05/03/2021 tlaxcala-int.org  10 min #186429

Risque de contagion Covid dans les écoles italiennes ? Envoyons les Forces armées...

 Antonio Mazzeo

Inutile de se raconter des histoires. État et Régions n'ont pas l'intention d'investir un euro pour mettre à la disposition des établissements scolaires des médecins et des infirmiers pour contrôler les risques possibles de contagion au Covid-19 parmi les élèves et les enseignants et permettre des activités pédagogiques présentielles régulières et sûres.

Confinement militarisé, El Alto, Bolivie, mars 2020

Que faire alors ? La proposition la plus la plus appréciée soumise à l'exécutif Draghi est celle d'instituer des task forces de médecins militaires pour intervention urgente en cas de foyers dans les écoles de tout ordre et degré. Ainsi, après les contrôles de l'armée à l'entrée des établissements pour empêcher les rassemblements de parents et élèves, voilà encore une mesure qui favorise le processus de militarisation de la santé et du système éducatif-scolaire.

Auteur de la proposition d'employer dans les écoles les militaires à étoiles : le docteur Agostino Miozzo, coordinateur depuis un an du Comité Technique Scientifique (CTS) de la Présidence du Conseil. Sollicité par le nouveau ministre de l'Instruction, l'économiste Patrizio Bianchi, Miozzo a expliqué que l'aide la plus efficace de la Protection Civile pour ne pas fermer les écoles, cela pourrait être les « unités mobiles » avec les forces armées, capables d'offrir toujours une « forte spécialisation médicale ». Comme l'annonçaient le quotidien la Repubblica et Oggiscuola.com, le coordinateur du CTS devait expliquer au ministre Bianchi les points clés du plan stratégique à lancer avant qu'éclate la troisième vague de la pandémie. « Avec les nouveaux variants, il y a le risque raisonnable que s'ouvre un nouveau cycle de fermetures des établissements scolaires », a déclaré Agostino Miozzo. Et étant donné l'impossibilité (lire : le manque de volonté) d'employer rapidement les médecins des ASL [Bureaux Sanitaires Locaux] pour les contrôles anti-Covid, voilà qu'il s'avère « plus efficace de mettre en place des unités mobiles sanitaires d'intervention rapide de la Protection Civile et de l'Armée, capables d'intervenir dans la matinée même dans le bâtiment scolaire où est signalé un cluster de coronavirus, pour l'identifier, le circonscrire et envoyer immédiatement les tests nécessaires pour donner des certitudes aux élèves et aux enseignants, au lieu de fermer la structure scolaire tout entière ». En somme, une task force pour tester, distancier et contenir, reproduisant dans les écoles les stratégies CIMIC (c'est-à-dire civiles-militaires) adoptées sur toutes les scènes de conflit armé, avec une Protection Civile toujours moins civile et plus militaire, autoritaire, hiérarchisée et centralisée.

Les "Tigres", forces spéciales, Honduras

L'idée de disposer de militaires à étoiles pour effectuer des tests rapides en cas de foyers dans les écoles n'est pas neuve. Dans une interview accordée à l'agence Dire, le 7 novembre 2020, Agostino Miozzo, toujours, avait déclaré que « les écoles constituent un risque calculé et contrôlé », et qu'il fallait absolument en éviter la fermeture, « dans un contexte où il n'y a pas de véritable confinement ». Pendant les heures de cours, élèves et professeurs sont obligés de respecter certains comportements », avait ajouté le coordinateur du Comité Technique Scientifique. « Les risques sont indubitablement plus élevés à l'extérieur, avant et après l'école, parce que c'est en dehors de l'école que les communications sont superflues, superficielles et viciées par les réseaux sociaux. Pour permettre à l'école de fonctionner, il faut faire plus de tests, de vérification et de contrôle. Il convient d'activer un système de surveillance à l'intérieur pour vérifier et bloquer les cas, les clusters et toutes les situations qui pourraient se faire jour ». A cette date, Miozzo ne s'était pas attardé sur les modalités des contrôles à effectuer à l'intérieur des établissements scolaires, mais avait apporté des idées sur la façon d'accroître la réalisation de tests parmi la population : « Aujourd'hui, nous arrivons à en faire plus de 200 000 par jour et nous avons une potentialité encore supérieure. Le problème est de caractère organisationnel : il est inacceptable de voir des gens faire la queue sur les points de dépistage pour se faire tester. Il fallait prévoir plus de points pour effectuer les tests avec l'aide de groupes de l'Armée, de la Défense, de médecins et infirmiers des organisations de volontariat ou de la Croix Rouge ».

