Un autre indice du totalitarisme en marche.
Brandies à tout bout de champ dans la sphère médiatique ces cinq dernières années, les étiquettes « complotiste » ou « antivax » (pour ne citer que celles-là) ont rendu la diffusion et la promotion de certains livres à contenu alternatif encore plus compliquées qu'auparavant. Entre omerta, dénigrement et véritable censure, les livres se retrouvent au cœur d'une bataille idéologique qui n'a d'autre but que d'instaurer une pensée unique.
Si, depuis 2020, la censure fait rage sur les réseaux sociaux, où le moindre propos hors des clous peut mener soit à l'invisibilisation, soit à la suppression pure et simple de son compte ou de sa chaîne, elle semble avoir plus de difficultés à s'exercer au niveau des supports papier que sont les livres et les publications de presse. Le magazine Nexus, par exemple, n'a jamais été interdit de vente en kiosque, malgré de nombreux articles sur des sujets tabous, y compris pendant la « plandémie », et des couvertures parfois osées, comme celle du n°140 qui titrait en mai 2022 « Tous "complotistes"? La fabrique d'une (auto)censure de masse ».
Rarement, voire jamais invitées dans les grands médias, nombreuses sont les voix dissidentes de la crise Covid qui ont donc choisi d'écrire des livres, afin de tenter d'équilibrer le débat et d'informer malgré tout le public avec des arguments développés et des points de vue documentés. Quelques éditeurs courageux ont fait le job et pris le risque de publier leurs ouvrages, parmi lesquels on peut citer Albin Michel, Guy Trédaniel, L'Artilleur, Talma Studios, Marco Pietteur, Exuvie et quelques autres. Mais beaucoup se sont heurtés à un mur à l'étape de la diffusion ou de la promotion.
Censure médiatique, mais succès de librairie
L'un des premiers à avoir mis les pieds dans le plat en France est le Pr Christian Perronne qui, dès la mi-juin 2020, signait chez Albin Michel un livre intitulé Y a-t-il une erreur qu'ILS n'ont pas commise? À l'époque, le chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital de Garches arrivait encore à accéder à certains plateaux TV pour faire la promotion de son ouvrage, par exemple sur LCI ou sur BFMTV. Mais cela n'a pas duré et ses deux autres livres, Décidément, Ils n'ont toujours rien compris et Les 33 questions auxquelles ILS n'ont toujours pas répondu, publiés respectivement en avril 2021 et novembre 2022 chez le même éditeur, n'ont pas eu droit aux mêmes honneurs.
En dépit de cet étouffoir médiatique, les ouvrages du Pr Perronne se sont très bien vendus, tout comme d'autres cherchant à rétablir une certaine vérité autour du Covid. Deux cas assez emblématiques de cette ironie de la censure sont le livre du statisticien Pierre Chaillot, Covid 19, ce que révèlent les chiffres officiels (L'Artilleur), et celui de la généticienne Alexandra Henrion-Caude, Les Apprentis sorciers (Albin Michel), sortis en janvier et mars 2023. Sans aucun soutien des grands médias (à part un unique passage sur CNews pour Pierre Chaillot), chacune de ces parutions s'est rapidement propulsée en tête des ventes sur les sites de la Fnac et d'Amazon, et ce pendant plusieurs semaines. À tel point que la presse dite « mainstream » (comme Le Parisien ou Libération), après les avoir ignorés, a fini par se sentir obligée d'en parler, mais évidemment pour les dénigrer et traiter leur succès sous l'angle de la montée du complotisme dans notre société.



Les « fact-checkers » accusent les grandes enseignes d'être complices
La Fnac est notamment accusée par les « fact-checkers » de Libé d'être devenue « agitateur de complotisme » en faisant le choix de mettre en avant des « ouvrages contestés » sur ses présentoirs. Réponse faite à nos confrères par le vendeur du rayon "science" de la Fnac des Halles à Paris, concernant le livre d'Alexandra Henrion-Caude: « C'est mon collègue qui a décidé de le mettre en avant. Tant mieux, je l'ai lu, c'est un excellent ouvrage. Il se vend très bien. »
Déjà en septembre 2021, un article de France Info se faisait l'écho du « spécialiste en désinformation » Tristan Mendès-France et s'offusquait de la tendance de la Fnac et d'Amazon à faire la promotion d'« ouvrages antivaccins ou aux relents complotistes ». Toutefois, soulignait l'article, « ces ouvrages ne sont pas interdits à la vente » et « n'enfreignent ni les conditions générales de vente d'Amazon, ni celles de la Fnac ». Cette dernière a d'ailleurs rappelé à notre collègue journaliste qu'il « ne faut pas confondre la notion de vente et celle de prescription ». « Un distributeur de livres en France (...) n'a pas de rôle de censure et distribue l'ensemble des ouvrages autorisés par la loi ».
