Lettre au Président de la République à la suite de la lettre envoyée aux Français
Monsieur le Président de la République,
Vous avez envoyé à tous les Français une lettre sur le « débat national » que vous avez organisé. A cette lettre, nous voulons répondre. Certains répondrons en actes, bien sûr, qu'il s'agisse de manifestations, et d'autres par écrit.
Monsieur le Président, vous avez, certes, écouté la révolte qui gronde. Si tel n'avait pas été le cas d'ailleurs, jamais vous n'auriez écrit votre lettre. Mais, clairement, vous ne l'avez pas entendue. Nous en voulons preuve le choix des thèmes que vous proposez dans ce « débat », choix qui écarte soigneusement les « sujets qui fâchent ». Vous voulez que nous débattions des impôts, de nos dépenses et de l'action publique, de l'organisation de l'État et des collectivités publiques, de la transition écologique et enfin de la démocratie et de la citoyenneté. Mais, vous avez soigneusement omis les thèmes du pouvoir d'achat, de l'inégalité des richesses, tout comme vous avez omis la construction européenne, que vous mentionnez par ailleurs. Vous affirmez dans votre lettre « Je n'ai pas oublié que j'ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle ». Vous feignez d'ignorer, que ce soit à dessein ou non, que votre élection ne s'est nullement faite sur un « projet ». Il est patent que vous n'avez été élu que parce que l'autre candidate, Mme Marine le Pen, était rejetée. Cette ambiguïté était manifeste dans votre élection. Votre tort fut de ne pas la reconnaître. Jamais les Français ne vous ont donné un mandat pour mener les réformes auxquelles vous vous êtes livré. La révolte actuelle est le produit direct, et logique, de cette situation.
Monsieur le Président, votre action, depuis maintenant près de deux ans, a été une suite d'attaques contre les plus modestes, contre les travailleurs. Attaques donc contre les services publics qui sont d'autant plus indispensables que le revenu est faible mais aussi contre le droit du travail. Attaques encore dont ont résulté une suite de renforcements des inégalités, ce que l'INSEE reconnaît. Enfin, par vos déclarations, vous avez fait subir une suite d'humiliation aux humbles et aux plus pauvres, vous avez donné des démonstrations constantes de votre mépris. Les formes, parfois violentes, de la révolte actuelle en découlent. Quand une situation devient insupportable, on ne la supporte plus. Craignez la colère du peuple, Monsieur le Président. Ce qu'elle exprime dans le refus de votre personne, dans la demande de votre départ qui monte dans les « cahiers de doléances », ce n'est pas simplement le refus de votre politique, c'est le refus des humiliations.
Votre politique n'est d'ailleurs que la traduction, dans le contexte particulier de la France, des recommandations de l'Union européenne. Quand le mot souveraineté sort de votre bouche, ce n'est que pour parler de l'Union européenne et jamais de la France. En voulant substituer un pouvoir technocratique à la souveraineté du peuple, vous tournez le dos aux fondements mêmes de notre République que vous prétendez par ailleurs défendre. Comme vos prédécesseurs, vous pensez que le tour de passe-passe du Traité de Lisbonne, annulant le référendum de 2005, constitue un acquis. C'est une dangereuse présomption. Craignez de finir comme ont fini tous ceux qui ont ignoré ou méprisé la souveraineté du peuple de France.
Monsieur le Président, vous entendez poursuivre votre néfaste chemin. Après vous être attaqué au droit du travail, à la SNCF, ce sont à des attaques contre le régime des retraites et la sécurité sociale que vos experts se préparent. Ces attaques, si elles étaient conduites à leur terme, aggraveraient la situation des plus modestes, empireraient la pauvreté qui monte dans notre pays alors même que jamais ce dernier n'a été aussi riche. S'il vous restait une once de sens commun, un atome d'honnêteté, ces questions auraient dû faire partie du « débat national ». Devant l'ampleur du mouvement que la France connaît, vous auriez dû reconnaître qu'une telle remise en cause de vos convictions était inévitable. Las, il n'en sera évidemment rien.
Nous constatons tous que le problème ne s'arrête pas à votre politique ; c'est votre comportement et votre personne qui sont aujourd'hui la cause des troubles violents que nous connaissons. Et, cette violence, elle d'abord et avant tout, subie par le peuple, qui ne compte plus aujourd'hui ses blessés, ses estropiés, et demain peut-être ses morts. De cela, il vous faudra un jour répondre.
Monsieur le Président, oui, votre comportement pose problème. Nous l'avons vu avec vos déclarations. Ce mélange d'arrogance et de suffisance, de mépris teinté de condescendance, est pour beaucoup dans les événements dramatiques que nous avons connus depuis le mois de novembre. Nous le voyons encore avec le texte de votre lettre. Elle mélange la démagogie avec une volonté évidente de confusion. Vous multipliez les questions secondaires afin de mieux faire passer des questions primordiales dont certaines ne sont même pas formulées. Quel dédain coule de cette lettre où les mots de « pouvoir d'achat » ne figurent pas alors qu'ils sont pourtant la cause première de la révolte populaire. Les études que vous avez faites ne vous donneront jamais le droit d'insulter les gens. Plus profondément, vous affectez de croire que l'élection vous a donné en propriété un pouvoir dont, à dire le vrai, vous n'êtes que le délégataire. Vous êtes aujourd'hui devant un choix qui est clair : revenir à la raison ou entraîner le pays avec vous dans le chaos.
Monsieur le Président, nous vous écrivons une lettre, que vous lirez peut-être, si vous avez le temps. Ainsi commence une célèbre chanson de Boris Vian, entrée dans la culture populaire. Mais, ce n'est pas nous qui entendons déserter notre pays. Ce sont vos amis et vous qui avez fait sécession avec le peuple de France. Cette sécession est potentiellement grosse de malheurs pour tous. N'en doutez pas, l'histoire est tragique. Elle l'est tout particulièrement pour les dirigeants qui tournent le dos avec mépris et constance au peuple.
Assurément, vous avez, mais pour combien de temps encore, la force des armes. Souvenez vous pourtant de cette phrase de Victor Hugo : LA DERNIÈRE RAISON DES ROIS, LE BOULET. LA DERNIÈRE RAISON DES PEUPLES, LE PAVÉ.
Signataires :
Bruno Belllegarde
Leila Charfadi
Denis Collin
Jacques Cotta
Michèle Dessenne
Danièle Goussot
Eric Julliot
Marie Annick Le Bars
Marc Lebas,
Bertrand Renouvin,
Claude Rochet
Jacques Sapir