En fait, les forces armées concouraient au programme de tests de masse depuis le mois d'octobre à travers l'Opération Igea, grâce aux Drive Through de la Défense installés sur tout le territoire national. Résultats chiffrés obtenus ? Franchement décevants, sinon insignifiants. Du 23 octobre 2020 au 18 février 2021, les 147 Drive Through Defense installés (sur les 200 initialement prévus), ont effectué environ 1 500 000 tests, moléculaires ou rapides. C'est-à-dire à peine plus de 1100 tests par jour (« sur une capacité maximum qu'on peut évaluer à 30 000 tests »), en face des 280 000 tests assurés quotidiennement par les services sanitaires nationaux.

Piazza Duomo, Milan, février 2020

Pour Agostino Miozzo, l'armée est omnipotente et omnivalente. Elle peut surveiller rues, places, ports, aéroports et frontières ; imposer le couvre-feu ; administrer tests et vaccins ; bio-contenir enseignants et élèves positifs. Et même réguler l'afflux des familles dans les restaurants et les pizzerias. « Nous devons assurer un équilibre entre les nécessités de certains secteurs et les risques liés à la pandémie, comme dans le cas de la réouverture des restaurants le soir, qui ne serait possible que si nous étions en état de garantir un mécanisme de contrôle rigoureux, avec aussi la contribution de l'Armée », a déclaré Miozzo à la Repubblica, il y a quelques semaines. « Je me suis attiré le courroux de nombreux administrateurs locaux qui se sont vu imputer la responsabilité de l'absence de contrôle pour les rassemblements. Mais c'est ce que je demanderais au gouvernement : un contrôle efficace du territoire au moins pour les deux ou trois mois qui viennent, avec aussi la contribution de l'Armée, des forces de l'ordre, de la police locale, qui font déjà un travail extraordinaire. Il suffit de voir un uniforme en action dans les lieux à risque pour décourager des comportements irresponsables ».

La personne et le travail d'Agostino Miozzo sont particulièrement appréciés par les forces armées. Le 13 mars 2019, le Commandement du Génie de l'Armée l'a voulu comme rapporteur lors de la journée d'étude sur Risk management et sauvegarde du territoire, à laquelle assistaient aussi le Commandant des Forces Opérationnelles Terrestres de Soutien, le général Giuseppe Nicola Tota, et le chef du Corps National des Soldats du Feu, Fabio Dattilo. « Les autorités qui sont intervenues lors des travaux ont souligné l'importance d'une synergie entre les diverses articulations de l'appareil de secours en cas d'urgence nationale, se référant tout spécialement aux entraînements conjoints et à la nécessité de standardiser les procédures d'intervention dans le but d'accroître l'interopérabilité et de garantir la meilleure efficacité des interventions », rapporte le communiqué de presse de l'État Major de l'Armée italien. « Les divers sujets traités ont souligné, encore une fois, l'importance de la capacité dual-use des détachements du Génie qui, outre leur emploi opérationnel dans les missions internationales, sont en capacité d'intervenir dans des cas de catastrophes et d'intérêt public, à tout moment, sur tout le territoire italien, en soutien de la Communauté nationale ».

Fin janvier 2020, Agostino Miozzo a aussi été rapporteur lors du congrès sur La protection civile et l'interaction avec les Forces Armées, organisé par l'Ecole d'Application de l'Armée de Turin. « Le Général Salvatori Cuoci, Commandant de l'Institut de Formation, a montré qu'il est nécessaire de travailler constamment à la diffusion de la culture de protection civile dans le but de rendre la synergie entre Armée et Protection Civile de plus en plus efficace pour la sauvegarde et le bien-être du pays », souligne l'État Major. « Le rapporteur Agostino Miozzo est le directeur du Bureau Promotion et Intégration du Service Civil du Service de la Protection Civile, structure qui opère en étroite coordination avec toutes les Forces Armées et les organismes nationaux et qui intervient en cas d'urgence. Dans son intervention, le docteur Miozzo a fait remarquer que les principales interventions de protection civile lors des catastrophes (tremblements de terre, inondations, incendies et éboulements) qui ont frappé l'Italie dans les vingt dernières années ont vu la présence constante et déterminante de l'Armée aussi bien dans les phases initiales de secours à la population civile que dans le processus ultérieur de normalisation et d'assistance ».

