27/09/2023 dedefensa.org  5min #234493

 Alexandre Douguine: « Rompre avec la civilisation de la mort »

Russie, radicalisation extrême

• Constat et nullement jugement ou opinion : de plus en plus d'esprits influents en Russie se radicalise. • Ils jettent l'anathème sur l'Occident et souhaitent sa destruction. • Avec Alexandre Douguine.

 Encore du Douguine dira-t-on ; s ans doute, répondra-t-on, parce que c'est le penseur qui, dans la sphère intellectuelle, apparaît à la fois comme le plus intéressant et le plus aventureux, et par conséquent d'une réelle capacité d'influence. Parce qu'il tient une position patriotique russe absolument implacable posée sur une culture vaste et diverse, Douguine dispose d'une logique où il peut développer des jugements radicaux qui manquent aux autres, qui correspondent à cette époque du  tourbillon crisique de la  GrandeCrise et en rendent compte d'une façon satisfaisante. On aime ou pas Douguine, on partage ou non ses opinions mais on ne peut nier la force logique de sa position, et d'une logique très actuelle avec sa charge nécessaire de métaphysique.

Cette façon radicale fait que Douguine accepte  le jugement ci-dessous de l'ancien chef du renseignement Leonid Chebarchine, en 1992, pour le retourner complètement à l'avantage de la Russie, éventuellement d'une façon plus réaliste puisque nous sommes dans les actes essentiels à poser : "La Russie ne veut qu'une chose de l'Occident : que l'Occident n'existe plus [pour elle]" :

« Aujourd'hui encore, la Russie est le principal obstacle sur le chemin de la domination mondiale par l'élite mondiale. Leonid Chebarchine, ancien chef du service de renseignement extérieur soviétique, a noté un jour [après la chute de l'URSS] que "l'Occident ne veut qu'une chose de la Russie : que la Russie n'existe plus". L'Occident veut que la Russie cesse de faire partie de la géopolitique, il ne peut accepter son existence psychologiquement et historiquement et il peut infliger des dommages en arrachant l'Ukraine à la Russie, en divisant en fait une seule et même nation »

Nous mettons ce texte de Douguine en parallèle avec  celui d'Orlov, non par esprit de compétition, non par volonté de comparaison, mais pour faire apprécier combien effectivement les pensées s'exaspèrent en Russie, sur une voie similaire qui ne refuse plus l'affrontement direct et brutal avec l'Occident, qui le souhaite même. Orlov est un esprit complètement différent de celui de Douguine. A sa façon, il veut pourtant la même chose : " cancellation" pour "cancellation", eh bien cancellons l'Occident et basta ! La même chose pourrait être suggérée, sans surprise désormais, pour définir  l'opinion de Medvedev... Tout en notant qu'il n'y a, chez ces trois personnes, aucun type classique de tête brûlée, de militaire ou d'extrémiste au front bas et ne rêvant que plaies et bosses.

Ce mouvement intellectuel n'est absolument pas expansionniste ni impérialiste, il est existentiel. Cette hostilité à l'encontre de l'Occident s'accompagne d'une critique absolument radicale (surtout chez Douguine) de la civilisation de l'Occident, parce que cette civilisation est perçue comme extrêmement invasive jusqu'à la contagion. La comparaison est souvent faite, effectivement, avec une maladie contagieuse, une peste ou une lèpre, avec comme effet la mort de la Russie (« Une civilisation de mort »).

Ces opinions ont toutes les possibilités de s'étendre en Russie, si elles ne le sont déjà, en raison des évènements. Encore une fois, elles ont la vertu amère de correspondre à la puissance de la GrandeCrise et aux exigences que cet évènement impose au jugement. C'est-à-dire que, sans juger de la justesse de l'un ou de l'autre, et tenant compte de l'absence de capacité d'évolution sérieuse de l'Occident (par manque de personnages capables de telles initiatives), ces opinions extrêmes et extravagantes selon un jugement qui se voudrait raisonnable sont en fait en train d'évoluer vers la position d'être la norme en Russie tandis que le "jugement raisonnable" l'est de moins en moins par rapport à une perception réaliste de la situation.

Le point certainement le plus remarquable depuis le début de l''Opération Militaire Spéciale', c'est la façon dont cet événement de la guerre en Ukraine s'est chargée de plus en plus de divers aspects de la GrandeCrise. Il est également remarquable que la crise intérieure US (la présidentielle de 2024) évolue de plus en plus en incluant comme désormais une de ses dimensions capitales, peut-être comme un des arguments les plus importants,  l'aide militaire à l'Ukraine, - c'est-à-dire la crise ukrainienne, - ce qui implique un changement radical : avant, les crises extérieures étaient artificiellement provoquées pour faire passer la pilule de la situation intérieure ; aujourd'hui, c'est dans une crise extérieure que peut s'exprimer la crise intérieure... Une telle situation était complètement impensable dans la première année du conflit qui n'intéressait en rien le monde politique américaniste, ni, encore moins, n'inspirait l'opposition populiste de gauche et de droite pour en faire un cheval de bataille.

Retenons avec force, pour éviter le plaisir narcissique de discours en forme d'ode à notre propre vertu, que ces diverses positions ne sont pas soumises à notre jugement moral. Elles constituent autant de fait qu'il faudra bien un jour prendre en compte.

Le texte ci-dessous es originellement sur le site ' geopolitika.com' et en traduction sur ' euro-synergies.hautetfort.com'.

 dedefensa.org