Journal dde.crisis de Philippe Grasset
25 janvier 2024 (16H45) – Vous devez observer avec quelle superbe constance, les directions en place, – disons occidentalistes-américanistes, globalistes, etc., – prennent des décisions manifestement, évidemment, décisivement grosses de toutes les catastrophes possibles. En voici un exemple qui fait une actualité discrète mais significative, avec la potentialité de devenir une crise extrêmement grave.
Bien sûr et pour aller au cœur, les faits d'abord qui sont publiquement connus et exposés. Il s'agit du Texas et de la frontière Sud où se pressent des millions de candidats-migrants.
On sait combien cette situation, la crise de la frontière et donc la situation du Texas particulièrement, est pesante pour les citoyens américains. La grande majorité d'entre eux, d'ailleurs à peu près dans les différentes communautés, – et paradoxalement sinon significativement, surtout chez les Africains-Américains et les Hispano-Américains, – y voient "une invasion".
« Près des deux tiers des électeurs américains considèrent que l'afflux record d'étrangers en situation irrégulière qui franchissent la frontière sud du pays n'est pas seulement une crise, mais une "invasion", selon un nouveau sondage de Rasmussen Reports.» L'enquête publiée lundi [8 janvier 2024] montre que 65% des électeurs pensent que leur pays est en train d'être envahi. Une majorité de personnes interrogées dans toutes les catégories démographiques, – dont 73% des Hispaniques, 74% des Noirs, 63% des femmes, 55% des démocrates, 80% des républicains et 70% des électeurs de moins de 40 ans, – sont d'accord avec l'affirmation selon laquelle il est "très exact" ou "assez exact" de qualifier d'invasion le flot de migrants illégaux qui traversent le pays. Seuls 15% des adultes américains pensent que ce n'est "pas du tout exact". »
Un conflit, latent depuis l'élection de Biden, a éclaté il y a quelques semaines, à la fin 2023, lorsque la Police des Frontières (Border Patrol), un organisme fédéral, a reçu l'ordre d'intervenir sur ‘Eagle Pass', un des points principaux de passage des illégaux, pour démanteler les barbelés mis en place en 2021 sur ordre du gouverneur Abbott et surveillés par la Garde Nationale du Texas. Abbott a refusé et son Secrétaire à la Sécurité Intérieure a pris une décision administrative contre l'action fédérale, pour "intention d'atteinte à des biens de l'État du Texas". L'administration Biden a porté l'affaire devant la Cour Suprême qui, le 22 janvier, a statué contre le gouverneur du Texas par la plus faible des majorité (5-4).
« La Cour suprême des États-Unis a autorisé les agents fédéraux à retirer les barrières de barbelés installées le long de la frontière mexicaine par le gouverneur du Texas, Greg Abbott. Face au nombre record de franchissements illégaux de la frontière, les républicains affirment que le président Joe Biden "aide et encourage activement" une "invasion".» Dans une décision rendue lundi à 5 voix contre 4, la Cour a fait droit à un recours d'urgence de l'administration Biden et a décidé que Abbott devait permettre aux autorités fédérales d'accéder à la frontière. Bien que nominalement conservateurs, les juges Amy Coney Barrett et John Roberts se sont rangés du côté de leurs trois collègues libéraux pour faire droit à l'appel. Aucun des juges n'a expliqué sa décision par écrit.
» En 2021, Abbott a envoyé des troupes de la Garde nationale du Texas à la frontière et a installé une trentaine de kilomètres de fils de concertina tranchants comme des lames de rasoir au point de passage populaire d'Eagle Pass. Lorsque le ministère de la sécurité intérieure de Biden a ordonné aux agents de la patrouille frontalière de commencer à couper les barbelés l'année dernière, le procureur général du Texas, Ken Paxton, a intenté un procès à l'administration Biden, accusant les agents d'endommager la propriété de l'État afin d'"aider" les migrants à "franchir illégalement" la frontière. »
Ce qui était annoncé depuis plusieurs mois par Abbott s'est alors produit : le gouverneur a refusé la décision de la Cour Suprême. Il s'appuie sur l'idée majeure de la souveraineté de l'État lorsque sa sécurité est en danger et que le pouvoir fédéral fait défaut pour le protéger de ce danger.
Dans l'atmosphère de tension idéologique inouïe, allant jusqu'à la haine qu'on sait, qui accompagne la campagne présidentielle, alors que le gouverneur fait face à un scrutin électoral pour sa réélection en novembre prochain, il était écrit et proclamé qu'Abbott ne cèderait pas, – Cour Suprême ou pas...
Note de PhG-bis : « D'ailleurs avec une décision plutôt étrange, la Cour Suprême, avec deux juges conservateurs contre Abbott ; selon le sentiment de PhG, c'est une décision démagogique qui aurait été prise plutôt pour écarter les attaques démagogiques de parti-pris lancées par les démocrates contre la Cour et qui, dans tous les cas, – passons du conditionnel au futur, – portera un rude coup à la légitimité de la Cour. »
Voici donc la présentation des conditions du refus de la décision de la Cour par Abbott. On y lit notamment des extraits substantiels de son communiqué très intéressant, où apparaissent des notions très appuyées de souveraineté et d'indépendance de l'État par rapport au centre fédéral.
