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Non, les pyramides de Gizeh n'ont pas été construites par d'anciens esclaves hébreux

Sphinx et pyramides de Gizeh, © Juan Cole, 2011.

Par  Juan Cole, le 10 novembre 2025

Ann Arbor - Le mythe tenace véhiculé par les Israéliens sur les questions historiques devient un véritable danger géopolitique, tout autant que les affabulations des sionistes chrétiens, comme l'actuel ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu affirme que le juriste musulman ou mufti Amin al-Husseini aurait incité Hitler à commettre l'Holocauste, probablement l'une des déclarations les plus provocatrices et islamophobes qui soient, et un mensonge absolu.

Parmi les nombreuses fausses allégations historiques persistantes, il faut citer celle selon laquelle les pyramides de Gizeh auraient été construites par des esclaves juifs, pyramides qui font l'actualité avec l'inauguration du superbe nouveau musée égyptien. Cette affirmation a été largement diffusée par le Premier ministre israélien Menahem Begin en 1977, à la stupéfaction de son interlocuteur dans les négociations, le président égyptien Anwar El Sadat.

 Egypt Independent rapporte que Magdy Shaker, archéologue en chef au ministère du Tourisme et des Antiquités,

"a fustigé les déclarations du journaliste israélien Eddy Cohen sur le rôle d'Israël dans la construction des pyramides", concluant : "On se demande comment on peut prétendre avoir participé à la construction d'un édifice aussi monumental que la pyramide de Khéops sans même exister à l'époque".

Les Hébreux ou "Juifs" n'ont pas participé à la construction des pyramides, car il n'y avait pas encore de Juifs à cette époque. Les trois pyramides de Gizeh ont été construites pendant la IVe dynastie (vers 2575-2465 avant notre ère). Moïse est un personnage mythique imaginé par les scribes juifs de l'Iran achéménide dans les années 500 avant notre ère et plus tard, d'après des récits populaires circulant au sujet d'une branche des Cananéens, et on ignore s'il a réellement existé et à quelle époque. Si l'on en croit la tradition, il aurait vécu entre 1391 et 1271 avant notre ère, soit quelque 11 siècles après la construction des pyramides.

Les archéologues  ne trouvent pas en Palestine de preuves de ce qu'on considère comme des pratiques juives typiques, telles que l'absence de porc et de certains fruits de mer dans l'alimentation, ou le refus d'adorer plusieurs dieux, avant les années 200 avant notre ère. Il est donc difficile de déterminer à partir de quand les Juifs ont commencé à être identifiables, par opposition à une branche des Cananéens qui vouaient un culte particulier à l'une des anciennes divinités cananéennes.

Non seulement les esclaves juifs n'ont pas construit les pyramides, mais on sait désormais avec certitude que les ouvriers n'étaient nullement des esclaves. Comme  l'écrit Natalie Martin,

"les dernières découvertes révèlent une main d'œuvre permanente d'environ 10 000 ouvriers qualifiés et saisonniers, dont la plupart étaient bien nourris, logés à proximité dans des villes éphémères et travaillaient par équipes".

Nous savons depuis longtemps que les ouvriers étaient bien logés et bien nourris, avec des rations de viande et de bière, même si les manœuvres consommaient probablement plus de viande maigre de chèvre que d'aloyau. Des inscriptions récemment découvertes dans les pyramides mentionnent des équipes d'ouvriers et font référence à des contremaîtres et des artisans, poursuit Mme Martin. Ces inscriptions confirment l'existence d'une main-d'œuvre hiérarchisée et bien organisée. Les équipes provenaient de nombreuses provinces de l'empire de la IVe dynastie et travaillaient probablement par roulement. À l'époque, Gizeh se situait sur un bras du Nil aujourd'hui disparu, et était donc un port florissant.

Les tombes de certains ouvriers ou contremaîtres subsistent dans la région, et comme le souligne le doyen des égyptologues Zaki Hawas, les esclaves n'avaient pas droit aux tombes dans l'Égypte antique.

Si vous souhaitez en savoir plus, consultez le livre de Mark Lehner, à partir de la page 397, dans cet ouvrage sur le travail dans le monde antique.

Mark Lehner émet d'ailleurs l'hypothèse intéressante que certains artisans étrangers auraient travaillé sur les pyramides, non pas comme esclaves, mais comme ouvriers doués de compétences spécifiques, notamment dans le travail du granit ou du cuivre. Cette expertise pourrait être issue de la cité-État phénicienne de  Byblos. Des Nubiens d'Égypte supérieure et des Libyens auraient également participé à ces travaux. Bien qu'il s'agisse principalement d'un projet égyptien, plusieurs peuples de la région de l'époque ont peut-être apporté une contribution mineure, d'où le caractère cosmopolite du projet.

Quant aux Israélites, il n'existe aucune trace archéologique de leur passage en Égypte, et encore moins de leur asservissement. Les évènements de l'Exode sont souvent associés au règne de Ramsès II (qui régna de 1279 à 1213 avant notre ère), mais une grande stèle à Louxor détaillant les événements de son règne, où je suis allé une fois, ne mentionne pas d'esclaves hébreux, ni de révolte d'esclaves, ni de traque jusqu'à la mer Rouge, et Ramsès II ne s'est pas noyé dans ses eaux. Ramsès II a vécu jusqu'à l'âge de 90 ans et est mort dans son lit. Sa  momie révèle qu'il souffrait de problèmes dentaires, d'arthrite et d'artériosclérose.

L'histoire, comme tout le reste dans la société contemporaine, est politique, et les falsifications historiques sont souvent exploitées pour rallier les populations à des intérêts bien précis ou revendiquer une prétendue gloire passée. Ces dérives sont inacceptables pour tout individu sain d'esprit. Au lieu de tirer gloire de ses ancêtres, nous devrions plutôt agir en êtres humains bienveillants, éthiques, créatifs et généreux. Agiter les vieilles rancœurs remontant à des lustres devient même inquiétant, surtout sans la moindre preuve archéologique ou scientifique.

Traduit par  Spirit of Free Speech

*  Juan Cole est le fondateur et rédacteur en chef d'Informed Comment. Il est professeur d'histoire Richard P. Mitchell à l'université du Michigan. Il est notamment l'auteur de  Muhammad: Prophet of Peace amid the Clash of Empires(Mahomet : prophète de paix au milieu du choc des empires) et  The Rubaiyat of Omar Khayyam (Les Rubaiyat d'Omar Khayyam). Suivez-le sur Twitter à l'adresse  @jricole ou sur la  page Facebook d'Informed Comment.

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