Par David Narmania/RIA Novosti - Le 1 décembre 2022 - Source RT
En début de semaine, Reuters citait des hauts fonctionnaires d'Ankara affirmant que l'armée turque avait terminé ses préparatifs pour une incursion terrestre en Syrie.
« Il ne faudra pas longtemps avant que l'opération commence«, aurait déclaré l'une des sources de l'agence dans l'article. « Cela ne dépend plus que du mot d'ordre du président«.
À proprement parler, l'offensive potentielle de la Turquie a un peu de retard. Le président Recep Tayyip Erdogan en a annoncé les plans en mai dernier, alors qu'elle était censée commencer d'un jour à l'autre, mais cela n'est toujours pas le cas. Le principal objectif déclaré par Ankara est de lutter contre les unités d'autodéfense kurdes, qui, selon la partie turque, constituent une menace très sérieuse pour sa sécurité.
Pendant ces six mois d'attente, la Turquie a réussi à mener une opération terrestre contre les Kurdes irakiens et a même failli déclencher une guerre contre la Grèce et Chypre (la probabilité en est certes faible, mais en 2022, de tels scénarios ne sont pas impossibles).
Les Turcs ont même mené une opération aérienne contre les Kurdes en Syrie ; la raison en était une attaque terroriste à Istanbul, que la Turquie a imputée au Parti des travailleurs du Kurdistan (KWP). Après la tragédie, les autorités turques ressemblaient un peu à une épave dans la tempête : elles n'ont pas seulement accusé indirectement le KWP de ce qui s'était passé. Damas et, remarquablement, Washington ont également été accusées.
L'allégation était que le cerveau de l'attaque, la citoyenne syrienne Ahlam al-Bashir, a été, selon les forces de sécurité turques, entraînée par des instructeurs américains sur le territoire contrôlé par les soi-disant Forces démocratiques syriennes (FDS).
C'est d'ailleurs pour cette raison qu'une base commune de la coalition occidentale et des FDS, où se trouvaient également des militaires américains, figurait parmi les 89 cibles des frappes. Il est intéressant de noter que la Maison Blanche n'a pas été particulièrement indignée.
La prochaine « opération terrestre » dans le nord de la Syrie ne sera pas une nouveauté pour les troupes turques, Ankara en mène régulièrement, déclarant à chaque fois avoir atteint ses objectifs, mais pour une raison quelconque, elle n'a pas réussi à éliminer complètement la « menace kurde. »
Néanmoins, il existe de nombreuses raisons de reporter un tel événement.
Avant tout, Erdogan veut éviter de se heurter aux intérêts russes : Moscou est un partenaire fiable du président Bachar el Assad, et son soutien a été le facteur clé qui a permis au dirigeant syrien de rester au pouvoir.
Les déclarations du président turc à cet égard sont très révélatrices : dimanche dernier, il a déclaré qu'il n'excluait pas le rétablissement et la normalisation des relations avec Damas à l'avenir. « Il n'y a pas de place pour la rancune en politique », a expliqué Erdogan.
Formellement, bien sûr, toute opération serait une violation de la souveraineté syrienne, mais les forces d'Assad ont peu de contrôle sur les territoires en question. Dans le même temps, toutefois, les responsables russes ont également averti leurs homologues turcs qu'une telle opération ne contribuerait guère à la stabilité de la région.
Ces arguments ne sont pas de nature à calmer les ardeurs du sultan, le fait est que la campagne militaire est un prologue à sa campagne de réélection. L'année prochaine, la Turquie choisira son prochain président, et il n'y a pas de succès à vanter sur la scène intérieure, où une crise économique prolongée accompagnée d'une inflation record crée un terrain fertile pour l'opposition. Erdogan est donc obligé de compenser ce manque de résultats en cherchant à capitaliser sur la fierté de son pays.
Mais même ici, il essaie d'être prudent, ne tirant que doucement sur la barbe de l'Amérique. Prenons, par exemple, l'épopée de la candidature de la Suède et de la Finlande à l'OTAN.
Il est important de noter le contexte : Stockholm s'est récemment doté d'un nouveau gouvernement, et le Premier ministre Ulf Kristersson, commentant au parlement le bombardement des formations kurdes en Syrie, a déclaré que « la Turquie a le droit à l'autodéfense. » Il a également abordé une autre question importante, qu'Ankara considère comme cruciale pour l'acceptation de nouveaux membres dans le bloc militaire dirigé par les États-Unis : Kristersson a souligné que la Suède ne devait pas être un refuge pour les organisations terroristes. Apparemment, il faisait référence aux partisans du KWP, dont Ankara réclame l'extradition. Sa prédécesseur, Magdalena Andersson, s'était montrée beaucoup moins conciliante sur cette question.
Bien sûr, le temps joue en faveur d'Erdogan, ce qui explique le message adressé aux politiciens scandinaves par son ministre des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, qui a déclaré que la Suède et la Finlande avaient encore des obstacles à franchir avant de rejoindre l'OTAN.
Le président turc est très doué pour le marchandage, et même lorsqu'il mène des actions qui vont à l'encontre des intérêts de ses partenaires - tant les États-Unis que la Russie - il utilise habilement des concessions attrayantes pour arrondir les angles.
L'essentiel dans cette situation est de comprendre que Moscou et Ankara ne sont pas des alliés, mais des partenaires et des voisins dont les intérêts se chevauchent et doivent être pris en compte. Une politique digne du monde multipolaire que les deux pays espèrent contribuer à construire.
Et bien sûr, une Turquie indépendante et au moins relativement stable, est une bien meilleure option pour la Russie qu'une Turquie obéissant à Washington.
David Narmania
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone