29/11/2022 euro-synergies.hautetfort.com  24 min #219868

Richard Coudenhove-Kalergi: le vrai plan pour l'Europe

par Matteo Parigi

[Source:  ideeazione.com]

Où et quand la création de l'Union européenne a-t-elle réellement commencé?

La coutume voudrait que la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 scelle le début du chemin vers l'assimilation politique supranationale des États européens. Beaucoup d'autres répondraient plutôt que ce sont les signataires du traité de Paris (18 avril 1951) qui ont donné naissance à la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Ou les protagonistes qui ont ensuite donné naissance au traité de Rome (25 mars 1957) créant la Communauté économique européenne (plus tard simplement la Communauté européenne, CE). D'autres encore, les plus romantiques ou "patriotes" pour ainsi dire, accorderaient le (dis)crédit de cette initiative à notre Altiero Spinelli, qui, confiné dans l'île du même nom, a rédigé le Manifeste de Ventotene pour une Europe libre et unie avec Ernesto Rossi et Eugenio Colorni.

Rien n'est plus faux.

Bien qu'il existe désormais suffisamment d'informations accessibles dans le domaine public, il est encore rare d'entendre le nom du véritable responsable (ou du moins l'un des principaux) de l'idée à la base de l'actuelle Union européenne. Le nom complet de ce responsable est Richard Nikolaus Eijiro von Coudenhove-Kalergi. Sa contribution aux questions politiques les plus importantes du XXe siècle après la Première Guerre mondiale est sortie de l'oubli historique collectif grâce au professeur Matteo Simonetti, dont l'étude (1) est encore la seule recherche existante axée sur la pensée philosophico-politique de Kalergi et son projet pour l'Europe, qui, comme nous le verrons, a toutes les raisons d'être resté inconnu de la plupart.

BIOGRAPHIE

Né le 16 novembre 1894 à Tokyo d'une mère japonaise, Mitzuko Aoyama, descendante d'une famille de samouraïs, et de Heinrich Cudenhove-Kalergi, un diplomate polyglotte de l'Empire austro-hongrois. La famille Kalergi est probablement issue d'une ancienne dynastie impériale grecque byzantine, liée à une branche de la noblesse vénitienne. Ils étaient comtes du Saint Empire romain germanique. Vers 1300, Alexios Phokas Kalergis a signé le traité qui a ratifié la cession de la Crète aux Vénitiens. Nous savons que Richard a passé son adolescence en Bohème, se disciplinant le corps par une éducation chevaleresque, combinant les études avec des exercices de gymnastique et d'arts martiaux. Il a étudié à l'école épiscopale de Brixen, puis à l'Académie thérésienne de Vienne. En 1915, alors qu'il étudie à l'université de la capitale, il épouse sa première femme, Ida Roland, une actrice connue d'origine juive.

La Première Guerre mondiale a été le tournant qui a conduit Richard à spéculer sur un projet d'union paneuropéenne. En 1921, il a reçu l'initiation dans la loge maçonnique Humanitas de l'Orient de Vienne. En 1922, il fonde l'Union paneuropéenne, le premier groupe de réflexion pour la promotion d'une Europe fédérale, qui regroupe d'éminentes personnalités de la politique internationale. L'année suivante, le manifeste éponyme Paneuropa est publié, dont les exemplaires distribués contiennent également une carte de membre de l'association. En 1924, Kalergi entre en contact avec le magnat de la finance Max Warburg, qui fait don de 60.000 marks-or à Kalergi et devient un financier de confiance de l'association. C'est également Warburg qui introduit son homme dans le monde de la finance, le rapprochant de Paul Warburg, Bernard Baruch et Louis de Rotschild. La même année, la revue Paneuropa est fondée et son principal essai philosophique Praktischer Idealismus est publié l'année suivante. Il est d'ailleurs curieux qu'en 1925, le premier volume de la trilogie Kampf um Paneuropa (le combat pour Paneuropa) ait été publié en parfaite synchronisation avec le Mein kampf de Hitler. Le premier congrès paneuropéen à Vienne remonte à 1926. Les activités de l'association se sont poursuivies avec un succès croissant jusqu'à l'avènement d'Hitler.