« Le gouverneur du Texas, Greg Abbott, a refusé de reculer dans son conflit sur la sécurité des frontières avec l'administration du président américain Joe Biden, arguant que quelle que soit la décision de la Cour suprême de cette semaine en faveur de Washington, son devoir de protéger ses électeurs "supplante" toute loi fédérale.» "Le gouvernement fédéral a rompu le pacte entre les États-Unis et les États", a déclaré Abbott mercredi dans un communiqué. "Le pouvoir exécutif des États-Unis a le devoir constitutionnel d'appliquer les lois fédérales protégeant les États, y compris les lois sur l'immigration en vigueur à l'heure actuelle. Le président Biden a refusé d'appliquer ces lois et les a même violées".
» En conséquence, a affirmé Abbott, plus de 6 millions d'étrangers illégaux sont entrés aux États-Unis depuis que Biden a pris ses fonctions il y a trois ans, causant "un préjudice sans précédent à la population partout aux Etats-Unis". Le manquement du gouvernement fédéral à remplir son devoir constitutionnel a déclenché un droit constitutionnel de légitime défense réservé à l'État, a-t-il ajouté.
» "J'ai déjà déclaré une invasion (...) pour invoquer l'autorité constitutionnelle du Texas pour se défendre et se protéger", a déclaré le gouverneur républicain. "Cette autorité constitue la loi suprême du pays et remplace toute loi fédérale contraire". »
On voit bien le caractère étonnant de la rage impuissante, de la haine destructrice, de l'absence complète du sens des responsabilités, de l'aveuglement des évidences dans ce scénario si simple qui pousse un gouverneur, – et de quel État ! – à affirmer son autorité constitutionnelle sur le destin du Texas, sa complète légitimité surpassant celle de la Cour Suprême. A-t-il légalement raison ou tort ? Que nous importe alors que le flot des migrants est là, et qu'il constitue une tempête qui balaie tout, qui arrive à soulever la colère de ceux-là mêmes que les démocrates prétendent favoriser, les Africains-Américains et les Hispano-Américains.
A la base de tout cela, il y a une décision irréfléchie avec un risque immense de déferlement, qui n'est prise, je vais voyus dire ma conviction profonde, – que pour une seule raison et une seule : décider le contraire de ce qu'a fait et de ce que promettait Trump ! Rien d'autre ne compte, on dirait que la réalité a disparu, – c'est d'ailleurs le caractère même du simulacre, – et que Trump est devenu la Vérité par simple contradiction : faire et penser le contraire de le ce qu'il fait et pense, et vous avez la Vérité. A la limite, il semble qu'on pourrait dire à tous ces gens, sur un ton un peu rude mais néanmoins suivi d'effets à couper le souffle : "Dites donc les gars, ce ‘sonovabitch' de Trump respire, bon Dieu ! Mais cela signifie alors qu'il ne faut plus respirer !"
Alors, et cela depuis l'arrivée de Biden, l'homme qui signe plus vite que son ombre des textes dont il ne lit pas une ligne mais dont il sait qu'ils seront suivis de la récompense d'un ice-cream, – alors les décisions sont prises comme un taureau qui fonce, tête baissée et cornes en avant, après avoir situé faussement son objectif et stupidement créé des risques inutiles, et n'ayant plus besoin de regarder pour surtout, surtout, ne rien modifier à la manufacture de l'erreur et à l'enfantement des catastrophes qui s'ensuit. Je crois que l'affaire du Texas est exemplaire à cet égard : devant une situation où l'évidence vous dit quoi faire et ce qu'il ne faut pas faire pour éviter la crise et parvenir à une entente, on assiste à un enchaînement de contraires, enchaînement de décisions qui aggravent presque artificiellement, qui fabriquent même les gravissimes conséquences de leur propre application...
Ou bien, ou bien... Ou bien, ne faut-il pas se demander si cette aggravation en apparence artificielle et fabriquée ne serait pas en vérité la mise à jour, une révélation après d'autres et avant d'autres encore dans une terrible logique d'usure catastrophique, de l'aggravation contenue par divers moyens de la crise générale du système de l'américanisme qui gronde sous nos pieds et dans nos âmes ? Soudain, pour le cas exposé ici, à cause de cette terrible affaire des ridicules et gravissimes décisions de l'administration Biden, enchainée à ses idéologies d'adolescent haineux et enragé, surgit le terrible problème de la cohésion et de la justification de l'union, – et de l'Union elle-même, dans toute la majesté métahistorique que prétendirent lui donner les Pères Fondateurs. C'est une crise qui bouillonne dans les profondeurs béantes depuis l'origine, car le tromperie remonte bien à l'origine...
