25/05/2023 basta.media  6 min #228967

Sans-papiers : une association livre les adresses de familles à la préfecture

En Haute-Loire, la direction d'une structure d'insertion sociale, Asea 43, a divulgué à la préfecture les adresses de familles en situation irrégulière accompagnées par l'association. Les salariés dénoncent la violation du secret professionnel.

Depuis mars 2023, l'association Asea 43, Association de sauvegarde de l'enfant à l'adulte, au Puy-en-Velay (Haute-Loire) traverse une période de tumulte. Cette structure de 420 salarié·es est une référence locale pour la protection de l'enfance, le handicap et l'accompagnement des personnes en difficulté d'insertion. Le pôle « précarité insertion » de la structure oriente et héberge des personnes sans logement, notamment des familles dont la situation n'a pas encore été régularisée.

Mais le 1er mars dernier, la direction d'Asea 43 a officiellement transmis à la préfecture de Haute-Loire une liste de 17 adresses personnelles de ces familles. Selon une partie des salarié·es de l'association, le directeur général, Bertrand de Foucauld, est à l'origine de cette décision. Ils et elles estiment que la liste fournie à la préfecture constitue une violation du secret professionnel, et facilite l'expulsion des familles sans-papiers.

« Quand les travailleurs sociaux prennent en charge des personnes, ils doivent respecter la confidentialité de leurs données, souligne un salarié d'Asea 43, qui souhaite rester anonyme. Nous avons communiqué des adresses physiques, à l'encontre du règlement. Ce n'est même pas une question de militantisme ou de sensibilité politique, en faveur des personnes sans-papiers. C'est une question d'éthique et de droit. »

Une infraction au Code pénal

La préfecture de Haute-Loire aurait organisé plusieurs réunions avec le directeur général d'Asea 43, Bertrand de Foucauld, et le président, Jack Olivier. Le directeur du pôle « précarité insertion », Sylvain Brunetti, aurait ensuite demandé à ses services de communiquer une liste d'adresses personnelles de plusieurs familles en situation irrégulière. La préfecture formule régulièrement cette demande auprès d'Asea, mais elle tombe tout aussi régulièrement sous le coup d'une fin de non-recevoir.

Car le fait de divulguer ces informations constitue une infraction ; comme le rappelle Christophe Daadouch, juriste et coprésident de l'association du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti). « Selon l'article 226-13 du Code pénal, quand on commet cette infraction, on risque un an de prison et 15 000 euros d'amende », ajoute-t-il.

« Début février, le directeur du pôle »précarité et insertion« nous a réunis et nous a dit que ce serait bien de coopérer, témoigne un salarié. Il a laissé entendre que l'association pourrait avoir de meilleurs locaux par la suite, car les nôtres sont vieillissants. Mais nous lui avons expliqué que nous étions opposés à toute divulgation de données personnelles. »

Courant février, la machine est pourtant lancée. La direction d'Asea 43 accède à la requête de la préfecture de Haute-Loire et lui transmet les adresses de 17 familles hébergées par l'association, soit une centaine de personnes. Toutes sont en situation irrégulière, certaines sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

« C'est de la délation »

Le 21 février, le directeur du pôle « précarité et insertion » envoie un courrier aux familles pour leur signaler la nouvelle. « Nous vous informons par la présente qu'à partir du 1er mars 2023, nos services doivent communiquer à la direction départementale de l'emploi, du travail, de la solidarité et de la protection des populations et à la préfecture de Haute-Loire les coordonnées de votre hébergement », est-il écrit.

Une partie des salariés d'Asea perçoivent ce courrier comme une trahison vis-à-vis des familles. « C'est de la délation, et cela met à mal notre relation de confiance avec les personnes en situation de précarité, s'émeut l'un d'entre eux. Notre association n'est pas un centre de rétention et nos missions ne sont pas celles de la préfecture. Ce n'est pas notre rôle. »

Jusqu'à présent, l'association ne communiquait à la préfecture que l'adresse postale d'Asea 43. Les familles hébergées recevaient donc leur courrier administratif dans des boîtes à l'adresse de l'association. La décision de la direction affecte des personnes. « qui sont en situation irrégulière, et les services de police savent où se trouve leur domicile, constate Christophe Daadouch. La préfecture sait à quelle adresse notifier les OQTF et, dans le cas où ces personnes ont déjà été notifiées, elle peut directement les interpeller chez elles, sans prendre de nouvelle décision administrative. »

Risque d'expulsion accru

Quelques semaines avant la parution de cet article, une femme et sa fille mineure auraient manqué d'être expulsées, avant d'être finalement reconduites au Puy-en-Velay, sans explication officielle. La mère, qui devait se rendre régulièrement à la préfecture de Haute-Loire en raison d'une assignation à résidence, aurait été prévenue par les agents de police  : « On a votre adresse, vous allez être expulsée. »

« Le fait de divulguer des données personnelles remet en cause notre crédibilité auprès de nos partenaires sociaux, s'inquiète un salarié. Un centre d'accueil de demandeurs d'asile de Haute-Loire nous a informés qu'il n'allait pas orienter ses familles vers notre service d'urgence pour être relogées. »

Ce choix surprend d'autant plus que le président d'Asea 43, Jack Olivier, avait rejeté par écrit la précédente demande de la préfecture, en 2018. Cinq ans plus tard, ce même président a participé aux réunions entre la direction d'Asea et la préfecture. Il aurait donc donné son accord à la divulgation de certaines adresses.

Le comité d'entreprise et une partie des salariés de l'association ont ensuite écrit au conseil d'administration pour lui demander de prendre des mesures à l'encontre du directeur général. Vendredi 7 avril,  150 salariés se sont réunis devant les locaux de l'aide sociale à l'enfance, à la sortie d'une réunion du comité social et économique (CSE), pour interpeller Bertrand de Foucauld.

« Il est surprenant que le conseil d'administration d'Asea 43 n'ait pas encore pris de sanctions », s'alarme Christophe Daadouch. « Il y a aujourd'hui une pression de plus en plus importante sur le secteur associatif. Certaines associations cèdent à la pression, d'autres répondent avec zèle. Je ne serais pas étonné que derrière ces révélations illégales, il y ait eu des arrangements », conclut-il. Le directeur général, le président et le conseil d'administration d'Asea 43 n'ont pas répondu à nos sollicitations.

Caroline Celle

Image d'illustration : Un lieu d'accueil de personnes exilées à Bayonne, issue de notre reportage  A Bayonne, nouvelle route migratoire, l'impressionnante solidarité des habitants malgré les carences de l'État/© Mathieu Prat

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