Après l'Anschluss de l'Autriche, Kalergi a été contraint de se réfugier en France, mais en 1940, en raison de la défaite française et de l'invasion des Allemands qui s'ensuivit, il s'est réfugié en Suisse, puis a émigré aux États-Unis, où il est resté pour enseigner à l'université de New York. Cette période a été cruciale pour poursuivre la promotion de la cause paneuropéenne, ainsi que pour amener les bons contacts américains et convaincre le public américain qu'il était dans son intérêt de promouvoir une solution fédérale pour l'Europe. Jusque-là, Kalergi avait été occupé à répandre ses idées loin à la ronde. La campagne italienne lui permet d'obtenir deux entretiens avec Mussolini en 1933. Il a également établi une correspondance épistolaire avec J. Evola dans les pages de Il regime fascista, dont il ressort, selon le professeur Simonetti, "une connaissance superficielle du paysage culturel fasciste (2)".

Une fois la guerre terminée, Kalergi rentre en Suisse, au moment propice pour qu'il y ait un sol fertile pour ses graines: en septembre 1947, avec son frère maçon Otton de Habsbourg, il organise le premier congrès de l'Union parlementaire européenne. Ce dernier devait être transfiguré, après le Congrès de 1948 à La Haye, en Conseil de l'Europe, qui préparait également la formation du Parlement européen. Kalergi a été le tout premier lauréat du Prix Charlemagne, qu'il a reçu en 1950. C'est également lui qui, en 1955, a proposé le chœur de la Neuvième Symphonie de Beethoven comme hymne de l'Europe. Il est décédé le 27 juillet 1972. Il est intéressant de noter que son secrétaire a écrit dans ses mémoires qu'il a dissimulé la cause du décès au public pour ne pas décevoir les partisans du comte, suggérant ainsi qu'il pourrait s'être suicidé.

IDÉALISME PRATIQUE

Avant de reconstituer les étapes et les contributions silencieuses à l'origine de l'Union européenne, il est impératif d'aborder la pensée qui a animé (et anime encore) les actions. Ceci est évoqué dans un ouvrage de 1925 intitulé Praktischer Idealismus (Idéalisme pratique). Cet oxymore contient des thèmes de philosophie anthropologique et politique qui sont nihilistes, néo-aristocratiques, élitistes-réactionnaires, racistes, progressistes et techno-scientifiques (donc plus actuels que jamais). Les influences de penseurs tels que Spengler, Nietzsche, Platon, Schopenhauer et Kjellen sont évidentes. Dès les premières pages, le caractère anti-démocratique du comte apparaît :

"La démocratie politique ne peut devenir féconde et créative si elle ne démolit pas la pseudo-aristocratie du nom et de l'or, pour mettre à sa place la naissance d'une nouvelle aristocratie de l'esprit et du mental, qui sera éternellement renouvelée. Le sens ultime de la démocratie politique est donc une aristocratie de l'esprit ; elle veut souder la jouissance/le plaisir des matérialistes avec le pouvoir des idéalistes (3)."

Une nouvelle aristocratie de l'esprit sera pour Kalergi le digne leader de la future communauté mondiale. Par le truchement d'une philosophie politique positiviste suintant le matérialisme historique marxiste. En d'autres termes, le développement naturel du capitalisme ne peut être que son propre dépassement en faveur de l'utopie communiste réalisée. En effet, on lit :

"Tant qu'une nouvelle et véritable noblesse ne sera pas établie, la démocratie disparaîtra d'elle-même (4)."

Kalergi insère la vision néo-aristocratique raciste au sein des théories évolutionnistes et progressistes établies à son époque dans de nombreux milieux académiques-scientifiques.