Avant d'être nommé coordinateur du Comité Technique Scientifique, Agostino Miozzo a exercé diverses charges pour le compte du gouvernement. Du 9 janvier au 25 juillet 2018, il a participé à la « recherche sur les implications des processus migratoires et de protection civile européens dans l'assistance aux migrants », organisée par la Protection Civile, tandis qu'au cours des années 2015-16, il avait été nommé par le Département des Politiques Anti-drogue de la Présidence du Conseil « pour l'élaboration du Rapport annuel en matière de politique anti-drogue et l'organisation de congrès internationaux sur la question de la consommation de stupéfiants, en particulier dans les pays de transit des routes de la drogue et dans les pays impliqués dans les printemps arabes ».

De 2002 à 2010, Miozzo a été directeur général du Bureau volontariat et relations internationales du Département de la Protection Civile, alors dirigé par Guido Bertolaso. « J'ai représenté en cette qualité le gouvernement italien auprès de l'Union Européenne, des agences des Nations Unies, de la Banque Mondiale et d'autres importantes organisations internationales comme l'OTAN et l'OCDE », écrit Miozzo dans son CV. « J'ai aussi été responsable des relations internationales pour l'organisation du Sommet OTAN/Russie lors de la conférence intergouvernementale qui s'est tenue à Rome en 2002 et au Sommet du G8 en 2009 ».

Miozzo inaugure le Centre national de gestion des crises du Myanmar, financé par l'UE, en 2014. Un outil très utile pour les militaires, après le coup d'État du 1er février 2021

Agostino Miozzo a aussi exercé de 2010 à 2014 le rôle de directeur général de la Coordination Opérationnelle des Ripostes en cas de crise de l'External Action Service de l'Union Européenne, « en collaboration avec les structures militaires, les services de renseignement de l'UE, des Etats membres, du Parlement Européen et de la Commission Européenne ». On trouve aussi dans son CV la charge de « responsable des relations internationales et directeur de cours de formation pour les volontaires » de la prestigieuse organisation non gouvernementale Emergency Italia (2017-18). « Au cours de cette période, j'ai suivi des projets dans de nombreux pays qui vivent dans des situations de conflit, crises sociales, migratoires et humanitaires, en particulier au Soudan, en République Centrafricaine, Kurdistan irakien, Libye », note Miozzo. Les raisons de sa brève parenthèse « humanitaire » ont été expliquées dans une interview accordée à Libero.Qoutidiano.it, le 23 janvier 2017, une vingtaine de jours après la signature du contrat avec cette ONG. « Quand je suis rentré en Italie en 2015, après des dizaines d'expériences dans le domaine des urgences, le gouvernement a décidé que je devais m'occuper de drogue, dans un bureau doté de moyens réduits et sans possibilité d'impact sur la question des toxico-dépendances », racontait Miozzo. « Après un an et demi de travail peu satisfaisant, j'ai accepté l'invitation de Gino Strada à entrer à Emergency. Je m'occuperai de la campagne pour l'abolition de la guerre, objectif auquel travaille Emergency et dans lequel je crois beaucoup. De la chute du mur de Berlin à aujourd'hui, j'ai vécu personnellement toutes les guerres dites humanitaires, faites pour exporter nos modèles sociaux et de démocratie, et je me suis rendu compte que toutes les guerres que nous avons livrées, sans aucune exception, ont été des échecs qui ont aggravé et jamais résolu les graves problèmes qui avaient généré les conflits ».

Mais la façon dont on interprète les activités de lutte contre le Covid-19 en déclarant la guerre au virus, en réclamant le déploiement et le combat tous azimuts des forces armées et en utilisant médiatiquement les récits et les langages bellico-militaires, est-elle donc si différente des « guerres humanitaires qui ont échoué ? »

Mauro Biani

Courtesy of  Tlaxcala
Source:  stampalibera.it
Publication date of original article: 01/03/2021

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