Amazon a fait une réponse similaire: « En tant qu'entreprise, nous continuons d'encourager la vaccination (...). En tant que distributeur, nous respectons le fait que nos clients souhaitent avoir accès à une grande variété de points de vue sur le sujet et c'est pourquoi nous continuons à répertorier les livres en question. » Même son de cloche chez Decitre, cité dans un article de l'AFP repris par Challenges: « Nous vendons les livres qui sont autorisés à la vente en France. Nous ne portons aucun jugement ni de censure sur les livres [...]. C'est au lecteur de se faire son propre avis. »
Marco Pietteur, un éditeur indépendant face à la crispation des libraires
Tous les libraires réagissent-ils avec la même impartialité? S'il confirme n'avoir jamais eu de problèmes avec Amazon, l'éditeur belge indépendant Marco Pietteur ne peut en dire autant de tous les points de diffusion. « Pendant le Covid, de nombreux libraires étaient frileux et ne faisaient plus leur métier. Ils triaient ce qui venait dans leur librairie », nous rapporte-t-il. Deux exemples de boycott l'ont en particulier marqué. Le premier en Belgique, où la librairie Pax à Liège a catégoriquement refusé l'intégralité de son catalogue. « J'y suis allé directement pour avoir une vitrine et proposer un dépôt-vente avec 40% de remise sur tous mes livres. Mais le libraire a estimé que mes ouvrages n'avaient pas leur place chez lui, qu'ils étaient peu adaptés ou complotistes, alors qu'ils sont très scientifiques et contiennent des références à foison. Même le livre du Dr Stéphane Résimont, qui n'est pas un antivax puisqu'il dit lui-même qu'il a vacciné sa fille, n'a pas trouvé grâce à ses yeux. C'est donc totalement arbitraire. »
Second exemple en Suisse, avec la grande librairie Payot. « Il y a deux ans, j'ai cherché à organiser chez eux une séance de dédicaces à la sortie du premier livre de Jean-Dominique Michel, Autopsie d'un désastre. J'ai essayé une fois, deux fois... J'ai eu le grand patron, son secrétaire... Pourtant Jean-Dominique est un auteur intelligent, modéré, qui questionne toujours à propos et avec une réflexion forte. "Oui, mais non, vous comprenez, ceci, cela, c'est complotiste..." m'a-t-on répondu. »

En France, malgré le « formidable travail » de DG Diffusion, qui distribue les livres de Marco Pietteur depuis plus de trois décennies, l'éditeur a appris, suite à la période Covid, que ses livres ne seraient plus chez Cultura. «Nous avons aussi été informés par mail qu'aucun de nos auteurs ne pourraient être présents à la prochaine Foire aux livres de Brive, en novembre. Soi-disant qu'ils manquaient de place et qu'il fallait choisir. Comme par hasard, c'est tombé sur nos auteurs...»
Les expériences contrastées de Chloé Frammery
Chloé Frammery dépeint le même parcours du combattant. Au départ sans éditeur 1, l'activiste et conférencière suisse a rencontré toutes sortes de difficultés pour faire accepter son livre La Suisse au cœur (publié en avril 2025) quelque part. La librairie Payot de Genève l'a retoqué au prétexte qu'elle n'était pas en capacité d'accueillir en dépôt-vente tous les livres autoédités pour lesquels elle est sollicitée, ce qui est tout à fait possible. Du côté de la librairie alternative et indépendante Basta!, basée à Lausanne, l'excuse fournie est qu'ils défendent « des alternatives différentes ». Destinataire involontaire d'échanges de mails internes, Chloé Frammery soupçonne que le nom de l'humoriste Dieudonné, cité en 4e de couverture de son livre, leur a posé problème.