Mais la nouvelle noblesse n'est pas légitimée sur la base du sang ou de l'or (comme les anciennes, que Kalergi appelait les "pseudo-aristocraties", celles qu'il fallait démolir), mais plutôt sur la base de l'esprit, ou plutôt selon une nature particulière :

"Néanmoins, les dirigeants de la ploutocratie forment en un certain sens une aristocratie, une sélection... ils se légitiment comme des natures conquérantes modernes, auxquelles leurs forces supérieures de volonté et d'esprit apportent la victoire (5)."

Et encore :

"La noble nature doit prendre la place du plus noble nom (6)."

Les nouveaux dirigeants font l'hypothèse d'un idéalisme pratique qui restaurerait et préserverait pour l'humanité ces valeurs éthiques et esthétiques dont la négligence a été la cause de la chute de toutes les classes dirigeantes. La finalité morale d'une telle vision politique demeure dans un eudémonisme renouvelé, un critère philanthropique du bonheur humain. Mais à qui s'adresse-t-elle ? A la nouvelle ploutocratie, la vraie forme de gouvernement derrière le faux visage d'une démocratie purement procédurale. Mais loin d'envisager un remède ou de dépasser le système précité, il autorise une autre ploutocratie (la sienne) pour tenter d'arriver au nouveau monde aristocratico-socialiste. Voici encore un autre paradoxe, qui ne peut s'expliquer que si l'on comprend que l'idéal kalergien est de "souder la jouissance/le plaisir des matérialistes à la puissance des idéalistes (7)". À l'appui de sa thèse, le disciple préféré de Socrate intervient avec une énorme licence poétique, voire une erreur flagrante :

"Ce n'est pas un hasard si [Platon] a été le prophète de l'aristocratie spirituelle et de l'économie socialiste (8)".

Kalergi avoue que l'expression "Idéalisme pratique" représente le lien entre l'aristocratie et le socialisme. Les deux idéaux-types se manifestent respectivement chez le Junker, dernier acteur social de la noblesse terrienne allemande, qui combine "un maximum de caractère avec un minimum d'intellect" et le lettré urbain aux caractéristiques diamétralement opposées (9). Le nouveau leader est une combinaison des deux :

"Il allie une vision large à la force de la volonté, la force du jugement à la force de l'action, l'esprit au caractère (10)."

Nous verrons plus tard les caractéristiques psycho-ethniques de "l'homme idéal". Tout d'abord, nous devons nous demander par quels moyens le vieux continent va progresser vers l'évolution. Par ce que Kalergi appelle "la mission technologique de l'Europe dans le monde", représentée métahistoriquement par le Lucifer de la tradition juive ou le Prométhée des Grecs. Celui qui a apporté la lumière aux hommes, qui s'est rebellé contre l'harmonie céleste asiatique. Dans Kalergi, il existe une association spéculative entre l'Asie et un ordre divin archétypal, sous l'égide duquel l'Europe graviterait pendant des siècles.

"Au Moyen Âge, l'Europe était, spirituellement et culturellement, une province de l'Asie. Elle était dominée par la religion asiatique du Christ.... Ce n'est qu'avec l'émancipation de l'Europe du christianisme... que l'Europe a retrouvé la raison et s'est séparée spirituellement de l'Asie (11)."

C'est donc à l'Europe dans son essence que Kalergi consacre un chapitre spécial intitulé "La culture européenne est la culture des temps modernes". En effet, le mérite de l'émancipation des Européens revient au progrès technologique :

"C'est la technologie qui a fait sortir l'Europe de son beau sommeil asiatique (12) du Moyen Âge".

