Parmi les salariés d'ONG écologistes, Reporterre a aisément trouvé des travailleurs mobilisés. « J'ai fait toutes les journées publiques de manifestations depuis le début du mouvement », témoigne Alma Dufour. Elle fait partie de la grosse dizaine de salariés des Amis de la Terre France. « On a presque tous fait au moins une journée de grève », dit-elle. Elle participe aussi à l'organisation d'un « cortège écolo » lors des grosses journées de manifestation, a mené des actions pour contribuer à remplir les caisses de grève et a répondu à l'appel de syndicalistes CGT de l'Essonne qui ont bloqué un entrepôt Amazon.
« On défend une vision très sociale de la transition écologique »
Un engagement fort, cohérent avec la position de l'association pour laquelle elle travaille. Les Amis de la Terre France ont appelé à participer au mouvement contre la réforme. « On défend une vision très sociale de la transition écologique », explique Alma Dufour. « Tout est lié. Par exemple, la réforme favorise la retraite par capitalisation, cela veut dire alimenter des fonds de pension qui alimentent des entreprises comme reporterre.net. Aujourd'hui, la vision économique [dominante] est de produire plus pour donner du travail aux gens. Nous, à l'inverse, sommes favorables à produire selon ce que permettent les ressources et selon les besoins des gens, et ensuite adapter le travail en fonction. » Autant de liens entre réforme des retraites et enjeux écologiques que Reporterre a également explorés.
Adeline Favrel, déléguée du personnel de France nature environnement (FNE, la plus grosse fédération d'associations environnementales en France), fait les comptes parmi ses collègues. « On est monté jusqu'à 12 personnes mobilisées sur 45 salariés », évalue-t-elle. Certains posent des RTT pour aller manifester - et peuvent tout de même être comptés dans les grévistes. « J'estime que cette réforme prétend faire de l'égalité en nivelant tout le monde par le bas. Et puis, je travaille dans l'associatif, j'ai fait le choix d'avoir un salaire moins élevé que dans une entreprise pour défendre des valeurs écologiques mais aussi sociales. » Son collègue Jérôme Graefe, juriste, a une autre raison pour aller battre le pavé : « Je suis aussi avocat, la réforme ferait basculer notre régime autonome dans le régime général, et entraînerait un doublement des cotisations. C'est la mort programmée des petits cabinets et cela risque de réduire l'accès à la justice. » Les deux parlent en leur nom personnel, précisent-ils, car FNE n'a pas officiellement pris position sur la réforme des retraites. « Mais cela reste facile de se mobiliser car nous sommes plusieurs à en avoir envie, on n'a pas besoin de le faire en catimini », précise Adeline Favrel.
« Tous les collègues vont prendre cette réforme des retraites de plein fouet »
D'autres structures - petites en salariés mais grandes en renom dans le monde de l'écologie - enregistrent aussi des grévistes et des manifestants. Ainsi, à Nature et progrès, association pionnière de la bio, une bonne partie de l'équipe est venue renforcer le cortège de la manifestation d'Alès, dans le Gard. Au réseau Sortir du nucléaire, Anne-Lise Devaux nous rapporte deux grévistes le 9 janvier, et cinq le 5 décembre dernier, sur treize salariés. « Les membres du conseil d'administration soutiennent largement le mouvement et ne voient aucun inconvénient à ce que les salariés soient en grève. » À la Criirad, la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité, Julien Syren et un collègue ont fait grève et manifesté « à chaque journée de mobilisation nationale », indique-t-il. « Dans l'associatif, certains ne font pas grève car ils considèrent que leur travail de tous les jours est déjà un militantisme, et qu'ils ne vont pas bloquer l'économie s'ils font grève. Moi je pense que pour qu'une action ait du poids, il faut être le plus nombreux possible. » Il est syndiqué chez Asso, tout comme Tanguy Martin, qui travaille pour Terres de liens dans le Maine-et-Loire. « On est dans un secteur très précarisé, très féminisé, avec des carrières à temps partiel. Tous les collègues vont prendre cette réforme des retraites de plein fouet. C'est précieux de montrer qu'il n'y a pas que les cheminots dans le mouvement. »
Le syndicat Asso - affilié à l'Union syndicale Solidaires - qui regroupe des salariés de l'associatif, rapporte une mobilisation inédite du secteur, pourtant très éclaté et donc difficile à toucher pour les syndicats. « Quand on a commencé à parler de la réforme des retraites, on nous répondait que de toutes façons on n'en n'aurait pas », raconte Virginie Duval, membre du conseil syndical. « Puis de plus en plus de gens nous ont demandé comment être comptabilisés s'ils faisaient grève. » Le 5 décembre, à partir des informations recueillies auprès de 150 associations, Asso a enregistré 20 % de grévistes, et même 58 % chez les associations de moins de onze salariés. Elle n'a pas remarqué de différence entre les associations environnementales et les autres, en revanche, « les gens sont bien plus mobilisés dans les petites associations. Peut-être parce que les conditions de travail sont meilleures dans les grosses ONG. » Une exception, Greenpeace a connu un taux de grévistes exceptionnel : « Le 5 décembre, ils étaient un tiers de grévistes, mais cela ne s'est pas renouvelé. » Les fois suivantes ils étaient entre 10 et 20.
