04/07/2019 tlaxcala-int.org  8 min #158719

Israel : Assassinat d'un jeune éthiopien israélien par un policier

« Pas Mlk, mais Malcolm X » : un moment Black Lives Matter pour Israël ?

Judy Maltz ג'ודי מלץ

Les deux pays subissent des violences policières contre les citoyens noirs, mais les experts affirment qu'il existe une différence majeure entre les communautés africaine-usaméricaine et éthiopienne-israélienne.

Des policiers arrêtent un manifestant lors d'une manifestation contre les brutalités policières contre les Israéliens éthiopiens, Tel-Aviv, le 3 juillet 2019. Photo AFP

Un adolescent noir désarmé est abattu par un policier qui n'est pas en service, ce qui provoque des protestations dans tout le pays. À première vue, les similitudes entre les événements qui ont amené des milliers d'Israéliens éthiopiens dans la rue cette semaine et le mouvement usaméricain Black Lives Matter sont frappantes.

Dimanche, Solomon Teka, 18 ans, a été abattu par un policier hors service qui tentait de mettre fin à une bagarre dans un terrain de jeu de la banlieue de Haïfa. Le policier a dit qu'il avait tiré parce qu'il se sentait menacé après qu'on lui avait jeté des pierres. Il a insisté, cependant, sur le fait qu'il a tiré par terre.

Mais pour la plupart des Israéliens éthiopiens, la question de savoir s'il avait ou non l'intention de tuer n'était pas pertinente. Pour eux, il n'aurait pas tiré avec son arme si les adolescents qui se disputaient avaient été blancs.

Black Lives Matter a été lancé pour la première fois en tant que hashtag en 2013 après l'acquittement d'un vigile de quartier blanc qui avait tiré et tué Trayvon Martin, un adolescent noir. Un an plus tard, après les coups de feu mortels sur Michael Brown, 18 ans, tirés par un policier blanc à Ferguson, dans le Missouri, c'est devenu un mouvement de protestation au sens plein du terme.

« Les statistiques montrent qu'en Israël et aux USA, les personnes ayant la peau noire sont plus susceptibles de voir leurs droits violés », déclare Sharon Abraham-Weiss, directrice exécutive de l'Association pour les droits civils en Israël. « En Israël, par exemple, si vous êtes un mineur noir, vous risquez quatre fois plus de finir en prison que votre homologue blanc », dit-elle.

Pas d'autre option

La première grande vague de protestations des Israéliens éthiopiens, en 2015, a également été déclenchée par des actes policiers. Dans cette affaire, le déclencheur avait été une vidéo virale montrant un policier battant un soldat en uniforme d'origine éthiopienne.

Un membre masqué de la communauté israélo-éthiopienne passant devant une barrière en flammes bloquant l'entrée principale de Jérusalem, 2 juillet 2019. Photo AFP

Même si les dernières protestations n'ont pas été directement influencées par Black Lives Matter, dit Ronny Regev, spécialiste de l'histoire africaine-usaméricaine à l'Université hébraïque, « il ne fait aucun doute que c'était dans leur esprit ».

« Après tout », dit-elle, « les problèmes sont si semblables. Dans les deux cas, il y a des Noirs qui souffrent d'inégalités économiques et sociales - et puis tout explose quand on a ces incidents de brutalité policière ».

Efrat Yerday, présidente de l'Association des Juifs éthiopiens, ne voit pas de lien direct avec Black Lives Matter. « Je ne suis pas sûre que je dirais qu'ils nous ont inspirés », dit-elle. « Ce que nous avons ici, ce sont des cas de fusillades qui n'ont aucune raison d'être, dans lesquels de jeunes hommes d'origine éthiopienne ont été pris pour cible simplement en raison de la couleur de leur peau.

« Nous n'avons pas besoin de regarder les photos de Ferguson pour déterminer ce qu'il faut faire », ajoute-t-elle. « Ce que nous voyons ici en Israël est une réaction naturelle à une souffrance très profonde. Nous n'avons pas de capital économique et nous n'avons pas de capital politique. Donc la seule option qui s'offre à nous si nous voulons changer les choses, c'est de sortir et de manifester ».

Mais Omer Keynan, un sociologue israélien qui étudie la culture numérique, n'est pas si rapide à ignorer l'influence du mouvement usaméricain.

« Si vous suivez les messages sur les médias sociaux des activistes éthiopiens-israéliens, vous pouvez voir qu'ils utilisent souvent le hashtag Black Lives Matter », dit-il. « Si vous assistez à leurs manifestations, vous verrez que de nombreux orateurs utilisent le slam pour partager leurs expériences de discrimination raciale, tout comme ils le font lors des manifestations Black Lives Matter.