La finalité de la technologie comme moteur de la mobilisation historique: elle a permis aux Européens d'être tels, sans aucune infériorité par rapport à la civilisation égyptienne ou babylonienne, par rapport à laquelle en son absence ils n'auraient pas la même valeur (13). Toute tentative d'amélioration humaine ne peut qu'employer la technologie de Prométhée libéré. Ce n'est pas un hasard s'il voit ses idées bien défendues dans la Nouvelle Atlantide de Bacon, en opposition à l'Utopie socio-éthique de More. La gnose technologique permettra messianiquement à l'homme de manger du pain sans la sueur de son front et à la femme d'accoucher sans douleur. Kalergi est également un partisan convaincu de l'injustice que le travail forcé fait subir à l'humanité: ce sera en effet le dernier acte et le plus important vers lequel le progrès technico-scientifique doit inexorablement tendre. Ce seront les machines qui élèveront "l'humanité entière au stade d'une classe de gentlemen".

Il n'y aurait donc rien d'étrange à ce que parmi les hiérophantes actuels de la quatrième révolution industrielle se trouvent des lecteurs avides de notre père pèlerin européen. En fait, il propose même la dissolution de la ville moderne et le retour de l'homme dans la nature ; mais il ne précise pas que le discours ne s'applique qu'à la nouvelle oligarchie idéal-pratique, car peu après il se contredit lui-même(14) : les nouvelles villes du futur devront reprendre l'isonomie urbaine médiévale, c'est-à-dire selon un schéma de division des choses partant d'une cathédrale centrale. Ce dernier, dans la nouvelle ville hyperfonctionnelle, sera un palais panoptique monolithique, au sein duquel tous les services urbains essentiels seront intégrés. À l'extérieur de la bulle seront juxtaposées des habitations, de simples masses de prolétaires dont la seule occupation sera le trajet entre leur "maison" et le hub central, au sein duquel se dérouleront toutes les activités.

Tout cela s'inscrit dans le cadre des programmes actuels de restructuration de l'Europe sous la bannière de la transition verte qui vise à détruire de façon messianique les institutions économico-sociales, de sorte que en l'absence de richesse privée (donc de pouvoir), de liens familiaux, sociaux et nationaux, se retrouvent soumis à la volonté d'une oligarchie de technocrates non élus.

LE PLAN KALERGI : RACE ET MESSIANISME JUIF

Une question plus controversée mais non moins cruciale de la Weltanschauung de Kalergi concerne sa vision anthropologique de l'avenir européen. Ces dernières années, parallèlement à la découverte progressive et superficielle de la figure de Kalergi dans le débat public, les critiques, ou plutôt les représailles rhétoriques, n'ont pas manqué dans la (vaine) tentative de censurer le discours, ainsi que d'étiqueter tout interlocuteur comme un toqué adepte de la théorie d'un soi-disant remplacement ethnique des Européens. Et pourtant, dans la Paneuropa du futur, le comte envisage une mutation raciale des individus selon des théories qui reprennent en partie des concepts énoncés par Evola (avec qui, rappelons-le, il a eu un échange de lettres). En effet, nous lisons à la page 21 de Praktischer Idealismus :

"L'endogamie renforce le caractère, affaiblit l'esprit ; inversement, la consanguinité affaiblit le caractère en renforçant l'esprit. Lorsque la consanguinité et le métissage se rencontrent sous des auspices favorables, ils créent le type le plus élevé d'être humain, associant le caractère le plus fort à l'esprit le plus piquant (15)".

L'auteur va immédiatement plus loin : à la page suivante, il déclare littéralement que :

"L'homme du lointain avenir sera un métis... la race négro-eurasienne, semblable en apparence à celle de l'Égypte ancienne, remplacera la multiplicité des peuples par une multiplicité de personnalités (16)".

Le comte a en tête un Européen métis, génétiquement mélangé avec des peuples négroïdes, tels qu'il les définit. Tout cela, d'ailleurs, s'inscrit dans la tendance démographique du continent, caractérisée par une moyenne de reproduction très basse et par des vagues d'immigrants (rappelons que le terme "migrants" est un concept zoologique, avant d'être sociologique) en provenance du continent africain, mais aussi du Moyen-Orient et de l'Asie indo-musulmane. Alors, quelles seront les caractéristiques propres aux nouveaux Européens du futur ?

