10/05/2025 arretsurinfo.ch  4min #277449

«Nous avons cédé... sous la pression des grandes banques»

Par  Christoph Pfluger

Christoph Blocher (2003)KEYSTONE, Crédit photo: DR

Interview de l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher* accordé à Christoph Pfluger

Les sanctions contre la Russie et l'importance de la neutralité dans la guerre économique

Christoph Pfluger: La neutralité est avant tout comprise dans un sens militaire, mais elle comporte également, comme on le voit à présent, une dimension économique. Qu'en pensez-vous?

Christoph Blocher: Je viens seulement de réaliser à quel point il est important pour nos clients internationaux que nous livrions depuis un pays neutre. Ils disent: chez vous, nous étions jusqu'à présent sûrs que vous n'étiez pas du côté des Etats-Unis, ni du côté des Russes ou des Chinois, mais que vous étiez strictement neutres, armés et opposés à toute mesure de combat non militaire. Ce dernier point est particulièrement important.

Il faut comprendre que les Etats-Unis ne mènent plus la guerre avec leur armée, mais avec des mesures non militaires, notamment des boycotts économiques. A présent, nous avons une guerre entre les Etats-Unis et la Chine. Des droits de douane de 140% signifient qu'il n'est plus possible de livrer. Il est donc important que nous ne prenions pas parti. Les gens craignent les entreprises qui prennent parti. C'est également important pour nous sur le plan économique, en tant que petit Etat. Je suis convaincu que si nous abandonnons notre neutralité traditionnelle, nous ne serons plus personne dans le monde et nous ne présenterons plus aucun intérêt.

Christoph Pfluger: Il existe des hypothèses selon lesquelles nous aurions subi des pressions économiques fin février 2022 pour renoncer à notre neutralité. Qu'en savez-vous?

Dr Christoph Blocher: Nous avons pris ces sanctions parce que nous avons cédé à la pression des Etats-Unis, qui nous ont dit que nous devions nous aligner. C'était bien sûr encore le gouvernement Biden. Nous avons basculé en l'espace d'une semaine, sous la pression des grandes banques. Elles nous ont dit que si nous ne participions pas, les Etats-Unis exerceraient une pression sur notre monnaie et nous excluraient du dollar. Les grandes banques auraient tout aussi bien pu dire: «Nous le ferons si les Américains insistent, mais n'impliquez pas l'Etat.» Elles auraient dû dire aux oligarques russes qu'elles ne pouvaient plus faire d'affaires avec eux, sinon elles perdraient les Etats-Unis. Au lieu de cela, elles ont impliqué l'Etat. Maintenant, elles peuvent dire aux oligarques: nous aimerions continuer à faire des affaires avec vous, mais l'Etat nous l'interdit. C'est pourquoi nous ne devons jamais nous laisser mettre sous pression. C'est pourquoi l'initiative sur la neutralité est nécessaire, pour qu'on ne puisse plus faire n'importe quoi.

Christoph Pfluger: Selon une étude de l'EPFZ réalisée en 2023, 55% des électeurs sont favorables à un rapprochement avec l'OTAN. Si le vote concernant l'initiative sur la neutralité devient une question de rapprochement, le vote sera perdu. Qu'en pensez-vous?

Dr Christoph Blocher: Nous devons dévoiler ce que signifie le rapprochement. Je n'ai rien contre le fait de nous rapprocher de quoi que ce soit. On pourrait se rapprocher des Etats-Unis, de la Chine, ou même de l'OTAN. Mais nous ne devons pas nous lier. C'est pourquoi ils utilisent ces mots. Ils savent bien pourquoi ils ne parlent pas d'un accord-cadre dans lequel l'UE dicterait alors la marche à suivre. Ils préfèrent demander: voulez-vous aussi avoir des relations stables avec l'UE? Je serais moi-même pour. Ce sont là des choses dangereuses. Et en matière de neutralité, cela devient très dangereux. Ils disent certes que nous resterons neutres, mais que devrons faire preuve de souplesse. C'est dangereux.

 Christoph Pfluger

Christoph Pfluger, journaliste et éditeur du magazine «Zeitpunkt» depuis 1992. Membre du comité directeur et porte-parole de l'association «Bewegung für Neutralität» ( bene.swiss).

*Christoph Blocher, né en 1940, docteur en droit, entrepreneur, membre du Conseil national de 1979 à 2003, élu au Conseil fédéral le 10 décembre 2003, chef du Département fédéral de justice et police (DFJP) de 2004 à 2007.

Source:  bene.swiss, 17 avril 2025

(Traduction «Point de vue Suisse»)

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