« « Dans les deux mouvements de protestation, poursuit-il, « l'influence de la musique hip-hop est très forte. Et j'ai même vu des Israéliens éthiopiens utiliser des citations de Malcolm X dans leurs messages, pas Martin Luther King Jr mais Malcolm X, qui était beaucoup plus radical. Il n'y a donc aucun doute dans mon esprit que la culture africaine-usaméricaine a une influence significative sur ce qui se passe ici ».

Des jeunes manifestants prenant part à une marche Black Lives Matter à Seattle, le 15 avril 2017. Photo Ted S. Warren / AP

Une autre similitude, note-t-il, est l'importance des femmes dans les deux mouvements. « Aux USA, Black Lives Matter a été fondé par des femmes, et en Israël, bien qu'il n'y ait pas de leadership centralisé, les femmes ont certainement été à l'avant-garde des manifestations «, dit Keynan, dont la thèse de doctorat a exploré le rôle des médias sociaux dans le mouvement de protestation éthiopien-israélien.

Yerday explique ce phénomène : « Ce sont nos hommes qui sont victimes de la brutalité policière, et nous, en tant que mères et sœurs, nous nous sentons très fortement responsables d'être là pour eux 3, dit-elle. « Après tout, nous partageons le même sang ».

« Nos racines sont ici »

Malgré des expériences similaires de brutalités policières et de racisme, les Africains-Américains et les Juifs éthiopiens ont des histoires très différentes. Les Noirs ont été amenés en Amérique comme esclaves il y a des centaines d'années. En revanche, les Juifs éthiopiens, arrivés relativement récemment en Israël, rêvaient depuis longtemps de venir ici et étaient célèbres pour embrasser le sol à leur arrivée.

Comme le fait remarquer Danny Admasu, un historien de la culture qui étudie les attitudes en Israël à l'égard des Noirs : "Nous n »'avons pas été amenés d'Afrique, nous sommes venus d'Afrique ».

Cela peut expliquer, dit-il, pourquoi ceux qui participent aux manifestations à travers Israël ont tendance à être plus irrévérencieux lorsqu'ils affrontent la police que leurs homologues aux USA, les appelant même "nazis" dans certains cas.

« C'est parce que nous sentons que c'est notre maison », dit Admasu, qui est aussi un éminent activiste social éthiopien-israélien. « Notre combat ici est de faire partie de cette société, alors qu'en Amérique, on entend de plus en plus parler des Noirs qui veulent aller en Afrique, où sont leurs racines. Pour nous, nos racines sont ici ».

Des membres de la communauté israélo-éthiopienne bloquent l'entrée principale de Jérusalem, le 2 juillet 2019. Un manifestant tient une affiche représentant Solomon Teka, qui a été tué par balle par un policiers hors service. Photo AFP

Selon Keynan, un autre facteur qui distingue les Israéliens éthiopiens est leur fixation sur le service militaire.

« C'est quelque chose qui revient constamment », dit-il. « Et cela lie les protestations d'aujourd'hui et celles de 2015. En 2015, tout a commencé avec un soldat israélo-éthiopien qui a été battu. Aujourd'hui, tous ceux qui parlent de Salomon Teka mentionnent le fait qu'il rêvait de servir dans l'armée. Le service militaire revêt une grande importance pour les Israéliens éthiopiens. C'est un symbole d'intégration sociale, de participation à l'effort collectif pour défendre le pays - et quand quelqu'un qui est un soldat ou qui veut être un soldat est blessé ou tué, c'est perçu comme une trahison d'une certaine façon ».

Il ne croit pas qu'il existe un équivalent parallèle aux USA, « Je suppose que c'est parce qu'il n'y a pas de service obligatoire et que l'armée ne remplit pas la même fonction dans la société ».

Une autre distinction clé est que les Israéliens éthiopiens n'ont pas réussi - contrairement à leurs homologues de Black Lives Matter - à former des alliances avec d'autres groupes opprimés et marginalisés. Leurs alliés naturels, note M. Keynan, seraient les Israéliens arabes, qui souffrent également de manière disproportionnée des violences policières, et les demandeurs d'asile africains.

« Mais nous devons nous rappeler que, plus que tout autre groupe en Israël, les Juifs éthiopiens ont souffert à cause des doutes constants qui pèsent sur leur judéité », dit-il. « Ce besoin de se montrer juif, semble-t-il, les empêche de former des partenariats et des coalitions avec des groupes non-juifs ».

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  bit.ly
Publication date of original article: 04/07/2019

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