l'homme).

𝕏 1821460086008558006 Le Hamas appelle à un "jour de révolte" après l'assassinat de Haniyeh. (Supprimé par Meta pour violation des droits de l'homme).

Meta a informé The Cradle pour la première fois au début du mois d'août : "Si vous enfreignez à nouveau les standards de la communauté Meta, votre compte pourra être supprimé".

Quelques jours plus tard, Meta a émis son bannissement permanent, ciblant le compte Instagram principal de The Cradleet un compte de secours qui n'avait violé aucune des directives de l'entreprise. Quelques heures plus tard, l'entreprise a désactivé la page Facebook de The Cradle, qui n'était pas directement liée au compte Instagram et était enregistrée sous un email totalement différent. Meta a précisé dans son message concernant la désactivation permanente du compte de sauvegarde que le site ne permet pas de "créer un autre compte après la désactivation du vôtre". Le compte de sauvegarde a été créé avant la suspension. Nous considérons qu'il s'agit là d'une preuve que Meta vise The Cradle dans son ensemble.

Le compte commercial deThe Cradle sur Instagram a été clairement identifié dès le départ comme une entreprise de "sites web d'actualités/médias".

D'autres pages d'actualités sur Meta, telles que Middle East Eye et Al Jazeera, publient des images et des contenus similaires - des vidéos publiées par le Hamas et le Hezbollah, par exemple - et semblent libres de le faire sans que leurs posts soient supprimés. La description de ces posts par The Cradle a toujours été strictement neutre.

Les posts Instagram de Middle East Eye et d'Al Jazeera comprennent des images, des citations et des vidéos de responsables du Hamas et du Hezbollah, ainsi que des opérations militaires du Hamas contre Israël à Gaza. The Cradle, en revanche, ne publie pas de photos de dirigeants de l'Axe de la résistance sur les plateformes de Meta, à l'exception de visuels très occultés.

Depuis les événements du 7 octobre 2023 et l'assaut militaire d'Israël sur Gaza, les organes d'information indépendants tels que The Cradle ont constaté une nette augmentation de leur audience, les consommateurs d'informations recherchant une couverture représentative du terrain qui contrecarre la désinformation.

Cette évolution du statu quo mondial de l'information a déclenché une censure croissante de la part des géants des réseaux sociaux.

"Les politiques et les pratiques de Meta ont réduit au silence les voix en faveur du soutien à la Palestine et des droits de l'homme des Palestiniens sur Instagram et Facebook dans une vague de censure accrue sur les réseaux sociaux", a détaillé  Human Rights Watch (HRW) dans un rapport publié en décembre 2023.

"Human Rights Watch a constaté que la censure des contenus liés à la Palestine sur Instagram et Facebook est systématique et globale. L'application incohérente par Meta de ses propres politiques a conduit à la suppression erronée de contenu sur la Palestine... Meta, la société mère de Facebook et d'Instagram, a un dossier bien documenté de répression excessivement étendue sur le contenu lié à la Palestine", ajoute le rapport de HRW.

Les organisations de défense des droits civiques numériques et les groupes de défense des droits de l'homme ont appelé Meta ces derniers mois à  mettre fin à sa  censure systématique des contenus pro-palestiniens, et à respecter ses engagements en matière de droits de l'homme.

L'évolution des politiques de censure de Meta peut être attribuée à ses recrutements douteux. C'est le cas de  Guy Rosen, directeur de la sécurité de l'information depuis 2022, un vétéran de l'unité 8200 de l'armée israélienne - l'unité clandestine des services de renseignement - et cofondateur de l'entreprise technologique israélienne  Onavo, détenue par Facebook.

Meta continue d'intensifier ses attaques contre la liberté d'expression, envisageant même de censurer le mot  "sioniste", comme l'a révélé le journaliste de The Intercept, Sam Biddle, en février 2024.

Citations du secrétaire général Hassan Nasrallah à la suite des assassinats d'Ismail Haniyeh et de Fuad Shukr à Beyrouth et à Téhéran. Le doigt de Nasrallah est visible sur cette photo. (Supprimée par Meta pour non-respect des droits de l'homme)

En 2022, des journalistes palestiniens de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est occupée ont accusé Meta d'avoir "purgé" leurs comptes WhatsApp et Facebook pour avoir dénoncé des crimes de guerre israéliens.

À l'époque, Meta  a accusé les journalistes d'avoir "enfreint leurs standards de publication [en publiant des photos] montrant en détail les civils tués par les forces israéliennes dans la bande de Gaza".

Le géant de la tech a également été accusé de pratiquer une  "censure interne abusive" par ses propres employés.

En juin, Maxine Williams, responsable des politiques de diversité chez Meta, a interdit à ses employés de discuter de la guerre à Gaza, les  informant que l'entreprise avait "décidé de limiter les discussions sur des sujets historiquement perturbants sur le lieu de travail, quelle que soit la gravité de ces sujets - y compris le contenu lié à la guerre et à l'existence d'un État".

Le même mois, un ingénieur palestino-américain, Ferras Hamad, a poursuivi l'entreprise pour  discrimination et licenciement abusif, affirmant que Meta l'a licencié pour avoir essayé de contribuer corriger des bugs responsables de la suppression de posts palestiniens sur Instagram.

De plus, Ferras Hamad accuse Meta de partialité à l'égard des Palestiniens, affirmant que l'entreprise a supprimé les communications internes des employés évoquant la mort de leurs proches à Gaza et mené des enquêtes sur leur utilisation de l'emoji du drapeau palestinien.

Vidéo:  https://x.com/JalalAK_jojo/status/1566860064400482306

Le 15 août, un jour avant que Meta ne bannisse définitivement The Cradle de ses plateformes,  The Guardian a fait état des "conflits internes" chez Meta pour modérer les contenus liés à la guerre à Gaza et de son double discours lorsqu'il s'agit de déterminer "la pertinence de modération de contenus en hébreu et de contenus en arabe".

Les lanceurs d'alerte ont également exprimé leurs craintes de représailles de la part de l'entreprise, déclarant que dans ses priorités, "la sécurité du contenu pour la communauté n'est pas la priorité."

"Si je soulève la question ouvertement, j'ai peur que mon emploi soit menacé - la position de l'entreprise sur cette question est très claire", a déclaré le membre du personnel de Meta dont le nom n'a pas été dévoilé.

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 The Cradle, 19 août 2024

Source:  Thecradle.co

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