14/08/2023 elcorreo.eu.org  6min #232536

Primaires en Argentine : ¿alerte rouge à l'idéologie libertarienne ou vote définitif ?

par  Luis Bruschtein *

Javier Milei, le candidat d'extrême droite a cessé d'être une menace potentielle pour prendre corps dans un PASO (primaire, ouverte, simultanée et obligatoire) qui s'est transformé en « qu'ils s'en aillent tous » de droite. La victoire de Kicilloff, comme gouverneur de la province de Buenos Aires, est l'autre fait politique des élections en Argentine.

Difficile de savoir s'il aura le même soutien lors des élections présidentielles d'octobre que lors de ces élections primaires, mais les résultats d'hier ont clairement montré l'état d'esprit de la société. La large victoire du gouverneur Axel Kicillof dans la province de Buenos Aires, malgré le malaise général causé par la situation économique difficile, est un autre facteur important de ces élections.

La masse qui a voté pour Milei n'a pas exprimé un vote d'opposition, mais un vote anti-système. Il s'agit d'une masse qui a canalisé la colère liée à la situation économique en une colère anti-tout. C'est un signal d'alerte rouge parce que c'est le berceau de la violence et du totalitarisme. Il est difficile de dire s'il s'agit d'un signal d'alarme ou d'un vote définitif.

Si le vote de Milei est un vote anti-politique sans même penser à la gestion ou aux propositions, d'un autre côté, le soutien à Kicillof a été un vote pour une gestion bien évaluée, avec une forte présence dans la politique. Il s'agit d'une direction très présente sur le territoire, hyperactive et soutenant les Maires.

Le résultat de ces PASO a reconfiguré le scénario politique, où les candidats du Macrisme seront Jorge Macri à la CABA [Buenos Aires capitale], Néstor Grindetti dans la province de Buenos Aires et Patricia Bullrich au niveau national. C'est l'aile dure et la plus proche de Mauricio Macri. Le Parti Radical [Centre droite] ne s'exprime que dans sa faction la plus à droite, avec Luis Alfonso Petri comme candidat à la vice-présidence.

Sergio Massa devra affronter Milei et Bullrich, qui se disputent les voix de l'un et de l'autre, bien que les deux réunis soient largement plus nombreux que lui. Il reste à savoir si toutes les voix de Milei peuvent être ajoutées à Juntos por el Cambio (ou vice versa) et si toutes les voix de Horacio Rodríguez Larreta [macriste conservateur Maire de Buenos Aires] peuvent être ajoutées à Bullrich faucaunne macriste de [Juntos por el Cambio]. Il est probable que ce soit le cas parmi les noyaux les plus politisés de ces courants. Mais il est également probable que cela soit dispersé, surtout parmi ceux qui ont des racines péronistes ou radicales [centre droite dans Juntos por el cambio à mayorité conservateurs de Maurizio Macri].

Certains voient dans le vote pour Milei une attitude idéologique : colère montée sur les instincts les plus rétrogrades, le chacun pour soi, la discrimination et le patriarcat machiste, la méritocratie, l'anti-politique, l'anti-syndicalisme et l'autoritarisme répressif. C'est probablement vrai pour une partie minoritaire de cette base électorale.

Pour la grande majorité, Milei représente la lassitude et la frustration. L'idéologie Libertarienne [ultra-droitière] et pro-dictature de cet ancien conseiller du génocidaire Antonio Domingo Bussi est un détail qui n'intéresse pas. Un candidat de ces caractéristiques émerge d'une mauvaise situation économique, de situations critiques de mois d'enfermement avec la pandémie, ajoutées au coup exaspérant et permanent de l'inflation.

Cette base électorale estime qu'il n'y a pas d'issue au système politique constitué par les partis. Elle a certainement voté pour chacun d'entre eux, en particulier pour le péronisme, et estime qu'ils l'ont laissé tomber. Et elle voit que Milei est le seul à vouloir donner un coup de pied dans la fourmilière. Il est étrange de constater à quel point ce tableau ressemble à celui qui a été créé avant les Coups d'État militaires dans le passé. À l'époque, les Coups d'État militaires ont supprimé le système démocratique mais n'ont jamais rien résolu et, en revanche, ont aggravé la vie des Argentins : famine, dette, chômage, etc.

Milei semble être un enfant de cette histoire. Il incarne les mêmes illusions qu'un pan de la société qui a soutenu les dictatures et qui l'a regretté par la suite.

Sergio Massa devra faire face à ce scénario : deux candidats aux discours fortement ancrés à droite et un secteur supposé modéré de l'opposition qui est tombé en désuétude. Dans la carte du vote pour Milei, on trouve de nombreux votes péronistes qui n'ont été retenus que dans la province de Buenos Aires, la plus complexe et la plus difficile à gouverner. Ce vote péroniste n'est pas un vote de droite, mais un vote de frustration.

Le conflit pour ce vote ne sera pas entre Milei et Bullrich, mais entre Milei et Massa et les candidats au poste de Président de Unión por la Patria. Mais pour cela, Massa devra prendre ses distances avec le gouvernement actuel car il devra aller à la pêche d'un vote frappé par l'inflation et désabusé par la gestion de ce gouvernement [de centre gauche très timoré].

Tous les candidats devront adapter leur campagne à ces résultats, qui peuvent être lus comme un premier tour. Bullrich tentera de concurrencer Milei avec son discours pour une « main de fer » et de sauvagerie néolibérale. Et Massa partira de derrière dans cette course où, s'il veut avancer, il devra se détacher de l'image de son incapacité à résoudre la crise qui a usé Alberto Fernández.

Dans un contexte aussi défavorable, la performance de Kicillof s'impose d'autant plus comme un candidat en pleine ascension. La province de Buenos Aires et la banlieue de la ville Buenos Aires [sous juridiction de la Province de Buenos Aires] ont été encore plus durement touchés par la crise que les autres districts où le vote en faveur Milei a progressé. Cependant, le travail des maires et la gestion du gouvernement ont permis de maintenir la possibilité que l'Union pour la Patrie soit considérée comme un facteur de transformation. C'est le chemin que le candidat Sergio Massa devra parcourir jusqu'au mois d'octobre.

Luis Bruschtein* pour  Página 12

 Página 12. Buenos Aires, le 14 août 2023

* Luis Brushtein, est un journaliste argentin, rédacteur en chef adjoint du journal Página 12, qui a vecu en exil au Mexique après la disparition forcée de ses trois frères et de son père. Il est le fils de Laura Bonaparte, l'une des fondatrices de l'organisation Mères de la place de Mai.

Note de El Correo :
Le programme « à la tronçonneuse » de Milei
Supprimer la Banque Centrale, interdire l'avortement (légalisé en 2020), libéraliser la vente d'armes, ouvrir et légaliser la vente d'organes, privatiser les entreprises nationales et déréguler les marchés, dollariser l'économie, et faire un plan « à la tronçonneuse » pour réduire les services publics...

Traduction de l'espagnol pour  El Correo de la Diàspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 El Correo de la Diàspora. Paris, le 14 août 2023

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