Par Alexandre Lantier
17 avril 2020
Hier, le ministre des Affaires Étrangères Jean-Yves Le Drian a convoqué l'ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye, pour critiquer les déclarations de son ambassade sur la pandémie du COVID-19.
Au centre de l'incident diplomatique se trouve le contraste entre la Chine, où la pandémie est pour l'heure maîtrisée et les quelques nouveaux cas sont surtout importés, et l'Europe. Alors que le COVID-19 fait encore des milliers de morts chaque jour en Europe, l'élite dirigeante pousse à une fin du confinement et à un retour prématuré au travail. En même temps, une campagne de presse violemment anticommuniste se déchaîne en France pour dénoncer la Chine et tenter de la rendre responsable de la pandémie qui se déchaîne à présent en Europe.
Dimanche, un diplomate chinois anonyme a réagi en pointant les défaillances des élites dirigeantes européennes dans une longue note affichée sur le site de l'ambassade. «La victoire de la Chine sur l'épidémie leur donne des aigreurs. Avec leurs thèses fabriquées de toutes pièces, selon lesquelles la Chine a 'tardé à réagir' et a 'caché la vérité', ils la présentent comme le grand responsable de la pandémie», écrit-il. «Dans le même temps, en Occident, on a vu des politiciens s'entre-déchirer pour récupérer des voix; préconiser l'immunisation de groupe, abandonnant ainsi leurs citoyens seuls face à l'hécatombe virale; s'entre-dérober des fournitures médicales.»
Le Quai d'Orsay a réagi en convoquant Lu et en publiant un communiqué qui déclare: «Certaines prises de position publiques récentes de représentants de l'ambassade de Chine en France ne sont pas conformes à la qualité de la relation bilatérale entre nos deux pays.» Le texte relevait la «désapprobation» de Le Drian vis-à-vis de «certains propos récents» de l'ambassade de Chine.
Si la note chinoise a déplu à Paris, c'est avant tout parce qu'elle taille en pièce les mensonges avancés par les puissances européennes sur le COVID-19. La vaste surmortalité en Europe n'était pas inéluctable. «L'immunité collective», en clair une politique de contaminer une majorité de la population pour voir si elle acquiert une immunité au virus, n'est pas la seule stratégie contre le COVID-19. C'étaient des mensonges visant à garder les travailleurs au boulot dans des conditions d'insécurité afin de faire des profits pour les banques tout en disséminant le virus.
La responsabilité de la propagation du virus en Europe et en Amérique appartient non à la Chine, mais au capitalisme. La dictature stalinienne en Chine dirige, bien sûr, une société capitaliste: elle a restauré le capitalisme en 1989 alors qu'elle s'ouvrait à l'économie mondiale, en massacrant les ouvriers et les étudiants qui manifestaient place Tiananmen contre la politique du Parti communiste chinois (PCC). Mais des vestiges de planification économique, des quarantaines de masse et la mobilisation de l'industrie ont permis une réaction bien plus efficace en Chine qu'en Europe.
La mise en œuvre cohérente et démocratique de pareilles politiques, qui est essentielle pour lutter contre le COVID-19, nécessite une révolution internationale par les travailleurs, y compris en Chine, pour passer au socialisme. En lisant la propagande hystérique des médias français, où l'anticommunisme est mêlé aux appels de pieds au racisme anti-chinois, il est clair que la force motrice de cette campagne de presse est la crainte des bourgeois à l'égard du socialisme et de la révolution.
Du haut de son expérience acquise de correspondant du Figaro au Rwanda quand Paris y épaulait de régime génocidaire hutu en 1994, le commentateur et ex-officier Renaud Girard a proclamé la faillite du communisme et dénoncé la Chine. La pandémie qui en a résulté, selon lui, «a mis en lumière la faillite de trois idéologies: le communisme, l'européisme, le mondialisme. Le Parti communiste chinois (PCC) porte une très lourde responsabilité dans la naissance et la première dissémination de cette maladie très contagieuse.»
«La Chine a une responsabilité dans cette épidémie transmise par un animal sauvage interdit de commerce», a déclaré une tribune du Monde qui dénonce la consommation chinoise du pangolin, à travers lequel le coronavirus aurait pu passer de la chauve-souris à l'homme. Dans un autre article décoré de la faucille et du marteau, Le Monde faisait observer, avec une parfaite hypocrisie: «La dictature chinoise censure les médias, le public ignore le nombre de personnes contaminées.»