"Chez les métis, le sexe, le manque de caractère, l'absence de scrupules, la faiblesse de la volonté, l'instabilité, le manque de respect, l'infidélité sont combinés avec l'objectivité, la polyvalence et l'agilité mentale, l'absence de préjugés et la largeur des horizons (17)."

Même un enfant comprendrait que de telles caractéristiques ne conviennent pas vraiment à un citoyen modèle, et encore moins au citoyen vertueux pour lequel Platon a façonné ses dialogues et sur lequel Kalergi devrait revenir pour les étudier. Quelle que soit la manière dont on veut l'interpréter, le constat de ceux qui soutiennent que les éléments ci-dessus constituent l'identikit exemplaire d'un sujet idéal est certainement légitime : démuni d'identité, tant personnelle que collective, ainsi que de sentiment d'appartenance à sa communauté. Lorsque cette dernière fait défaut, comme le dit un passage bien connu de Leopardi (18), on ne se préoccupe pas de la terre que l'on habite ; il ne sert à rien de se battre, de coopérer, d'agir politiquement, quand on n'a rien de ce qui nous représente, de ce qui fait partie de nous-mêmes, à préserver. Quartiers, unités familiales, communautés villageoises, lieux, œuvres et sépultures de la mémoire foscolienne. Aristote a dit que "ceux qui ont accueilli des hommes d'autres races soit comme compagnons de colonisation, soit comme concitoyens, après la colonisation, la plupart sont devenus la proie de factions (19)".

Pour en revenir à Kalergi, la question de la race ne se limite pas au métis idéal. Il prône également la nécessité d'une direction néo-aristocratique par la race juive. De même, l'élite du nouveau monde naîtra d'une fusion qui retrace la métahistoire, un mélange d'asiatisme et d'européanisme juif ; une synthèse qui, comme nous le verrons, permettra le dépassement des deux sexes au profit d'un nouvel être androgyne. En effet, l'élitisme racial de Kalergi repose sur l'hypothèse selon laquelle l'Europe n'est rien d'autre qu'une christianisation de la base ethnoculturelle juive originelle, au point d'affirmer que "dans la mesure où l'Europe est chrétienne, elle est juive (20)". La supériorité des Juifs est justifiée par de prétendues qualités qui prédisposeraient le Juif à se distinguer des "citoyens moyens", à savoir :

"Le fait qu'ils soient des individus consanguins. La force de caractère alliée à l'acuité spirituelle prédestine le Juif à devenir, à travers ses principaux représentants, le chef de file de l'humanité urbaine, un faux ou vrai aristocrate de l'esprit, un protagoniste du capitalisme comme de la révolution (21)".

Ce n'est pas un hasard si le Juif est considéré comme un protagoniste du capitalisme et en même temps de la révolution (française et russe), dans la mesure où il est présent, historiquement, des deux côtés de la médaille. Le passage à cet égard est éclairant :

"L'état-major de ces deux partis se réunit dans la course des chefs spirituels européens: dans le judaïsme. Le capitalisme et le communisme sont tous deux rationalistes, mécanistes, abstraits et urbains (22)."

Kalergi est sans équivoque : cette aristocratie est ou sera l'apanage des Juifs :

"Les principaux émissaires de la noblesse cérébrale... du capitalisme, du journalisme, de la littérature, sont des Juifs. La supériorité de leur esprit les prédestine à devenir l'un des éléments les plus importants de la future noblesse. En regardant l'histoire du peuple juif, nous voyons clairement d'où vient sa suprématie dans la lutte pour le leadership de l'humanité.... Au lieu d'anéantir le judaïsme, l'Europe, contre sa volonté, par ce processus de sélection artificielle, l'a ennobli et élevé au rang de nation phare de l'avenir. [Le judaïsme] est le noyau autour duquel se rassemble une nouvelle noblesse d'esprit (23)."