Se souviennent-ils, ceux-là qui abattent les statues, que Jefferson, alors secrétaire d'Etat, écrivit en mai 1791 une lettre au président Washington pour lui signaler que la corruption atteignait au Congrès un degré inacceptable ? Se souviennent-ils que le même Jefferson, sur son lit de mort, en 1825, eut ses derniers mots de son dernier souffle, sur ce jugement qu'il fit du grand projet qu'avaient lancé les Pères Fondateurs :
– Tout... Tout est perdu... »
Ce vers quoi le gouverneur Abbott est poussé, sans le vouloir car il n'est pas de la graine dont on fait les sécessionnistes, c'est justement la sécession comme seule issue au naufrage puisque les fous et les gâteux sont actuellement à la barre. Ce n'est certainement pas la même atmosphère que celle qui régnait en 1860-1861, au déclenchement de La Guerre de Sécession (qu'ils nomment faussement ‘Civil War'). Il n'y a rien de mesuré, de calculé, il n'y a pas d'enjeu structurel bien défini (qui portait d'ailleurs, pour la Guerre de Sécession, bien plus sur l'organisation économique que sur l'esclavage). Il y a un tourbillon crisique, une de mes figures favorites, et ce tourbillon caractérisé par la haine des protagonistes entre eux, et également une sorte de rage destructrice qui conduit à enclencher cette sorte de crise complètement folle pour des motifs ou des projets également fous, à la fois dérisoires dans l'esprit et absolument catastrophique dans la réalisation.
Il m'est venu à ce propos une partie d'un très long texte, – assez confus je trouve, et souvent insaisissable, – mais cette partie-là correspondant bien au climat que je ressens presqu'intérieurement, sans nécessité d'enquête statistique ni de sondages prétentieux. Le texte est de Michael Hudson, à partir MICHAEL HUDSON ON RUSSIA, IRAN AND THE RED SEA: NATO'S WAR ECONOMY COLLAPSES , il y a une semaine avec Danny Haiphong, passant par le canal compliqué de ‘ The Unz Review' via ‘ Entre la Plume et l'Enclume', et finalement ‘ Réseau International'. Le passage est intitulé « La rage américaine »
« Les États-Unis ont une certaine dynamique plus forte que dans tout autre pays du monde, et c'est la rage. C'est le sentiment que vous ressentez actuellement à Washington. Non seulement la rage, mais comme pour la plupart des rages, elle est combinée à la peur. Les démocrates craignent de perdre les élections et que Donald Trump vienne nettoyer l'État policier du FBI et se débarrasser de la CIA. C'est essentiellement ce qu'il s'est engagé à faire, avec l'État profond.» L'État profond craint donc que ce soit le cas, non pas que les États-Unis stagnent, mais qu'eux-mêmes, avec leur contrôle sur les États-Unis, reculent.
» Et l'État profond est prêt à détruire l'économie américaine. Le Parti Démocrate, depuis Clinton, a pour objectif de détruire l'économie américaine pour profiter du contrôle des 1% sur les 99%. Et il est prêt à utiliser la guerre militaire pour combattre, pour intensifier ses efforts au Proche-Orient, en Ukraine et, vraisemblablement, dans la mer de Chine, pour provoquer d'une manière ou d'une autre et, en substance, dire : "Eh bien, nous allons faire la guerre, car qui, chez nous, veut vivre dans un monde que nous ne contrôlons pas ?"
» Eh bien, vous savez, c'est comme ce que la Russie a dit lorsque l'Amérique menaçait de la frapper avec des armes nucléaires par l'implication de leur retrait des accords sur les armements. [Poutine] a dit : "Ne pensez pas que nous ne riposterons pas. Quel Russe voudrait vivre dans un monde sans la Russie ?" Eh bien, le gouvernement américain se demande : qui veut vivre dans une Amérique que nous ne pouvons pas contrôler ? Que les banques, le complexe militaro-industriel, le complexe pharmaceutique et, fondamentalement, le secteur financier monopolistique ne peuvent pas contrôler ? Si nous ne pouvons pas le contrôler, nous sommes prêts à voir le pays tout entier sombrer. C'est vraiment ce qui se passe. »
Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Bien sûr, combien de fois les avons-nous faites ces citations, du président Lincoln et de Walt Whitman, et aujourd'hui, quelles que soient les conditions, les nécessités, les pressions et les circonstances, l'on retrouve cette même pression dont je crois qu'elle est née du « déchaînement de la Matière » et du terrible enchaînement enfanté par ce déchaînement, – surpuissance-autodestruction, – et qui vaut aussi bien pour cette soudaine tension sécessionniste entre le Texas et Washington D.C.
« Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d'hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant » (Abraham Lincoln)« Les États-Unis sont destinés à remplacer et à surpasser l'histoire merveilleuse des temps féodaux ou ils constitueront le plus retentissant échec que le monde ait jamais connu… » (Walt Whitman)