L'indéboulonnable Isabelle Lasserre, correspondante du Figaro qui singe Trump avec sa théorie que «la Chine tire les ficelles de l'Organisation mondiale de la santé», a conclu que le COVID-19 démontre la supériorité politique de l'Occident vis-à-vis à la dictature chinoise: «Alors que les dictatures ont été déstabilisées par l'imprévu, les démocraties ont réagi avec calme, transparence et rationalité. Elles ont su anticiper et expliquer. Leurs systèmes de santé ouverts et coordonnés ont réagi rapidement... les démocraties ont prouvé que leur système était plus efficace.»
Ces arguments selon lesquels l'Europe aurait mieux lutté contre le COVID-19 ne mettent en évidence que le mépris de la bourgeoisie européenne pour les vies humaines. La China, premier épicentre du virus, a vu 82.295 cas et 3.342 morts. L'Europe quant à elle a vu 935.338 cas et 74.662 morts. Alors que l'OMS a confirmé indépendamment les statistiques chinoises, les responsables européens eux-mêmes avouent que le nombre de cas en Europe est entre deux et dix fois plus grand que le chiffre officiel.
L'enthousiasme de la campagne antichinoise en Europe reflète la brutalité de la politique de classe menée par l'aristocratie financière. Pour elle, les morts prématurées de dizaines voire de centaines de milliers de personnes signifie que des milliards d'euros qui auraient autrement été alloués aux retraites et aux soins pour ces personnes pourront être redistribués vers les marchés financiers et les fortunes de parasites super-riches.
Les tentatives de rendre le PCC responsable des morts du COVID-19 en Europe sont des mensonges politiques. La note de l'ambassade chinoise les réfute dans le détail, en démontrant que Beijing a donné largement le temps aux puissances européennes de se préparer à la pandémie.
La note explique, «Dès le 30 décembre dernier, nous signalions publiquement des cas de pneumonies inconnues. A partir du 3 janvier, nous tenions régulièrement informés l'OMS et le monde entier sur la progression du mal et, en un temps record, nous sommes parvenus à en identifier l'agent pathogène. Le 11 janvier, nous partagions avec l'OMS le séquençage complet du génome du virus. Le 23 janvier, au moment de la fermeture de Wuhan, il y avait en Chine plus de 800 personnes contaminées et seulement 9 à l'étranger. Or, c'est plus d'un mois après cette date que l'épidémie a démarré en Europe et aux États-Unis.»
Personne n'a tenté de réfuter ces affirmations, qu'étayent des reportages des principaux médias internationaux. Il est également bien établi que les États européens ont d'abord réagi en minimisant la gravité de la maladie, en la comparant à la grippe, en dénonçant les quarantaines, et en exigeant que les travailleurs restent au travail au péril de leurs vies, pour sauver les taux de profit.
La note compare défavorablement la politique menée en Europe à celle de la Chine: «La Chine n'a pas craint d'amputer son PIB de milliers de milliards de yuans, d'injecter des centaines de milliards de yuans dans des ressources, de mobiliser plus de 40 000 soignants venus des quatre coins du pays pour aller soutenir Wuhan et le Hubei, et finalement vaincre l'épidémie en seulement deux mois.»
La bourgeoisie européenne, contrôlant des économies développées et de vaste ressources financières, a toutefois rejeté de pareilles politiques et abreuvé les banques de milliards d'euros. Évoquant «certaines élites politiques et culturelles occidentales», la note ajoute que le fait «que les pays occidentaux aient sous-évalué la gravité du virus ou qu'ils aient tardé à prendre des mesures ad-hoc, rendant ainsi l'épidémie incontrôlable, ne leur pose aucun problème de conscience et ne trouble en rien leur sommeil.»
La contradiction de la politique du PCC est que son intégration dans l'économie mondiale dépend des accords politiques et commerciaux avec les bourgeoisies européennes et américaine dont la barbarie est mise à nu, mais à qui le PCC fournit une main d'oeuvre chinoise à bon marché.
La colère, les manifestations et les grèves parmi les travailleurs en Europe et au-delà vont dans une autre direction politique: une lutte unifiée des travailleurs internationalement pour exproprier les fortunes des super-riches pour utiliser ces ressources dans la lutte contre la pandémie mondiale.