21/03/2023 francesoir.fr  6 min #225863

Elisabeth Borne déclenche l'article 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites

Retraites : le 49.3 de trop ?

Marcel M. Monin, pour France-Soir

Emmanuel Macron, le 20 juin 2022.

F. Froger / Z9, pour France-Soir

TRIBUNE/OPINIONS - Les fonds de pension ont gagné : la loi Macron sur les retraites s'appliquera puisque la motion de censure (1) n'a pas été adoptée. Ceux qui vont y gagner remercieront les politiciens du parti les Républicains (LR). Dont certains d'entre eux peuvent logiquement en attendre un remerciement.

Le rejet (attendu) de la motion de censure montre une nouvelle fois que, sous un certain rapport, la Veme République est en réalité morte.

Expliquons. Le texte de la constitution de 1958 avait pour ambition de mettre un terme aux « magouilles » des politiciens qui étaient à l'écoute des lobbys, qui préparaient leur entrée au gouvernement, etc...

Manœuvres ayant comme effet de compromettre les intérêts de la France à l'extérieur ou d'empêcher que des décisions attendues par les citoyens soient prises (gouvernements instables, pas de majorité pour voter les textes). (2)

En 1958, divers garde-fous furent ainsi placés dans le texte constitutionnel, dont l'usage fut remis au président de la République lequel pouvait s'appuyer pour ce faire sur le peuple. Le dispositif fut renforcé en 1962 par l'élection du président de la République au suffrage universel direct, en considération du fait qu'il convenait par cette voie de l'élection, de donner une « légitimité » aux successeurs du général de Gaulle. (3)

En bref : le président de la République pouvait s'appuyer sur le peuple « contre » la classe politique. Depuis, la classe politique s'habitua à faire carrière dans le nouveau contexte dans lequel les élections législatives produisirent à chaque fois une majorité.

De leur côté, les présidents de la République, quand ils furent désavoués par les citoyens lors d'élections législatives (François Mitterrand, Jacques Chirac), ou lors d'un référendum (Chirac), décidèrent de conserver leur poste. (4)

Et puis, les présidents de la République se mirent à jouer de la classe politique contre le peuple :

• Nicolas Sarkozy fit approuver en 2007 par la (majorité de la) classe politique des dispositions (Traité de Lisbonne) qui avaient été rejetées par le peuple français par le référendum de 2005 (projet de « constitution européenne »).

• Emmanuel Macron vient de faire adopter par la classe politique (qui a décidé de laisser faire) une réforme importante, alors que cette dernière est rejetée par l'immense majorité des Français.

Que faire ?

Les parlementaires minoritaires pourraient essayer l'article 68 (5) de la constitution sur la destitution. Dans le comportement d'Emmanuel Macron (5), ils pourraient sans doute trouver matière à motiver leur initiative.

Certes, il manquerait probablement des voix pour que soit délivré le carton rouge fatal au président de la République. Mais dès lors que c'est le président de la République qui décide de tout, renverser le gouvernement (qui ne fait que lui obéir et le servir), n'a pas beaucoup d'intérêt. Surtout que le président de la République peut renommer les mêmes... ou, à défaut, nommer des clones.

Ainsi, déclencher la destitution pourrait être une manière de mettre en place la responsabilité politique du président de la République (6).

On verra si parmi les parlementaires qui ont déposé et voté la motion de censure contre le gouvernement, il y en a qui, se sentant vraiment représentants du peuple - représentants (6) et peuple méprisés pour le moins -, penseront à la destitution (7).

  • Marcel-M. Monin est Maître de conférence honoraire des universités. 

Notes :

(1) On notera au passage que le pouvoir a baptisé sa loi sur les retraites, de « loi de finances ». Ce qui avait pour objet de « permettre » au gouvernement d'utiliser autant qu'il voulait la procédure de l'article 49 alinéa 3 pour arriver au résultat final. Alors qu'il est limité à une utilisation par session parlementaire pour les autres lois. Comme autres astuces utilisées, tordant quelque peu le cou aux prévisions des textes, on se rappelle le « conseil de défense sanitaire », au sein duquel la politique sanitaire (donc notamment l'achat de produits vaccinaux en cours d'expérimentation, selon les termes également secrets de contrats), était déterminée (en collaboration avec une société privée extérieure ne figurant pas dans la liste des institutions) dans le... secret. Sans contrôle possible.

(2) Sur ces questions, voir notre « Textes et documents constitutionnels. Analyses et commentaires ».  Dalloz - Armand Colin.

(3) Ce fut également un peu le cas d'Emmanuel Macron en 2022 qui se retrouva à l'Élysée par rejet de la personne de Marine Le Pen (un peu comme dans l'adoption implicite des textes par rejet de la motion de censure), et qui, aux élections législatives qui suivirent, n'obtint pas de majorité.

(4) Article 68 (rédaction depuis 2007) : « Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours. La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat. Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des DEUX TIERS des membres COMPOSANT l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution. Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article ».

(5) Voir quelques pistes dans : a) L'état mental de Macron est-il compatible avec l'exercice de son mandat ? ; b) Macron, comme les pilotes de ligne, doit subir des contrôles de l'usage de stupéfiants. Par François Asselineau, président de l'UPR, haut fonctionnaire à l'Inspection des finances. Voir également : J. Myard,  « Le poisson pourrit par la tête » Chronique, Boulevard Voltaire, 18/03/2023. Ces approches du « personnage » Macron, dirigent les regards vers l'article 7 de la constitution sur la « vacance » de la présidence de la République. Qui permet, notamment en cas de maladie de l'intéressé, de mettre fin aux fonctions du président de la République. Mais le déclenchement de la procédure relevant du gouvernement, il n'est pas réaliste, dans le contexte actuel, d'imaginer que la procédure de l'article 7 soit « lancée ». Contrairement à la procédure de l'article 68 qui est aux mains des parlementaires.

(6) On sait que le déclenchement de la responsabilité pénale des ministres a servi jadis à mettre en place une responsabilité politique du ministère. De l'article 68 peut naître la responsabilité politique du (véritable) chef de l'exécutif. Laquelle pourrait être inscrite dans une future constitution.

(7) C'est également la question que pose François Asselineau, cf. note (4).

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