Candice Vanhecke
Bien sûr, il y a les bombardements massifs. Mais il y a aussi une infinité d'autres moyens pour tuer, terroriser et inciter les Palestiniens à partir. Du sniper qui tire sur tout ce qui bouge au chien qui viole et attaque, en passant par la famine organisée et les maladies comme la polio, qu'on laisse délibérément se propager. Ce sont là les armes du génocide et du nettoyage ethnique. Problème: les médias occidentaux ne les qualifient jamais comme telles. Il s'agirait juste de la « fatalité ».
On commence à s'y habituer, à ce ton éploré qu'adoptent nos médias lorsqu'il leur faut mentionner un fait ou un aspect du génocide en cours. À chaque fois, les habitants de Gaza semblent frappés par la fatalité. Comme la semaine dernière avec « La mort solitaire d'un Gazaoui atteint du syndrome de Down », pour reprendre le titre initial de la BBC (qui a, depuis, été 𝕏 modifié suite à la vague d'indignation qu'il a suscité).
Un titre à donner la larme à l'oeil, mais certainement pas la rage au ventre qu'on pourrait pourtant légitimement ressentir en apprenant l'histoire de Muhammed Bhar. Fin juin, ce jeune Palestinien trisomique de 24 ans était attaqué à son domicile par un chien accompagnant un escadron de soldats israéliens. Ces derniers ont empêché sa famille de le secourir, avant de l'emmener dans une pièce à l'écart. Au final, Muhammed agonisera seul, rendant son dernier souffle après s'être vidé de son sang.
L'utilisation de chiens pour attaquer de manière systématique les civils (et même, dans au moins un cas reporté, violer des prisonniers) a été attestée par l'ONG Euro-Med Human Rights Monitor. Il s'agit ni plus ni moins d'une technique parmi d'autres pour terroriser les Palestiniens de Gaza et les inciter à quitter leur terre. Cela, la BBC et d'autres médias occidentaux se gardent bien de le relever, préférant dispenser le narratif de l'agresseur, à savoir que les chiens sont utilisés pour « trouver des combattants du Hamas ».
Les épidémies, une « bonne nouvelle » pour l'armée
Autre fatalité qui paraît s'abattre fortuitement sur les Palestiniens de Gaza: la propagation des maladies infectieuses, en ce compris la poliomyélite, un virus particulièrement contagieux qui peut entraîner des paralysies irréversibles en quelques heures. « Gaza sous la menace de la polio », « Le retour de la polio à Gaza », « Épidémie de polio à Gaza: l'OMS très inquiète », titrent les médias francophones. « Les aléas de la guerre », semblent soupirer les plumes mainstream qui, dans leurs papiers, ne manquent pas d'énumérer les raisons du retour de la polio à Gaza: chaleur, accumulation des ordures, absence d'eau potable, etc.
Ce qu'elles omettent de dire, c'est que le développement et la propagation de maladies sont totalement délibérés. Tout comme le recours à des chiens de combat fait partie de la panoplie d' « outils » du nettoyage ethnique, la création de conditions favorables aux épidémies relève de la stratégie génocidaire.
Pour preuve, la tribune publiée par Giora Eiland, l'ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, dans le Yedioth Aharonot, à la mi-novembre. Ce dernier affirmait qu'il ne fallait pas s'effaroucher d'une catastrophe humanitaire et de la propagation de maladies puisque, « après tout, de graves épidémies dans le sud de la bande de Gaza rapprocheront la victoire et réduiront le nombre de victimes parmi les soldats de Tsahal ».
Comme l'a souligné l'ONG israélienne B'Tselem dans un article décortiquant cet aspect de la politique génocidaire d'Israël, « M. Eiland n'occupe en ce moment aucune fonction officielle et ne fait pas partie des décideurs politiques responsables de la stratégie menée actuellement dans la bande de Gaza, mais ses déclarations en sont le reflet fidèle. »
Le risque d'effet « boomerang » pour les Israéliens
Distiller le narratif israélien des soldats et de leurs chiens qui combattent uniquement les membres du Hamas (alors qu'il est désormais attesté que ceux-ci tirent sur tout ce qui bouge, avec la bénédiction de leur hiérarchie), ou présenter comme une fatalité une catastrophe humanitaire organisée n'est pas seulement une faute morale: c'est une forme de complicité passive par négation de ce qui recevra très probablement un jour le qualificatif légal de génocide.
Car s'il n'y a plus d'eau potable et que les eaux usées s'accumulent, c'est parce que l'armée israélienne a méthodiquement bombardé les réserves d'eau, les puits, les installations de dessalement et les stations d'épuration des eaux usées. Si la polio, mais aussi les infections respiratoires, les hépatites aiguës et les diarrhées de toutes sortes se propagent à grande vitesse, c'est parce que Israël oblige à une promiscuité insalubre (1,5 million de personnes sont entassées à Rafah), empêche l'acheminement de médicaments et de produits d'hygiène et organise une famine qui, en plus de tuer les enfants, les malades chroniques et les personnes âgées, affaiblit gravement le système immunitaire de la totalité des Palestiniens.
Jusqu'à présent, les officiels israéliens s'en moquent (quand, on l'a vu, ils ne s'en réjouissent pas carrément). Après tout, les soldats sont, dans leur immense majorité, en bonne santé et vaccinés, entre autres contre la polio. Sauf que, tout en ordre de vaccination qu'ils soient, ils ne sont pas à l'abri de ramener le virus de la polio par le biais de leurs vêtements ou de la boue sur leurs chaussures. Or, en Israël comme ailleurs dans le monde occidental, la vaccination est en déclin ces dernières années, ce qui pousse désormais certains médecins israéliens à tirer la sonnette d'alarme face au risque de propagation de la maladie, surtout pour les enfants non vaccinés.
Au début de l'offensive, le ministre israélien de la Guerre, Yoav Gallant, traitait les Palestiniens de Gaza d'« animaux ». Malheureusement pour ses concitoyens, les virus comme celui de la polio se contrefichent de ce genre d'envolée génocidaire. Ils pourraient bientôt venir leur rappeler douloureusement que, contrairement à Yoav Gallant, eux ne font aucune différence entre une vie palestinienne et une vie israélienne.
Source: Investig'Action