Cette réunion rassemblant 800 officiers généraux (pour être précis : généraux et amiraux) à la base de Quantico pour entendre les discours du secrétaire à la Guerre (puisque c'est son nouveau titre) Pete Hegseth et du président Trump a tout pour paraître étrange, exceptionnelle, inusitée et totalement inutile sinon pour attiser les hostilités. Cette réunion est une première dans toute l'histoire des forces armées américanistes et le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a pas fait l'unanimité des officiers généraux, – sinon dans la plus complète hostilité derrière une impassibilité de marbre.
Selon Taylor Durden, de ‘ ZeroHedge.com', concernant le discours de Hegseth :
« Il y avait probablement beaucoup de généraux et d'amiraux mécontents assis là pour un discours qui aurait pu être consigné dans un courriel hebdomadaire standard de la chaîne de commandement. Après tout, certains ont pris l'avion depuis des bases éloignées au-delà des mers pour un discours d'encouragement sur les normes de préparation physique, un discours-type courant pour la plupart des briefings et rassemblements du vendredi dans la plupart des bases et unités militaires du Département de la Défense (de la Guerre). »
Pour Trump, ce ne fut pas davantage aimable. Son discours a duré 70 minutes, pendant lesquelles il a abordé les problèmes de culture et de discipline de l'armée, mais aussi les problèmes politiques et militaires de l'heure. Il a promis un renforcement des forces, en nombre et en matériel et évoqué des grandes guerres futures, sans obtenir le moindre signe de satisfaction.
« Trump avait commencé son discours de manière un peu abrupte et peu engageante… "Je ne suis jamais entré dans une salle aussi silencieuse … si vous voulez applaudir, applaudissez… et si vous n'aimez pas ce que je dis, vous pouvez quitter la salle – après tout, c'est votre grade qui est en jeu, c'est votre avenir qui est en jeu". »[...] « Une fois de plus, les généraux ne semblaient pas très impressionnés par tout cela, après avoir été retirés de leurs bases de commandement et de leurs théâtres de déploiement – le tout aux frais, sans aucun doute, du contribuable américain. "Je ne suis jamais entré dans une salle aussi silencieuse", avait déclaré Trump au début de son discours, suscitant quelques rires contenus. »
Il est difficile de distinguer ce qui est le plus intéressant, et d'ailleurs s'il y a vraiment quelque chose de quelque intérêt dans les deux discours. Il y a un aspect extérieur, plein de promesses guerrières et d'évocations de la possibilité de conflits majeurs (avec la Chine, plutôt), – une sorte d'appel à la mobilisation, mais sans vraiment de raison d'être et d'événements extérieurs, sinon le chaos global, pour la justifier. Bref, l'administration Trump, qui avait promis un désengagement général, semble attendre et envisager des engagements extérieurs décisifs.
Il y a aussi un aspect intérieur, qui implique des attaques voulues comme décisives contre la culture "Woke" dans les forces armées (Hegseth), et l'annonce d'interventions des forces militaires dans les villes américaines sous administration démocrate [Trump].
« Il [Hegseth] en a profité pour annoncer un renversement de la culture "woke" qui a trop longtemps régné au Pentagone sous l'administration Biden. "Finis les mois de l'identité, les bureaux de la DEI, les hommes en robe. Fini le culte du changement climatique. Finies les divisions, les distractions et les illusions de genre. Finis les débris. Comme je l'ai déjà dit et je le redis : on en a fini avec cette merde". »[...] « Un autre moment intéressant fut lorsqu'il [Trump] déclara que le ministère de la Guerre devrait utiliser "les villes dangereuses comme terrains d'entraînement pour l'armée et la Garde nationale". Les simples soldats pourraient ne pas être ravis.
» "J'ai dit à Pete [Hegseth] que nous devrions utiliser certaines de ces villes dangereuses comme terrains d'entraînement pour notre armée et la Garde nationale, mais l'armée, parce que nous allons bientôt à Chicago, c'est une grande ville avec un gouverneur incompétent." »
Incompréhensibilité du compréhensible
On a bien du mal à identifier quelles sont précisément les réactions extérieures des uns et des autres à ce fort étrange moment de l'administration Trump. Il ne suffit pas de dire que c'est un échec, il faut d'abord tenter de comprendre quel en était le véritable but. Beaucoup d'hypothèses ont déjà été faites. Aucune ne nous satisfait vraiment.