Un suprémacisme talmudique qui ne serait toujours pas justifié s'il n'y avait pas de référence à l'histoire du peuple élu, qui a dû endurer une diaspora de mille ans, sous les persécutions des peuples du monde. Une sélection naturelle qui permettrait finalement aux élus de s'émanciper du reste de l'humanité. Une race renouvelée non seulement sur le plan de l'intelligence, mais aussi sur le plan génétique grâce à la préservation de la consanguinité, bien qu'elle soit aussi le "peuple au sang le plus mélangé (24)".

La dernière étape du parcours anthropologique kalergien concerne l'émancipation des femmes. À cet égard, Kalergi émet une énième vision prophétique : si auparavant les femmes détenaient un important pouvoir de contrôle sur les hommes, au point de pouvoir détenir une partie de la domination sur le monde, l'émancipation contemporaine a au contraire non seulement annulé ce pouvoir, mais provoquerait même une sorte de mutation anthropologique qui ferait d'elles des non-femmes. Il parle d'"hommes des deux sexes". Il avoue également que le pouvoir souhaite que la femme émancipée soit incluse dans le système capitaliste, afin que le marché du travail régimenté s'étende (25). Vérité d'ailleurs également avouée par Nick Rockefeller, selon qui les mouvements féministes ne serviraient à rien d'autre qu'à déraciner les femmes de leurs protections respectives immanentes au noyau familial pour ensuite les insérer sur le marché du travail et abaisser le coût salarial.

Il faut préciser que le ton sur lequel Kalergi s'exprime est loin d'être une complainte inquiète ; dans le sillage de la théorie technologique, il prône la fusion des sexes, qui est en fait une annulation de ceux-ci, en faveur du futur homme androgyne de Platon (26). Elle sera fonctionnelle pour l'efficacité technique future, dans la mesure où tous les problèmes et inconvénients découlant de la nature des deux sexes seront surmontés pour faire place aux gènes supérieurs, tous enfermés dans un seul être. Les politiques de transition sexuelle propagées aujourd'hui sur les réseaux unifiés, ainsi que la diabolisation pure et simple des figures familiales traditionnelles, s'expliquent donc non seulement par des calculs de rentabilité, qui existent évidemment, mais plutôt dans la mesure où il y a une vision de l'homme et du monde à l'ordre du jour des soi-disant décideurs. Kalergi fait certainement partie de certains de ces agendas.

LES RELATIONS POLITIQUES ET LE PROJET PANEUROPÉEN

Rappelons que la famille Coudenhove-Kalergi est issue d'une lignée de diplomates ; leur père Heinrich était un ami proche de T. Herzl, le fondateur du mouvement sioniste, et a toujours travaillé dans les relations internationales. Un héritage que Richard a perpétué avec aisance. Ses relations très étroites avec le chancelier jésuite autrichien Ignaz Seipel et avec Dollfuss lui ont permis d'être aux premières loges des affaires politiques viennoises. Comme nous l'avons déjà mentionné, le premier congrès de l'Union paneuropéenne a eu lieu dans la capitale autrichienne, et Seipel l'a présidé en tant que président de l'association. Il convient de noter que la relation avec Mussolini a été cruciale pour créer un barrage contre l'annexion allemande. Il s'agissait d'une carte diplomatique importante qui a brièvement permis la survie de Paneuropa, menacée depuis la première ascension d'Hitler.

Un autre membre influent et président honoraire de l'association était le ministre français des affaires étrangères Aristide Briand. C'est précisément le signataire du célèbre pacte Briand-Kellogg qui a été le premier acteur politique gouvernemental à agir pour mettre en œuvre les programmes kalergiens : il a prononcé un discours devant la Commission européenne de la Société des Nations, dans lequel l'hypothèse d'une union fédérale européenne était avancée. Cette proposition est reprise en détail dans le mémorandum déposé à la SdN le 1er mai 1930, au cours duquel Briand argumente en faveur du projet d'une organisation interne et subordonnée à la SdN.

