26/01/2023 vududroit.com  8 min #223035

Mise en examen d'Agnès Buzyn : la double faute des magistrats instructeurs

La mise en examen de Madame Agnès Buzyn par la Cour de Justice de la République (CJR) sous les acclamations de la foule était une mauvaise action. D'abord c'était une décision illégale et ensuite c'était une façon de clouer un bouc émissaire pilori en préservant soigneusement Emmanuel Macron et sa bande pour la gestion du Covid. Agnès Buzyn est une personnalité politique tout à fait détestable, c'est vrai, mais ce n'est pas une raison pour prendre des libertés avec le droit pour faire plaisir à la clameur. Double faute d'ailleurs, puisque la restauration de la régularité juridique par la Cour de cassation qui a annulé cette mesure, est présentée comme une protection judiciaire indue fournie à la pitoyable ancienne ministre. Comme d'habitude, invoque La Fontaine et ses « Animaux malades de la peste » avec sa célébrissime morale : « selon que vous serez puissants ou misérables les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Et l'on entend de nouveau la chanson du « tous pourris » se déverser dans la presse et les réseaux. Encore bravo pour les magistrats instructeurs de la CJR.

Eh bien, pour une fois, il va falloir doucher les enthousiasmes et dire que cette décision est une bonne nouvelle. Si elle n'était pas advenue c'est alors qu'il y aurait eu lieu de s'inquiéter. Au constat de l'aggravation de la politisation du corps des magistrats.

La CJR, pourquoi faire ?

Il se déroule actuellement une procédure d'instruction sur les conditions dans lesquelles le gouvernement a géré la crise du Covid. Saisi par des centaines, voire des milliers de plaintes, la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République (CJR) mène des investigations, pour certaines à grande vitesse, et procède à des mises en examen à la régularité juridique approximative mais qui sont - et c'est le but recherché - autant de mises au pilori.

Rappelons que CJR est une juridiction spéciale chargée de juger les ministres pour les fautes pénales qu'ils auraient pu commettre dans l'exercice de leurs fonctions. C'est l'application française du principe de séparation des pouvoirs, qui implique que la justice ne peut pas s'ingérer et contrôler le pouvoir exécutif. Organisée par la constitution, cette compétence appartient au Parlement. Malheureusement, depuis une trentaine d'années, une forme de populisme juridique, d'ailleurs largement soutenu par l'opinion publique, veut que les ministres en exercice soient des justiciables comme les autres. C'est une hérésie démocratique, mais face au succès du « tous pourris » et à la volonté des magistrats politisés d'avoir ministres et parlementaires sous leur contrôle, le dispositif initial permettant de respecter les principes d'une démocratie représentative a été mis à mal

La Cour de Justice de la République était au départ une juridiction qui respectait la séparation des pouvoirs puisque tant à l'instruction qu'à l'audience de jugement, c'étaient les parlementaires qui avaient la maîtrise de la procédure. Beaucoup de politiques ont systématiquement fait assaut de démagogie en réclamant la suppression de la CJR, ce qui n'a pas été possible jusqu'à présent. Mais plusieurs réformes ont fait qu'aujourd'hui la place prise par les magistrats de l'ordre judiciaire est devenue beaucoup trop importante, et les ministres se trouvent à leur merci. Moins pour la formation de jugement où les parlementaires restent majoritaires, mais surtout dans les procédures d'instruction qui sont celles qui exposent le plus. C'est ce qui est arrivé à Éric Dupond-Moretti avec les poursuites dont il fait l'objet et à Agnès Buzyn, mise en examen pour « mise en danger délibéré de la vie d'autrui » sous les acclamations de la foule. L'ancienne ministre de la Santé, proche d'Emmanuel Macron, est certes un personnage particulièrement déplaisant, mais cette mesure prise par une magistrature militante était une mauvaise nouvelle pour la démocratie.

Que dit l'article 223-1 du Code pénal ?

L'article 223-1 est celui qui a été invoqué par les magistrats acteurs pour la mise en examen d'Agnès Buzyn à grand son de trompe. « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » C'est ce que l'on appelle «l a mise en danger délibéré d'autrui » qui nécessite que plusieurs éléments soient réunis considérer l'infraction comme étant réalisée.

Il y a trois conditions. Il faut tout d'abord évidemment avoir créé une situation de danger par ses actes, susceptible d'entraîner des conséquences sur la santé d'autrui. Nul besoin d'un dommage effectivement réalisé, puisque le simple fait d'exposer est répréhensible. Ensuite, il faut que ce risque ait été pris en violant une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (les décrets). Pour considérer que l'infraction a été commise, le juge doit donc pointer précisément des textes qui imposaient légalement l'obligation de sécurité. Et encore faut-il que cette obligation ait été particulière, et non pas générale. Par exemple la limitation de vitesse matérialisée par un panneau à l'entrée d'une agglomération est une obligation particulière. Enfin, car ce n'est pas tout, il faut que la violation de cette obligation ait été manifestement délibérée, c'est-à-dire que l'auteur ait eu parfaitement conscience de l'existence de cette réglementation et l'ait violé volontairement en connaissance des risques encourus. On ajoutera que cette infraction est donc intentionnelle.