En Suisse, on peut aussi déposer des livres sur les présentoirs des bureaux de poste. Celle qui se définit comme « une résistante des années 2020 » a donc proposé le sien à son bureau de poste local. Le responsable n'y a étonnamment vu aucun inconvénient, bien au contraire. « Il m'a même remerciée pour mon travail, en disant que ce n'était pas normal que mon livre soit invisibilisé et qu'il allait le mettre en avant. Je lui ai demandé s'il était sûr qu'on l'autorise à le faire. Il m'a répondu que c'était la mission du service public et qu'il ne voyait pas pourquoi cela créerait des difficultés », se souvient la Suissesse. Finalement, le responsable l'a rappelée quelques jours plus tard en lui annonçant que le bureau de poste central s'y opposait.
Heureusement pour Chloé Frammery, plusieurs libraires, en France et en Suisse, l'ont à l'inverse contactée pour lui commander son livre à la demande de leurs clients. Mais autre surprise: certains envois postaux ne sont jamais arrivés à destination. « Évidemment, je ne peux pas dire s'ils ont été interceptés par la poste ou s'ils ont été perdus en chemin. Par contre, ce qui est sûr, c'est que l'un d'eux est bien arrivé à son destinataire, mais uniquement avec la couverture, sans son contenu! Donc là, le colis a forcément été ouvert. Et c'était la poste française. » Celle-ci a d'ailleurs accepté de rembourser les frais d'envoi, mais pas le coût du livre détérioré.

Toute pensée divergente peut être visée
Les exemples pourraient ainsi se multiplier, montrant que toute pensée divergente subit les pires difficultés pour se faire entendre, quel que soit le domaine concerné (santé, science, climat, environnement, pédocriminalité, finances...). Repensons à la foudre qui s'est abattue sur le livre Transmania de Dora Moutot et Marguerite Stern, paru aux éditions Magnus en avril 2024, et dont les affiches ont dû être retirées des supports JCDecaux à Paris. On peut également citer l'omerta médiatique qui règne autour des ouvrages « anti-GIEC » de l'ingénieur polytechnicien Christian Gerondeau, publiés chez L'Artilleur. Tout récemment, le journaliste et auteur Pierre Jovanovic déclarait au magazine Nexus être victime de censure de la part de « certains libraires devenus des commissaires politiques«, alors que son dernier livre 2008 (Jardin des Livres) est actuellement n°1 des ventes sur Amazon dans la catégorie « Finance internationale».
Michel Onfray lui-même, pourtant très « mainstream » et régulièrement invité sur les plateaux TV, regrettait le 3 octobre dernier au micro de CNews qu'aujourd'hui en France, «si vous voulez faire une thèse ou un master à l'université, il y a des sujets qui sont interdits. Vous avez des libraires qui pensent qu'ils sont des acteurs culturels (...) et qui nous disent: Celui-là, je ne le commande pas ; celui-là, si vous me l'imposez, je le mets en dessous des rayons et je n'en fais pas la promotion. Voilà l'époque dans laquelle nous vivons, ce n'est plus une époque démocratique.»
Bientôt une chasse aux sorcières dans les bibliothèques?
Cette censure est en train de gagner jusque dans nos bibliothèques, lieux normalement neutres et au service des lecteurs, où certains voudraient instaurer une forme de mise à l'index d'ouvrages ou de thèmes jugés « obscurantistes », « sectaires », « complotistes », « pseudoscientifiques », « confusionnistes », « racialistes », « masculinistes » ou trop « genrés », comme le prouve un fascicule diffusé en février 2025 dans les bibliothèques françaises par le syndicat Sud Collectivités Territoriales. Derrière ce fourre-tout de « la lutte contre les dérives sectaires et l'obscurantisme » pointe une véritable dérive idéologique, que l'on pourrait sans excès qualifier de totalitaire. Jusqu'où ira-t-elle?
- Le livre de Chloé Frammery sera bientôt réédité chez Marco Pietteur sous le titre La plus belle démocratie du monde ? (à paraître en novembre 2025). ︎
