17/06/2024 francesoir.fr  5 min #250681

Petit rappel Constitutionnel aux électeurs pour faire face aux turbulences électorales annoncées

Alice d'Astrée, France-Soir

Petit rappel Constitutionnel aux électeurs pour faire face aux turbulences électorales annoncées

TRIBUNE - L'article 3 alinéa 1ᵉʳ de la Constitution du 4 octobre 1958 affirme que : « La Souveraineté Nationale appartient au Peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » La rédaction spécieuse de cette disposition invite l'électeur à la réflexion.

La Bourgeoisie a déclenché la Révolution puis s'est emparée de l'État en s'appuyant sur le Peuple dont elle a proclamé la Souveraineté. Néanmoins, pour éviter que cette proclamation ne débouche sur une prise effective du Pouvoir par le Peuple, elle a mis au point le système représentatif qui permet de transférer l'exercice effectif de la souveraineté du Peuple à une toute petite élite en son sein.

Rousseau et son Contrat Social ont formulé la théorie de la Souveraineté Populaire selon laquelle chaque individu forme le corps social et détient une parcelle de la souveraineté. Chacun doit donc être consulté pour parvenir à dégager la Volonté de l'ensemble, c'est-à-dire la Volonté générale. Le suffrage est un droit pour chaque citoyen qui doit personnellement l'exercer sans pouvoir le déléguer.

La théorie de la souveraineté populaire conduit en conséquence à la mise en place d'un mandat impératif pour les députés :

« La souveraineté ne peut être représentée par la même  raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la  volonté générale, et la volonté ne se représente point. [...] Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires; ils ne peuvent rien conclure définitivement... » (Du Contrat social) ».

Cependant, la Bourgeoisie Révolutionnaire va préférer à cette théorie, celle de la Souveraineté Nationale exprimée par l'abbé Sieyès 1 qui est beaucoup moins démocratique dans ses aboutissements.

Pour l'abbé Sieyès, le Peuple se confond avec la population dans une entité abstraite : la Nation. La Nation est souveraine. Elle constitue une personne morale distincte des individus qui la composent et la Nation a une Volonté propre.

La Constitution est le statut juridique de la Nation. La Constitution est aussi le statut commun de l'État qui, lui, est l'instrument temporel des Volontés de la Nation. Enfin, au sein de l'État, la Constitution définit les organes habilités à agir en son nom et à le représenter. Ce raisonnement a permis de justifier l'instauration du système représentatif :

«…La plupart de nos concitoyens n'ont ni l'instruction ni les loisirs nécessaires pour vouloir décider eux-mêmes des affaires publiques. Leur avis est donc de nommer des représentants, beaucoup plus capable qu'eux-même de décider... Le désir des richesses sans ne faire de tous les États de l'Europe que des vastes ateliers ; on y songe bien plus à la consommation et à la production qu'au bonheur ; aussi les systèmes politiques aujourd'hui sont exclusivement fondés sur le travail. Nous sommes donc forcés de ne voir dans la plus grande partie des hommes que des machines de travail. Cependant, vous ne pouvez pas refuser la qualité de citoyen et les droits du civisme à cette multitude sans instruction qu'un travail forcé absorbe en entier, puisqu'ils doivent obéir à la loi, tout comme vous, ils doivent aussi concourir à la faire… Les citoyens peuvent donner leur confiance à quelques-uns d'entre eux sans aliéner leurs droits, ils en commettent l'exercice ; c'est pour l'utilité commune qu'il nomme des représentants bien plus capables qu'eux-mêmes de connaître l'intérêt général et d'interpréter à cet égard leur propre volonté » (Discours de l'abbé Sieyès, Assemblée Nationale, 7 septembre 1789).

En réalité, le système représentatif va bien au-delà d'une simple délégation de pouvoir, il permet d'écarter le Peuple des affaires publiques.

Le système représentatif se définit comme le système dans lequel la Volonté d'un organe dit représentatif est tenue, en vertu d'un postulat constitutionnel irréfragable, pour la Volonté de la Nation, sans se soucier de savoir si la Volonté de cet organe coïncide avec celle du Peuple réel.

Le citoyen-électeur se méprend souvent sur sa signification : le représentant n'est pas à l'image de la Nation, il en est la Tête. Ce que représentent les organes mis en place par la Constitution, ce ne sont pas les électeurs ; c'est la Nation considérée comme une entité distincte des membres qui la compose.

Et, précisément, l'article 27 de la Constitution de 1958 dispose que « tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». Ce qui revient à confirmer que les promesses et autres programmes ne sauraient engager les candidats une fois élus et parachève le transfert de souveraineté opéré par le système représentatif.

La théorie de la Souveraineté Nationale débouche inévitablement sur la mise en place d'un système représentatif qui transfère le Pouvoir réel, c'est-à-dire le droit d'exprimer la Volonté de la Nation et de légiférer en son nom, à une très petite élite. Élue certes, mais qui ne sera comptable de ses décisions devant personne, si ce n'est la sanction de l'élection suivante. L'article 3 alinéa 1ᵉʳ de la Constitution du 4 octobre 1958 est donc bien un « trompe-l'œil démocratique » confirmé par l'article 27 précité de la Constitution qui a pris soin d'interdire le mandat impératif…

À propos de l'auteur : Alice d'Astrée est une professionnelle du secteur juridique et des affaires de droit constitutionnel.

1 fr.wikipedia.org

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