12/07/2025 ssofidelis.substack.com  7min #283929

Parquer les Palestiniens de Gaza dans un camp à Rafah est un crime contre l'humanité

"Camp de concentration", numérique, Midjourney, 2025

 Adam Cheklat

Par  James Sweeney,  Université de Lancaster, le 11 juillet 2025

Les Forces de défense israéliennes (FDI)  refusent de mettre en œuvre un plan du gouvernement consistant à déplacer des centaines de milliers de Palestiniens dans une "ville humanitaire" à Rafah, à la frontière sud de Gaza avec l'Égypte. Le lieutenant-général Eyal Zamir, chef d'état-major des FDI, a déclaré que ce plan  ne s'inscrit pas dans les objectifs opérationnel de l'armée de détruire le Hamas et libérer les derniers otages.

Des réservistes de l'armée se sont également plaints que ce plan  constitue un crime de guerre. D'après mon expertise en droit international, ces réservistes ont raison. Le transfert forcé d'une population  est interdit, même en temps de guerre. Il s'agit également d'un crime contre l'humanité qui, dans certaines circonstances, peut même constituer un génocide.

Certains éléments historiques importants doivent néanmoins retenir notre attention avant toute analyse juridique.

Les crimes contre l'humanité ont été jugés pour la première fois lors des  procès de Nuremberg, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au cours desquels les principaux responsables nazis survivants ont été jugés. À cette époque, la notion de crime de guerre était clairement établie, mais elle concernait principalement les actes à ne pas commettre à l'encontre de la population civile ennemie.

Toutefois, les pires atrocités commises par les nazis ont été perpétrées contre leur propre peuple : les Juifs allemands (et beaucoup d'autres encore). La notion de  crimes contre l'humanité a été créée pour pallier cette lacune et permettre de poursuivre en justice leurs auteurs.

Conditions requises à la qualification de "crime contre l'humanité"

Les crimes contre l'humanité constituent une catégorie qui regroupe plusieurs crimes distincts. Si les conditions requises sont réunies, on peut parler de "crime contre l'humanité pour meurtre" ou de "crime contre l'humanité pour viol". Ces crimes doivent avoir lieu dans le contexte d'une attaque "généralisée ou systématique" contre une population civile.

L'attaque n'a pas nécessairement lieu d'être une attaque armée au sens littéral : l'apartheid, par exemple, a été  reconnu comme crime contre l'humanité en 1973, en réponse aux politiques du gouvernement sud-africain. Il n'est pas non plus nécessaire qu'il y ait conflit armé pour qu'un crime spécifique soit considéré comme un crime contre l'humanité.

La catégorie des crimes contre l'humanité comprend notamment la « déportation et le transfert forcé » (voir l' article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale).

C'est exactement ce à quoi risque de mener le projet du gouvernement israélien de déplacer les Palestiniens vers une "ville humanitaire". Si le projet se limitait à laisser les Palestiniens de Gaza à Rafah, il s'agirait d'un "transfert forcé". S'ils étaient déplacés vers un autre pays, il s'agirait d'une "déportation".

La coercition est une composante essentielle du crime de transfert forcé. Il est illusoire de croire que tous les habitants de Gaza aspirent à s'installer à Rafah, où ils seraient soumis à des contrôles de sécurité à l'entrée et interdits de sortie par la suite.

Comment envisager la création d'une ville viable, dotée de toutes les infrastructures nécessaires ? Que deviendraient les dentistes, les médecins, les enseignants, les avocats, les mécaniciens, les entrepreneurs et tous ceux qui gagnent honnêtement leur vie ? Leur donnerait-on vraiment un environnement propice à l'exercice de leur métier ?

Nettoyage ethnique

L'expression  "nettoyage ethnique" est parfois utilisée pour décrire les agissements du gouvernement israélien. Je n'aime pas ce terme, car il n'a  aucune valeur juridique. Il est devenu courant durant le conflit des années 1990 en ex-Yougoslavie, lorsque les Serbes, et dans certains cas les Croates, ont expulsé des centaines de milliers de personnes d'autres ethnies du territoire sous leur contrôle.

Le président de l'ancienne Yougoslavie, Slobodan Milošević, ainsi qu'une série de dirigeants serbes et croates de Bosnie,  ont été accusés de crimes contre l'humanité par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour cette pratique.

Milošević est mort avant que le TPIY ne rende son verdict dans son procès, mais de nombreux autres suspects ont été  reconnus coupables. Les opérations des forces serbes bosniaques dans la ville de Srebrenica ont même été qualifiées par le TPIY d' acte de génocide, car elles ne se sont pas limitées à l'expulsion des non-Serbes, mais aussi à leur extermination : en juillet 1995, environ 8 000 hommes et garçons ont ainsi été tués en l'espace de quelques jours.

Tout dépendra des conditions de vie des Palestiniens dans la "ville humanitaire". Si les conditions de vie y sont telles que les habitants en sont réduits à mourir de faim ou de maladie, cela équivaudra à un acte de génocide.

Justice et responsabilités

La réinstallation forcée des Gazaouis dans une "ville humanitaire" constituerait clairement une violation du droit international. En revanche, les modalités de poursuite des instigateurs de cette mesure sont moins claires.

La Cour pénale internationale (CPI) a déjà  émis des mandats d'arrêt à l'encontre du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et de son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant. Cependant, la CPI ne dispose pas de force de police internationale et dépend donc des États participants pour arrêter les suspects en son nom. La Hongrie a accueilli Netanyahu en avril dernier,  tout en annonçant son retrait de la CPI.

Cette semaine, Netanyahu  s'est rendu à Washington DC pour rencontrer Donald Trump, mais n'a pas été arrêté, car les États-Unis ne reconnaissent pas la CPI. Durant sa visite, Netanyahu a annoncé la nomination de  Trump au prix Nobel de la paix.

L'Afrique du Sud a également tenté de traduire l'État d'Israël devant la Cour internationale de justice,  l'accusant de crime de génocide. La Cour n'a pas encore statué, se contentant de déclarer que des actes de génocide ont  vraisemblablement été commis à Gaza.

Depuis l'attaque lancée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, des violences constantes et des massacres ont lieu dans la région. Cependant, la "ville humanitaire" proposée ne me semble pas légitime pour parvenir à la paix et à la stabilité. Quant à ceux qui doivent répondre de leurs actes devant la justice, il n'existe tout simplement pas de consensus international en faveur de leur condamnation. Et rien n'indique qu'un tel consensus se dégagera dans un avenir proche, dans le climat actuel.

Traduit par  Spirit of Free Speech

*  James Sweeney, professeur à la Lancaster Law School,  Lancaster University

 juancole.com

 ssofidelis.substack.com