« Les choix politiques du gouvernement vont toujours dans le sens d'une politique néolibérale qui abîme la nature »
Et côté employeurs ? L'association basque Bizi a sans doute été la première association écologiste à appeler à se mobiliser contre la réforme des retraites, dans un texte diffusé sur Reporterre, et repris par son association sœur au niveau national Alternatiba, ou encore les Amis de la Terre France. Le groupe Alternatiba du Rhône (métropole de Lyon) est particulièrement actif lors des manifestations contre la réforme. « On organise des cortèges climat avec Greenpeace et Les jeunes pour le climat », dit Maxime Forest, un de ses membres. « On a aussi fait une conférence avec deux syndicalistes CGT qui sont venus nous expliquer la réforme et le droit de grève. Parmi nos membres, il y a beaucoup de jeunes de 25 à 35 ans qui bossent dans des grosses boîtes. Grâce à cela, certains ont fait grève pour la première fois de leur vie ! » Des actions dans la continuité de celles entamées depuis le mouvement des Gilets jaunes. « Le 8 décembre 2018, on manifestait déjà ensemble, syndicalistes, écologistes et Gilets jaunes unis avec une banderole "fin du monde fin du mois même combat" », rappelle-t-il.
L'engagement de Greenpeace est moins visible. Pour l'instant, la recherche du mot clé « retraites » sur le site internet de l'emblématique organisation écologiste ne donne que des textes sur... le retraitement des déchets nucléaires. Le directeur Jean-François Julliard n'hésite cependant pas à répondre à Reporterre sur le sujet. « On n'a pas d'analyse technique de la réforme des retraites, indique-t-il. En revanche, on a acté dès les premières grèves en décembre qu'on y participait. On a des salariés ou des militants qui viennent dans les manifestations au nom de Greenpeace. Les choix politiques faits par ce gouvernement vont toujours dans le sens d'une politique néolibérale qui abîme la nature. Et plus on va travailler longtemps, plus on va consommer, produire, et donc avoir un effet néfaste pour elle. » Il place ce soutien dans un cadre plus large de rapprochement entre Greenpeace et les syndicats. Des discussions avec la CGT ont été entamées au reporterre.net fin août. Le mouvement des Gilets jaunes a signé le début d'une prise de conscience : « On est en train de retravailler toutes nos propositions en y intégrant l'impact social », assure le directeur.
Certaines grosses associations, comme France nature environnement, sont muettes sur la réforme des retraites
D'autres organisations restent en revanche muettes sur la réforme des retraites. La Fondation Nicolas Hulot ou France nature environnement (FNE), par exemple, avouent ne pas s'être (encore ?) penchés sur le sujet. Ces associations ont l'habitude de se concentrer sur des sujets purement environnementaux. « C'est une question d'histoire », explique Jean-David Abel. Le vice-président de FNE précise qu'il parle en son nom propre. « Les Amis de la Terre se sont bâtis dès le départ comme anti-capitalistes. FNE, au contraire, est la somme d'une multitude d'associations locales et politiser le discours peut être perçu comme entrer dans le champ politique partisan. » La question sociale fait peu à peu son chemin au sein de l'association : « FNE a pris des positionnements politiques forts contre le libéralisme ou sur le commerce international sans être pour autant proche de tel ou tel parti. »
Pour autant, ce contexte de plus en plus favorable à la mobilisation ne lève pas tous les freins pour les salariés : « La difficulté dans une petite structure comme la nôtre c'est que quand on fait grève, notre travail, on devra le faire après. Quand un cheminot s'arrête, le train ne roule pas. Lorsqu'il reprend, il fait rouler le train d'après. Nous, il faudra toujours qu'on boucle notre dossier, même si c'est un jour plus tard. Et on aura perdu une journée de salaire », note Julien Syren.
« Un employeur peut dans son discours inviter à soutenir ce mouvement. Mais s'il ne change rien à l'organisation du travail quotidienne, on se retrouve dans la même situation que n'importe quelle usine ou entreprise capitaliste : seul le travailleur motivé fera grève », souligne Virginie Duval du syndicat Asso. Pourtant, la convergence des luttes reste un horizon commun. Jean-François Julliard est le premier à le souligner : « Être unis pourrait permettre l'emporter. Je pense que le gouvernement a très peur de cela. »