• Certains jugent que cette réunion était faite pour dissimuler une autre réunion préparant une attaque, par exemple contre le Venezuela. Larry Johnson, d'habitude friand des complots raisonnables, contredit avec une chaleureuse amitié celui de madame (?) Yves Smith, de ‘Naked Capitalism', justement sur une telle seconde réunion.
• D'autres voient dans cette réunion effectivement une mobilisation dissimulée pour un grand conflit à venir. C'est le cas de RT.com, dont on peut imaginer qu'il reflète une opinion générale de la direction russe. L'article référencé s'attache au passage du discours où Trump glorifie les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SMBL) de l'US Navy aux dépens de ceux de la Russie et de la Chine. Le texte s'emploie à nuancer le propos du président US en rappelant diverses réalités.
• Etc... Pour notre part, nous avons une autre hypothèse, plus exotique, – ce qui va bien à Trump, – mais aussi plus proche de la situation intérieure US et des haines qui s'y déploient, – ce qui va à tout le monde aux USA.
On cherche un Toukhatchevski
Peut-être Trump envie-t-il Staline et regrette-t-il de ne pas avoir ses pouvoirs ? Staline était capable d'entreprendre une purge massive des cadres supérieurs de l'Armée Rouge (en 1936) jusqu'à envoyer une cinquantaine de maréchaux et généraux au poteau d'exécution ; parmi eux, ou plutôt au-dessus d'eux, le plus prestigieux, le plus brillant, le plus grand héros de l'Armée Rouge (quoiqu'ancien officier tsariste), le maréchal Mikhaïl Toukhatchevski. Il est vrai que Staline, en parano assumé, jugeait, – peut-être avec quelques raisons, après tout, – que Toukhatchevski cherchait ou chercherait à le renverser avec le concours de son armée qui le portait aux nus.
Trump n'a finalement vraiment rien d'un Staline et il n'y a certainement pas, – sans le moindre doute ! – le moindre Toukhatchevski au sein des ronds de cuir des forces armées US. Pourtant, on peut envisager qu'il connaisse ou craigne une aventure assez similaire à celle de Staline, dont il doit partager quelques traits d'une parano de sa propre sorte, également assumée. Il sait que les généraux ne l'aiment pas, comme on l'a vu avec le général Miley en 2020-2021, puis avec le général Brown qui succéda à Miley à la tête du Joint Chiefs of Staff, comme d'ailleurs avec son premier secrétaire à la défense le général Mattis. Cette étrange sortie hors des normes que constitue la pseudo-conférence de Quantico, avec des remarques ressemblant à des menaces (« après tout, c'est votre grade qui est en jeu, c'est votre avenir qui est en jeu »), ressemble, elle, à un avertissement général au corps des officiers généraux : "Vous ne m'aimez pas, je ne vous aime pas non plus et j'ai des pouvoirs que vous n'avez pas... Dites-vous que je n'hésiterai pas à m'en servir !".
Il s'agit d'une hypothèse raisonnable (inhabituel pour Trump) qui va bien avec le caractère excessif et tempêtueux de Trump, prenant des décisions extrêmes sur l'instant et sans souci des conséquences et des effets (tout à fait lui). Il se doutait tout de même qu'en lançant cette affaire, il susciterait la rancœur, sinon la colère des généraux, ce qui est le cas. Mais s'il a un peu de mémoire (Miley, Brown, Mattis et les autres), il aurait pu conclure : "Dans ce cas, qu'est-ce que j'ai à perdre puisqu'ils ne peuvent pas me voir ni en peinture ni en photo ? Par contre, je gagne de l'espace en leur foutant la trouille et je peux récupérer les hésitants".
A notre sens, il est assuré, selon le climat américaniste et la haine entre les factions et entre les bureaucraties, que l'équipe Trump, et Trump lui-même, craignent le comportement de l'armée en cas de trouble. Ils savent que nombre de généraux partagent l'avis de Miley lorsqu'on l'accusa de trahir son serment du fait d'une insubordination par rapport au président : "J'ai prêté serment à la Constitution, pas au président".
Mis en ligne le 1er octobre 2025 à 15H30