AFP
Le décret signé le 31 mars par le président Vladimir Poutine, obligeant les acheteurs des nations "inamicales" à payer le gaz russe en roubles, dès ce 1er avril, aura finalement été reporté. Le texte prévoit d'imposer aux clients d'ouvrir un compte auprès d'une entité bancaire russe, d'acheter des roubles auprès du Moscow change exchange et ainsi de liquider en monnaie nationale leur facture de matière première. Les tenants du boycott seraient donc obligés de réaliser leurs transactions en roubles en contribuant paradoxalement à apprécier celles-ci. Par la même occasion, ils déposeraient des devises dans le circuit local russe.
Ça ressemble à un premier avril, mais ce n'est que trop réel. En début de semaine, Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin, annonçait que le temps n'était plus à la "charité". C'était ça ou l'embargo sur l'or bleu. La finalité, selon le journal Vedomosti, ne serait pas tant d'imposer le rouble comme monnaie d'échange, que d'éviter d'avoir des fonds confisqués par des mesures extrajudiciaires.
La totalité des sanctions adoptées jusqu'à ce jour l'étant par des exécutifs ou fonctionnaires, en dehors de toute résolution de droit public international, pénal ou commercial. Face aux mesures de rétorsion russe, le haut représentant pour les Affaires étrangères, Josep Borell, avait rétorqué que les sanctions qui s'adoptent depuis l'Union européenne s'appuient sur des "normatives claires" et "peuvent être contestées en justice". Les oukases marqués du sceau de l'Union européenne seraient licites à défaut d'être légaux, les autres arbitraires.
Dans cette politique inversée du gant de velours dans une main de fer, la Russie, tout en sachant qu'elle ne doit rien attendre en retour de l'Occident, même pas une médiation raisonnable dans le cadre du conflit qui l'oppose à l'Ukraine, démontre pour l'instant, une certaine tempérance, voire une magnanimité. De fait, la Fédération n'a même pas cessé d'approvisionner l'Ukraine en gaz, depuis le début du conflit.
Selon l'Agence international à l'énergie, la dépendance aux gaz russe est passée de 25% en 2009 à 32% en 2021 pour l'Europe et le Royaume-Uni. Dans les pays d'Europe de l'Est, cette dépendance atteint le quasi 100%. La Russie est le principal fournisseur de l'Allemagne à hauteur de 46%. Quant à l'Autriche, cette dépendance dépasse les 60%. Dans ce contexte, le passage au rouble apparaît comme une décision révolutionnaire face à la politique des sanctions. La nature a voulu que les deux principales puissances d'un monde redevenu bipolaire politiquement, soit aussi celles qui se retrouvent en tête de la production de gaz. La Russie et les États-Unis derrière.
Même si selon l'Agence d'information sur l'énergie des États-Unis cette semaine aura marqué pour les États-Unis une augmentation historique de vente de gaz naturel, le plan vendu par Joe Biden, pour venir en « aide » à l'Europe, mettra au moins trois ans d'avis d'experts, avant d'être effectif. Le temps de construire les infrastructures pour les méthaniers transportant le GNL et les ports pour les recevoir.
Il ne faut pas être un prix Nobel d'Économie pour comprendre que si la superpuissance en énergie fossile du monde, la première en gaz, la seconde en pétrole derrière l'Arabie Saoudite, ferme les vannes de ce que l'on appelle par moments la station essence de l'Europe, le scénario d'une dépression, plus que d'une récession, devient réalité. Pourtant, la Russie n'apparait pas pressée d'exercer ce chantage, quand bien même elle possède des options alternatives immédiates pour le placement de ses matières premières : l'Asie. Elle déjoue les difficultés logistiques propres à l'acheminement, en les contrecarrant par une sorte d'effet dumping face à la hausse des prix du marché, vendant à prix discount. Depuis le début du mois de mars, cinq cargos de Ural crude, soit 18 millions de barils de pétrole, ont été embarqués à destination du géant asiatique, selon Matt Smith, analyste chez Kpler, en déclaration à la chaine CNBC. La moitié des livraisons de l'année 2021.
Il est à noter aussi que jusqu'à présent aucune entreprise asiatique (India Consortium, Sodecco, Sinopec, Mitsumi, Silk Road Fund, Mitsubishi, Petro Vietnam), pas même du Japon, n'a annoncé désinvestir en Russie, argumentant vouloir protéger ses assets. Alors que British Petroleum, principal opérateur étranger en Russie, se retire d'une position stratégique, celle qui lui octroyait 19,5% de Rosneft, qui lui garantissait un tiers de sa production et deux places au Comité de Direction. Ses actions sont actuellement invendables. Ce désinvestissement ne porte préjudice qu'aux Britanniques, comme tous les désinvestissements occidentaux, par ailleurs. Les Indiens, Vietnamiens, Chinois compenseront rapidement à prix discount un ticket d'entrée cher payé et mal vendu.