27/03/2023 elucid.media  7 min #226151

Semaine De 4 Jours : Travailler Moins Pour Travailler (Et Vivre) Mieux

Majoritairement perçue comme une mesure sociale favorable avant tout aux salariés, la semaine de quatre jours est une idée plus consensuelle qu'on ne le croit. Les résultats d'une large et ambitieuse expérimentation menée en 2022 au Royaume-Uni démontrent que cette réduction significative du temps de travail, lorsqu'elle est appliquée dans de bonnes conditions, peut satisfaire les aspirations des chefs d'entreprises autant que celles de leurs employés.

De juin à décembre 2022, 61 entreprises britanniques réunissant près de 2 900 personnes ont participé à la plus ambitieuse expérimentation de la semaine de quatre jours en entreprise. Parmi les éléments de résultats les plus parlants : 56 de ces entreprises, soit 92 %, ont décidé de maintenir cette réduction de leur temps de travail, et 18 d'entre elles affirment que ce changement sera définitif.

L'expérimentation a été menée par l'ONG 4 Day Week Global et supervisée par le think tank Autonomy et plusieurs équipes d'universitaires. Les entreprises et organisations participantes évoluent dans des secteurs divers, allant du marketing/publicité, aux services aux entreprises, en passant par des organisations caritatives. Ces entreprises ont en moyenne évalué leur propre expérience de manière très positive (8,3/10).

Du bien-être des employés découle la satisfaction des chefs d'entreprises

Les données récoltées, aussi bien quantitatives que qualitatives, montrent une nette amélioration du bien-être des employés. On constate une baisse des intentions de démission, des burn-out et de l'absentéisme. Cependant, aucun impact n'a été relevé sur l'activité économique de l'entreprise, avec une croissance moyenne de 1,4 % sur la durée de l'étude. Une hausse de la productivité, de l'attraction et de la rétention des compétences a été également enregistrée. Ce dernier point est majeur dans la période de « Grande Démission » pendant laquelle ces travaux ont été conduits.

L'une des ambitions de l'ONG 4 Day Week Global est de « convaincre les entrepreneurs que des données scientifiques soutiennent les bienfaits de la semaine de quatre jours », comme nous l'a expliqué son PDG, Dale Welehan. Selon lui, « l'idée que travailler dur est synonyme de succès est un concept dépassé ; elle ne connait plus le même écho auprès des jeunes générations », et l'avenir ne peut nous conduire qu'à un changement de paradigme culturel dans notre rapport au travail et à la productivité :

« Nous nous rapprochons du mode de pensée des athlètes de haut niveau pour qui le repos est aussi important que la performance. Nous encourageons les entreprises à privilégier des critères qualitatifs à des critères quantitatifs dans l'évaluation de la productivité. Beaucoup remarquent que nous avons adopté la métrique du temps de manière arbitraire. Et le fait qu'elles enregistrent une croissance malgré la réduction du temps de travail va dans ce sens. »

Ed Siegel, directeur général de Charity Bank participant à l'expérience,  décrit cette dernière comme « un cours accéléré sur l'amélioration de la productivité ». L'une des particularités de ces tests est qu'ils sont effectués à l'initiative des chefs d'entreprises, et non d'un gouvernement ou d'un syndicat. C'est ce qu'a souligné Brendan Burchell, professeur de sciences sociales à l'université de Cambridge, qui a participé au traitement des données récoltées par entretien auprès des participants, lorsque nous l'avons contacté :

« Cela a joué un rôle central dans la réussite, car les employeurs étaient convaincus que si l'on donne les moyens aux employés, ils effectueront au mieux leurs tâches en réduisant le temps perdu et en augmentant leur productivité. »

Une mesure au service du bien commun

Au-delà de l'échelle individuelle et de l'entreprise, les travaux de cette ONG et du think tank Autonomy cherchent à démontrer les intérêts de cette réduction du temps de travail pour le bien commun. Autonomy  considère que cette politique répond aux enjeux de l'augmentation du coût de la vie, notamment en économie sur les transports et la garde d'enfants.

Andrii Zastrozhnov - @Shutterstock

Nos deux interlocuteurs, Brendan Burchell et Dale Welehan, ont tous deux relevé l'augmentation de l'engagement civique et associatif des travailleurs qui ont vu leur temps de travail réduit. Ce sont des données quantitatives plus délicates à relever et à traiter, et ils espèrent pouvoir améliorer leurs connaissances sur cet aspect particulier dans la suite de leurs travaux, mais elles démontrent d'ores et déjà que le temps libre gagné est en partie consacré à ce type d'engagement.

Enfin, alors que les projections de l'Organisation Mondiale de la Santé voient dans la santé mentale  la première cause de mortalité et de morbidité d'ici 2030, la semaine de quatre jours aurait un rôle central à jouer pour répondre à cet enjeu global, du fait des résultats qu'elle produit sur l'amélioration de la santé mentale de tous ceux qui l'adoptent.

L'enjeu de la réduction du temps de travail

En  Belgique et en  France, on teste et met en place des semaines de quatre jours travaillés, mais celles-ci ne comprennent pas de réduction de temps de travail. Cette approche donne des résultats  beaucoup moins concluants. Ce qui est en jeu, c'est bien la réduction du temps de travail. L'expression « semaine de quatre jours » vise surtout à accrocher l'attention. Plus précisément, les conditions recommandées sont 100 % de salaire (qui est un prérequis), 80 % du temps de travail (qui constitue l'objectif de réduction) et 100 % de productivité (une aspiration, qui est satisfaite dans la majorité des cas étudiés).

Partant de là, chaque entreprise est libre d'élaborer la réorganisation du temps de travail comme bon lui semble. Certaines optent pour un jour de fermeture supplémentaire, d'autres laissent le choix à leurs équipes d'un jour de repos de plus. Elles peuvent combiner ces deux solutions entre les différents départements d'une même société ou bien annualiser les repos en prenant pour référence une moyenne de 32 heures de travail par semaine.

En France, la dernière fois que le temps de travail a été significativement réduit, ce fut par les lois Aubry I et II (1998 et 2000) qui ont marqué le passage de 39 à 35 heures travaillées par semaine. Cette réforme a provoqué la création ou la sauvegarde de 300 000 à 400 000 emplois en France. Point important relevé par  Eric Heyer, directeur du département analyse et prévisions de l'OFCE : ces lois combinaient baisse du temps de travail et baisse des charges, le débat existe sur lequel de ces deux aspects a joué le plus grand rôle dans l'obtention de ces résultats.

Gilles Raveaud, économiste et maître de conférences à l'université Paris VIII, note également que le coût pour les finances publiques a été de quelques milliers d'euros par emplois, soit beaucoup moins que des politiques plus récentes, visant elles aussi à favoriser l'emploi, comme l'encouragement des contrats d'alternance et plus encore le CICE. Il va même  plus loin, en s'appuyant sur les travaux de Michel Husson et de Bernard Maris, démontrant qu'une réduction du temps de travail, générale et organisée à un niveau national, est le seul moyen de préserver ou de créer de l'emploi de manière efficace.

Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, la croissance ne crée des emplois que lorsqu'elle progresse plus vite que les gains de productivité, ce qui est rarement le cas. Dans la seconde partie du XXe siècle en France, le chômage aurait augmenté si cette période de foisonnement économique n'avait pas aussi apporté la baisse du nombre d'heures travaillées par semaines et une augmentation des congés annuels.

Photo d'ouverture : WD Stock Photos - @Shutterstock

 elucid.media

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