par Régis Chamagne
Donald Trump a publié récemment un tweet menaçant les pays qui voudraient se passer du dollar pour leurs relations commerciales. Ce tweet me laisse pantois, pour au moins deux raisons : le constat d'une part et la réaction d'autre part.
Après l'euphorie...
Une fois les paillettes d'une victoire électorale retombées, les fondamentaux reviennent au premier plan : le centre de gravité de la puissance américaine est le dollar !
L'ordre ancien
Rappelons donc les fondamentaux de l'ancien paradigme géopolitique : Les États-Unis vivaient au crochet du reste du monde tout en s'imposant comme les maîtres du monde grâce au dollar, monnaie de réserve mondiale depuis les accords de Bretton Woods en juillet 1944, désindexée de l'or depuis le 15 août 1971 par Richard Nixon. Cette situation permettait à la FED d'émettre de la monnaie en tant que de besoin pour faire financer la dette des États-Unis par le reste du monde, à travers une pyramide de Ponzi qui ne cessait de croître. L'armée américaine, qui était alors reconnue comme étant la plus puissante du monde, avait entre autres pour mission de punir les récalcitrants, à l'image de Kadhafi qui avait créé le dinar-or, monnaie qu'il avait proposé aux pays d'Afrique afin de s'affranchir de la tutelle du dollar, en particulier pour le commerce du pétrole.
Les prémisses du changement de paradigme ont été annoncées par la Chine au sommet du G-20 des 14 et 15 novembre 2008 à Washington. Celle-ci avait proposé de commencer à réfléchir à un futur outil d'échange international basé sur un panier de monnaies et de métaux précieux afin de remplacer le dollar à terme. Plus tard, rappelons que quelques jours après que des missiles S-300 russes eussent intercepté des missiles américains au large des côtes syriennes le 3 septembre 2013, le président chinois avait déclaré publiquement : «il va falloir dédollariser l'économie mondiale».
En résumé, la volonté de sortir du carcan imposé par les États-Unis grâce au dollar ne date pas d'aujourd'hui. Et là, subitement, Donald Trump, par son tweet, donne l'impression de découvrir l'eau tiède. C'est tout simplement stupéfiant. Mais peut-être le pire est-il sa réaction face à ce constat tardif.
Des menaces hors du temps
La réaction de Donald Trump face à cette découverte relève presque d'une attitude puérile ; celle d'un enfant à qui on a cassé son jouet.
Car, faut-il le rappeler, la guerre en Ukraine est un formidable accélérateur du processus de dédollarisation de l'économie mondiale. C'est parce que la Russie montre sur le terrain sa supériorité militaire écrasante sur les armées de l'OTAN, en particulier américaine, que les pays du monde n'ont plus à craindre de représailles américaines et qu'ils peuvent s'affranchir du dollar. Du reste, beaucoup de pays africains ont signé des accords de défense avec la Russie.
Certes, me direz-vous, les menaces de Trump sont financières et non d'ordre militaire. Mais là encore, l'analyse des dernières décennies de sanctions économiques à-tout-va démontre la vacuité d'une telle menace. Les pays sanctionnés font preuve depuis longtemps de résilience, et mieux, de solidarité dans le cadre d'une reconfiguration de leurs politiques économiques, en particulier dans le choix de leurs partenaires commerciaux. De plus, en annonçant cela maintenant, Trump donne un peu de temps aux pays visés pour préparer des contre-mesures et il est très probable que cela accélérera le passage aux monnaies nationales dans les échanges entre les nations. Comme après les sanctions de 2014, comme après les sanctions de 2022, l'effet principal de ces sanctions sera de type boomerang.
En somme, les menaces proférées par Trump sont pathétiques car les États-Unis n'ont plus les moyens de menacer quiconque. Elles montrent que Trump et ses conseillers n'ont pas bien compris la logique des mécanismes à l'œuvre dans le changement de paradigme géopolitique en cours ni l'irréversibilité de ce processus.
Conclusion
Donald Trump, avec l'arrogance ordinaire de l'Américain moyen, ni plus, ni moins, vient de dire à la terre entière qu'il n'a pas compris les rapports de force en jeu dans le monde, ni actuels ni en devenir. Les Chinois doivent se frotter les mains, et les Russes aussi.
Dans le livre «Pourquoi le monde déteste-t-il l'Amérique ?» les auteurs résument l'égocentrisme américain par cette phrase : «L'Amérique est le monde et le monde est l'Amérique». À force de se considérer comme le maître du monde indispensable et de voir le reste du monde comme un terrain de jeu sur lequel on peut agir à sa guise, les politiciens américains n'ont pas vu les mouvements telluriques se développer. Aujourd'hui, abasourdis, ils entrevoient leurs effets.
Cette prise de conscience tardive aura certainement de l'influence sur la politique de la nouvelle équipe. En interne, nonobstant le fait qu'elle «fera le ménage» comme annoncé, elle devra tenir compte de la pression extérieure liée à la dédollarisation du monde pour conduire sa politique économique et cela risque d'être douloureux. En externe, elle devra s'adapter au monde plutôt que de vouloir s'imposer.