Pour en revenir à Paneuropa, des dizaines de noms prestigieux sont passés par l'association, certains issus du monde de la culture et de la science. Une autre variable indépendante non négligeable unit les associés de Paneuropa: l'appartenance à au moins une loge maçonnique. Découvrons quelques-uns des membres les plus importants du mouvement de Kalergi, dont la liste est tirée du célèbre Grand Maître et spécialiste de la franc-maçonnerie Gioele Magaldi (27) :

Otto de Habsbourg, Haljmar Schacht, L.N. von Rotschild, Konrad Adenauer, Rainer Maria Rilke, Paul Valerý, Thomas Mann, Felix Warburg, Stefan Zweig, Edvard Beneš, F.S. Nitti, Carlo Sforza, Sigmund Freud, Albert Einstein, Alexandr Kerensky, Jean Monnet, J.M. Keynes, etc.

Après l'oubli dont elle a souffert pendant les années de la Seconde Guerre mondiale, l'idée fédérative a trouvé un nouvel élan grâce aux efforts de W. Churchill, qui a rencontré en 1946 le comte autrichien à son retour d'exil américain. Le 19 septembre, Churchill promeut l'idée des États-Unis d'Europe, reconnaissant entre autres la contribution de Kalergi. La mise en œuvre de la fédération devait se faire en neuf étapes (28) :

1) Confier la souveraineté aux nouveaux organes supranationaux

2) Création d'une cour fédérale européenne pour régler les différends entre les États

3) Formation d'une armée européenne

4) Union douanière

5) Partage équitable des possessions coloniales

6) Monnaie unique

7) Respect des différences culturelles

8) Protection des minorités ethniques

9) Coopération avec d'autres institutions supranationales, notamment le SdN

Un projet de statut, aujourd'hui partiellement réalisé (points 1,2,4,6) alors que pour le reste les Etats ont compensé l'absence d'une armée commune en adhérant au Pacte Atlantique- Pour le reste il est contradictoire de vouloir respecter les cultures et les minorités, à la lumière de l'idée kalergienne sur la future race métisse européenne. Sans parler du court-circuit mental que cela provoquerait chez les fanfarons pro-européens de la gauche libérale s'ils lisaient que leur véritable héros défendait l'idée d'une nouvelle conférence de Berlin pour le partage des colonies à la manière du jeu Risk.

Mais, comme nous l'avons déjà mentionné, les Américains n'ont pas tardé à arriver pour s'occuper de l'affaire. Kalergi lui-même revint de New York avec d'illustres amitiés maçonniques et envoya déjà en 1944 au président Truman un projet de "Constitution des États-Unis d'Europe (29)". Entre-temps, Kalergi a organisé le premier congrès de l'Union parlementaire européenne en 1947, dont sont issues les institutions actuelles de droit public européen, telles que le Conseil de l'Europe et le Parlement européen. L'année suivante, également par Kalergi, la Commission américaine pour une Europe unie (ACUE) voit le jour. Tout au long des années 1950 et 1960, elle a été le volant du projet européen, derrière lequel travaillaient des francs-maçons d'outre-mer tels que W.bJ. Donovan, considéré comme le père du renseignement américain, chef de l'Office of Strategic Services et précurseur de la CIA; W. Dulles, vice-président de l'ACUE et directeur de la CIA de 1953 à 1961 ; W. Smith, premier directeur de la CIA en 1950.

