16/06/2024 investigaction.net  6 min #250627

Saúl Méndez Rodríguez : « L'État panaméen est séquestré par une mafiocratie »

Jessica Dos Santos

AFP

Le Panama a récemment tenu une élection présidentielle dont le vainqueur a été José Raúl Mulino. Pour mieux comprendre la réalité politique de cette nation latino-américaine, qui fait rarement la une des journaux, nous échangeons avec Saul Mendez Rodriguez, avocat et secrétaire général du Syndicat Unique National des Travailleurs de la Construction et Assimilés (Suntracs, sigle en espagnol).

José Raúl Mulino a remporté les dernières élections au Panama, soutenu par l'ancien président Ricardo Martinelli. Quels défis doit-il affronter et quelles pourront être les priorités politiques pour les cinq prochaines années ?

En effet, José Raúl Mulino a remporté les élections, au Panama, grâce au soutien de Ricardo Martinelli, l'ancien président condamné pour blanchiment d'argent. Il ne s'agit pas là d'un cas isolé ; en effet, un grand nombre de hauts fonctionnaires ont été poursuivis devant les tribunaux pour qu'ils répondent des accusations pour faits de corruption et d'abus de biens publics.

José Raúl Molino lui-même a été jugé dans l'affaire de la Finmeccanica qui concernait l'achat de radars, d'hélicoptères et d'une carte cartographique sous son administration. Mais, ensuite, le système judiciaire panaméen a fait en sorte que bon nombre de ces affaires qui compromettent de hautes personnalités soient prescrites ou bien s'égarent dans des méandres de technicité faisant en sorte que les crimes s'enlisent dans l'impunité.

Mulino doit faire face à de nombreux défis, en fonction des priorités politiques qu'il décidera. En ce qui nous concerne, nous voyons que l'État est séquestré par une mafiocratie qui contrôle les différents pouvoirs d'État. Nous sommes gouvernés par des élites au service du pouvoir économique qui pillent les ressources de l'État de toutes natures. Le résultat est un système institutionnel véritablement rongé par la corruption et une très grande remise en question de la légitimité de notre système politique.

Sur le plan économique, le Panama est un pays inégalitaire, l'un des pires au monde à cet égard. Ainsi, bien que le pays affiche une croissance économique, il n'y a pas de développement et encore moins de développement humain. Près d'un million de Panaméens souffrent de la faim à des degrés divers, 52 à 54 % des travailleurs occupent un emploi informel, il y a un taux élevé de pauvreté, une détérioration de nos systèmes publics d'éducation et de santé. En économie, la recette de M. Mulino est néolibérale et elle vise, par exemple, à imposer, au cours des 100 premiers jours du gouvernement, des réformes de notre système de sécurité sociale.

Nous prévoyons un quinquennat assez compliqué à cause de l'arrogance et de la morgue dont Mulino a fait preuve dans le passé et même au cours de sa campagne.

Les élections ont aussi eu pour résultat un parlement très divisé, ce qui permet d'entrevoir des négociations entre les différentes forces. Quel est, selon vous, le paysage politique actuel du pays ? Et en particulier, comment expliquez-vous l'émergence de la coalition Vamos ?

En réalité, cette situation n'est pas nouvelle. Le parlement a été élu à des moments différents et de façon fractionnée, mais les institutions corrompues permettent de le reconduire sur la base de négociations qui, pour la plupart d'entre elles, ont un lien avec des faits de corruption, alliances soi-disant scellées pour permettre la gouvernance du pays, etc.... Martinelli lui-même, lorsqu'il a gouverné, n'avait pas de majorité à l'Assemblée et il était bien connu pour acheter les députés.

Ce que nous avons c'est une partiscratie de plus en plus dégradée dans l'opinion publique, aux yeux du peuple, et qui est le produit de la corruption. Pour cette classe dominante, au Panama, il est clair qu'elle doit revoir son image pour empêcher que surgissent réellement des courants politiques capables d'imposer un virage décisif au pays. Dans ce but, elle s'emploie, en premier lieu, à discréditer, à réprimer, à faire disparaître des organisations du mouvement populaire. Comme c'est le cas, par exemple, pour le mouvement étudiant panaméen qui avait été anéanti suite à la mise en place de la dictature militaire, en 1968. Depuis lors, cette puissante Fédération des Etudiants et Union des Etudiants Universitaires n'a pas pu être reconstruite.

En ce qui concerne la coalition Vamos, elle a rassemblé une foule de jeunes très majoritairement libertaires ou de droite, avec un discours que tenaient aussi les secteurs populaires et patriotiques, un discours mettant l'accent sur le devoir de « retrouver notre dignité ». Cette coalition « Vamos » a obtenu, aux dernières élections, un nombre important de sièges, au parlement, presque un tiers des élus, mais elle ne présente pas encore aujourd'hui d'organisation du militantisme politique. En général, les élus de cette coalition sont issus, dans leur très grande majorité, des partis traditionnels. Du point de vue idéologique et politique, le spectre, au Panama, est à droite et ceux qui siègent au parlement, aujourd'hui, c'est ce qu'ils représentent: la droite sous ses différentes formes et visages.

Le Panama a fait la une des journaux de la zone, ces derniers mois, avec la lutte contre l'expansion de l'exploitation minière et la décision de la Cour Suprême contre la société Minera Panamá. Dans ce cycle nouveau, quels sont les principaux défis pour les mouvements sociaux et pour la gauche ?

Pour les mouvements sociaux et pour la majorité de la population, les défis ne manquent pas. L'un d'eux consiste à rechercher une issue, une proposition qui puisse apporter une réponse fondamentale aux graves problèmes qui se posent à nous. Cela implique également l'organisation des forces populaires et le combat pour engendrer une prise de conscience.

Au cours de ces 15 dernières années, nous avons eu une participation électorale des secteurs peut-être les plus organisés du spectre social, mais nous n'avons pas obtenu les résultats qui sont indispensables pour commencer à ouvrir la voie à des changements. Néanmoins, aujourd'hui il y a des questions telles que la sécurité sociale, les réformes du droit du travail, de la fiscalité, la question de la santé publique, de l'éducation publique, la question de l'exploitation minière, sur lesquelles nous avons avancé.

Dans la lutte contre l'exploitation minière, en plus de la défense de notre souveraineté, nous avons mis en avant la protection de la nature face aux périls que représente une industrie extractiviste. Cette activité minière, si elle se poursuit sur le modèle d'exploitation de la First Quantum Minerals, serait une catastrophe pour le pays, pour la survie humaine et pour l'environnement.

Ce sont là de grandes questions sur lesquelles nous devons continuer à travailler, nous devons continuer à faire converger les points de vue à l'intérieur du mouvement populaire progressiste panaméen. Pour l'instant, nous avançons dans la résistance populaire, mais il s'agit d'un long processus et nous n'avons pas encore dépassé le niveau du combat revendicatif pour passer au niveau politique, étape où sera défini, fondamentalement, un nouvel État, un processus conduisant à une Constituante qui serait la matrice créatrice, autoconvoquée par le peuple, pour donner vie à de nouvelles formes politiques de l'organisation de L'État du Panama.

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