On imagine l'application de ce texte aux premiers temps erratiques de la gestion de l'épidémie de Covid, dans lesquels Mme Buzyn a certes été calamiteuse, mais au cours desquels aucune réglementation particulière de sécurité spécifique n'avait encore été mise en place. Par la suite, la mesure de confinement, aussi inutile puisse-t-elle apparaître aujourd'hui, ou l'obligation du port du masque dans la rue ou dans les transports ont été des réglementations particulières de sécurité. Madame Buzyn avait déjà quitté le gouvernement. Elle n'a pas été mise en examen parce qu'elle était sortie de chez elle sans l'attestation réglementaire, ou pour avoir refusé de porter son masque dans les transports, mais pour avoir violé une obligation générale d'être attentive à la santé de ses concitoyens lui incombant du fait de sa responsabilité de ministre de la Santé. Les magistrats qui ont prononcé cette mise en examen ont une fois de plus pris une décision juridiquement complètement infondée et ce pour des raisons de démagogie politique. C'est particulièrement grave, car dans une démocratie représentative le contrôle de la qualité de la gestion publique appartient au Parlement. Le juge n'a pas à y intervenir en prenant des libertés avec la loi pour affirmer sa prééminence politique. Les ministres doivent rendre des comptes s'ils commettent des infractions pénales, mais en inventer pour la circonstance s'appelle tout simplement de l'arbitraire. On ne peut par conséquent que se réjouir de la décision de la Cour de cassation qui, loin de vouloir blanchir Mme Buzyn, a pour une fois joué son rôle de gardien de la règle.

En revanche, dans cette crise du Covid, si les dirigeants de l'État (dont Agnès Buzyn bien sûr), ont pris des décisions qui en ont aggravé les conséquences et qui ont eu des impacts avérés et des conséquences mesurables sur des malades, ils auront à en rendre compte. C'est la question des infractions « non intentionnelles » d'homicide et de coups et blessures involontaires.

Des procédures longues, difficiles et aléatoires

Répétons une fois de plus qu'il ne s'agit pas de prendre la défense de dirigeants dont certains ont concrètement failli dans leur mission, mais de rappeler comment se posent les problèmes judiciaires et quels sont les domaines sur lesquels le juge peut intervenir.

Il est en effet possible, comme l'avait été Laurent Fabius, Edmond Hervé et Georgina Dufoix dans l'affaire du sang contaminé, qu'un certain nombre de ministres se retrouvent attraits devant la CJR, non pas pour évaluer la qualité de leur gouvernance, mais pour savoir s'ils ont commis des fautes précises dans la gestion de la pandémie. Des fautes ayant provoqué des dommages corporels à des citoyens. Mais normalement, l'aboutissement de telles procédures est particulièrement aléatoire, puisque pour entrer en voie de condamnation, il faudra établir que les fautes commises ont directement provoqué ou aggravé des dommages corporels chez des malades du Covid identifiés et individualisés. C'est bien un lien de causalité qu'il faudra établir et non une simple corrélation. Par exemple, la grotesque et scandaleuse gestion des masques par Buzyn, Ndiaye et Véran ne pourra engager leur responsabilité pénale que s'il est démontré qu'elle a été directement à l'origine de décès ou de séquelles sur des victimes identifiées. Or, à ce jour, le débat sur l'utilité du masque fait toujours rage dans la communauté scientifique ! Si les procédures se poursuivent dans le respect de la loi, il faudra techniquement des années pour les faire avancer. À mon avis, nous y serons encore dans 15 ans.

Je considère qu'on ne peut pas se réjouir de toutes ces instructions conduites qui rendent des décisions judiciaires motivées politiquement comme autant de mises au pilori par des médias et réseaux particulièrement gourmands. Dès lors que les principes de la séparation des pouvoirs ne sont pas respectés, la démocratie représentative ne peut pas fonctionner normalement. Non parce que les magistrats seraient particulièrement méchants ou souhaiteraient être califes à la place du calife, mais parce que si on leur donne un pouvoir à dimension politique, il ne faut se faire aucune illusion : ils seront fatalement tentés de s'en servir.

La gestion de la pandémie par la bande de bras cassés choisis par Emmanuel Macron est d'abord et avant tout une question politique. Et on ne fait pas de politique par juges interposés.

 Régis de Castelnau

 vududroit.com

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