À la lumière des faits, l'intégration européenne n'était rien d'autre que l'hypostatisation des idées d'un petit groupe établi dans les années 1920. Grâce également au soutien d'hommes politiques tels que Churchill, Seipel, etc. et la contribution non moins importante des services secrets américains, tous gravitant autour du comte Kalergi. D'autres pères de la Communauté européenne, tels que Schuman, Monet, Retinger (ce dernier fondateur du Club Bilderberg) étaient ou sont passés inexorablement par cette école.

Ce n'est pas un hasard s'il existe le Prix Kalergi, décerné tous les deux ans à ceux qui se sont distingués par leur engagement pour la cause européenne. En 2020, il a été décerné à l'actuel président roumain Klaus Iohannis (30); les autres lauréats distingués sont: l'ancien président de la Commission européenne Juncker (2014), van Rompuy (2012), A. Merkel (2010), Reagan (1992), Pertini (1984).

En conclusion, il est facile de répondre à la question de savoir pourquoi le silence est maintenu à l'égard de l'un des pères, sinon le père incontesté, de l'Europe (dés)unie. Il n'est pas facile de digérer le fait que les racines philosophiques de l'actuelle Union européenne jaillissent de la pensée d'un comte austro-japonais qui avait des relations avec Mussolini, avait des idées racistes eugénistes, néo-oligarchiques et anti-démocratiques. De plus, pour sceller l'esprit qui a animé cette histoire, le Frère Maçon Jean Monnet a également déclaré en 1952 :

"Les nations européennes devraient être guidées vers un super-État sans que leurs populations aient conscience de ce qui se passe. Cela peut être réalisé par des étapes successives dont chacune est cachée sous une apparence et un objectif purement économiques (31)".

Par Matteo Parigi pour ComeDonChisciotte.org

Matteo Parigi. Journaliste indépendant, étudiant en sciences politiques, spécialiste de la philosophie, de la politique, de l'économie et de la culture.

15/11/2022

NOTES:

1 KALERGI : la disparition prochaine des Européens, éditions Nexus, 2017

2 Ibid p.25

3 Ibid p.28

4 Ibid p.29

5 Ibid p.31

6 Ibid p.30

7 Ibid p.29

8 Ibidem

9 Ibid p.37

10 Ibidem

11 Ibid p.55

12 Ibidem

13 Ibid p.56

14 Ibid p.61

15 Ibid p.40

16 Ibidem

17 Ibidem

18 "Quand le monde entier était citoyen romain, Rome n'avait plus de citoyens ; et quand le citoyen romain était le même que

cosmopolite, ni Rome ni le monde n'étaient aimés : l'amour de Rome devenait cosmopolite, devenait indifférent, inactif

et nulle. Et quand Rome fut la même que le monde, elle ne fut plus la patrie de personne, et les citoyens romains, ayant pour patrie la

monde, n'avait pas de patrie, et le montrait par le fait" - Zibaldone dei pensieri, pg.485, Mondadori, 2004

19 Politique, livre V, 1, Laterza 2007

20 op. cit. KALERGI, p.43

21 Ibid p.44

22 Ibid 45

23 Ibid p.48

24 Ibidem

25 Ibid p.64

26 Platon, Symposium, p.502, op.cit. in Platon tutti gli scritti, édité par G. Reale, Bompiani, 2000

27 Freemasons société à responsabilité limitée. La scoperta delle Ur-Lodges, Chiarelettere, 2019

28 Ibid p.132

29 F. Amodeo, La Matrix europea, p.137, EdizioniSì, 2014

[30  presidency.ro]

31 Ibid p.147

BIBLIOGRAPHIE

- M. Simonetti, KALERGI la prossima scomparsa degli europei, Nexus edizioni, 2017

- F. Amodeo, La Matrice européenne, EdizioniSì, 2014

- G. Magaldi, Les sociétés à responsabilité limitée franc-maçonnes. La scoperta delle Ur-lodges, Chiarelettere, 2014

- E. Di Nolfo, Storia delle relazioni internazionali, volume I : Dalla pace di Versailles alla conferenza di Postdam 1919-1945, Laterza, 2015

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