Par Khalil Harb
La République islamique a déjà été confrontée à la guerre. Mais avec l' attaque lancée avant l'aube par le président américain Donald Trump sur le sol iranien le 22 juin, quelques jours après le raid de Tel Aviv, Téhéran est désormais confrontée à une nouvelle offensive impérialiste.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, s'exprimant à Genève, n'a pas mâché ses mots :
"Ce plan était peut-être en gestation depuis longtemps, et ils avaient juste besoin de négociations pour le dissimuler. Nous ne voyons pas comment nous pourrions encore leur faire confiance. Ce qu'ils ont fait relève en fait d'une trahison de la diplomatie".
En réalité, il y a eu deux trahisons. La première est survenue lorsque Trump a proposé des pourparlers directs avec l'Iran, quelques heures seulement avant que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ne lance son attaque surprise. La seconde a suivi lorsque Trump a déclaré qu'il déciderait "dans les deux semaines" s'il s'associait à Tel-Aviv dans cette guerre.
Face à ces trahisons – et au raid de Trump sur le sol iranien –, Téhéran n'a d'autre choix que de recalibrer ses priorités. Ce à quoi il est confronté n'est pas seulement une agression militaire, mais un jeu de pouvoir ouvertement colonial : les États-Unis et leur mandataire régional, en pleine coordination, brandissent des menaces de frappes nucléaires et d'assassinats contre la République islamique, tout en ridiculisant le guide suprême iranien Ali Khamenei et en félicitant Netanyahu d'un "bonne chance" tout sourire.
Il ne s'agit pas d'une simple escarmouche. Le jeu de rôle entre Washington et Tel-Aviv n'est ni nouveau ni secret. Mais jamais auparavant la division des rôles entre le mandant et le mandataire n'avait été aussi transparente. Ensemble, ils intensifient leur campagne pour fracturer la région, affaiblir ses acteurs souverains et imposer leur domination.
L'Iran ne restera pas sans réagir. Ce n'est pas comme s'il était pris au dépourvu.
Une attaque calculée et claire
Alors que les bombardiers B-2 Spirit quittaient le Missouri pour un vol de 37 heures afin de bombarder des sites iraniens à Fordow, Natanz et Ispahan, Araghchi était à Genève, où il a rencontré ses homologues européens afin de tenter une dernière fois de trouver une solution pacifique. Les attaques étaient préméditées, et leurs motivations diplomatiques déjà démasquées.
La rhétorique de Trump sur la "paix" n'est rien d'autre qu'une diversion. Son discours après le raid, repris par le secrétaire d'État Marco Rubio et le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, cherche à présenter l'Iran comme l'agresseur – ou pire, comme la partie en position de faiblesse. Téhéran voit clair dans ce jeu.
Les conclusions iraniennes se sont affinées. Le président iranien Masoud Pezeshkian a fait remarquer que les États-Unis ne sont intervenus qu'après que l'État d'occupation a révélé sa fragilité face aux contre-attaques iraniennes. Tel-Aviv n'a pas la capacité de faire face seul à l'Iran, et le jeu de Washington était prévisible dès le départ. Pour Araghchi, l'escalade de Trump prouve que Netanyahu dirige effectivement la politique américaine en Asie occidentale.
La chronologie a son importance. Ce qui s'est passé avant le 13 juin, et maintenant le 22 juin, fait partie d'une autre époque. L'accusation selon laquelle l'Iran exagère les menaces occidentales est désormais définitivement dénoncée comme de la désinformation. L'attaque de l'État d'occupation contre la souveraineté de l'Iran – et le feu vert donné par les États-Unis – confirme que les progrès scientifiques et militaires de la République islamique sont intolérables pour l'Occident colonial.
Le message de Téhéran : pas d'illusions, pas de repli
Pourtant, l'Iran n'est pas un acteur passif. Au contraire, la République islamique a mis à profit quatre décennies d'investissements dans la défense pour infliger à l'État d'occupation des revers historiques, sans précédent depuis 1948. Ce que Téhéran a révélé jusqu'à présent ne représente qu'une infime partie de son arsenal.
Alors, quelle est la prochaine étape ?
La réponse de l'Iran ne se limitera pas à la rhétorique. Son option la plus immédiate et la plus rationnelle est d' intensifier lapression sur le front intérieur vulnérable d'Israël, l'arène même que Tel-Aviv a choisi d'enflammer le 13 juin. Pezeshkian l'a dit sans ambages, affirmant que les puissantes frappes de missiles iraniennes contre l'État d'occupation le 22 juin étaient une réponse directe aux actions de Washington.
L'Iran a déjà brisé le mythe de la défense aérienne israélienne. Le message est clair : il n'y aura pas de concessions déguisées en "désescalade". Tel-Aviv et ses colons paieront le prix de leur agression.
Deux signaux clés sont ressortis de la déclaration du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) à la suite de l'attaque de Trump. Premièrement, l'Iran a suivi les avions en temps réel. Deuxièmement, il a rappelé à la région que le réseau dense de bases militaires américaines "n'est pas une force, mais plutôt une vulnérabilité".
Fait important, le CGRI n'a pas révélé les sites de lancement des bombardiers, seulement leur trajectoire, probablement en signe de bonne volonté envers les voisins de l'Iran dans le golfe Persique, avec lesquels Téhéran a rétabli ses relations diplomatiques. Des fuites provenant de sources américaines suggèrent que les bombardiers ont décollé du sol américain, traversé l'espace aérien israélien, pénétré dans l'espace aérien jordanien (un point de transit clé pour l'interception des missiles iraniens), puis ont traversé le nord de l'Irak avant de frapper l'Iran.
Cela laisse entrevoir la possibilité d'une stratégie de "triple représailles", qui pourrait ne pas épargner la présence américaine en Jordanie, au Kurdistan, voire à la base d'Ayn al-Asad dans la province d'Anbar.
Toutefois, le CGRI a clairement indiqué que la riposte pourrait prendre des formes inattendues :
"De plus, l'agression perpétrée aujourd'hui par le régime terroriste américain a donné à la République islamique d'Iran,en vertu de son droit à la légitime défense, la possibilité de riposter d'une manière qui dépasse les prévisions délirantes de l'alliance agressive. Ceux qui ont violé ce territoire doivent désormais s'attendre à des ripostes qui leur feront profondément regretter leur geste".
La carte nucléaire et la longue mémoire de guerre
Alors que certains observateurs s'attendent à ce que l'Iran évite une guerre totale avec les États-Unis et concentre plutôt ses missiles sur Israël pour imposer un cessez-le-feu, Téhéran dispose toujours d'autres options. Il peut notamment fermer le détroit d'Ormuz, une mesure qui plongerait instantanément les marchés mondiaux de l'énergie dans une crise et ferait grimper le prix du baril de pétrole au-delà de 150 dollars.
Une autre riposte potentielle : viser l' installation nucléaire de Dimona en Israël. L'hypocrisie de la position occidentale sur le nucléaire s'illustre par son mutisme sur l'arsenal clandestin de Tel-Aviv et ses attaques contre le programme civil iranien, qui est surveillé par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Malgré un décret religieux contraignant du guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, interdisant les armes nucléaires et les armes de destruction massive, les appels internes en faveur d'une révision de la doctrine nucléaire iranienne se multiplient. Aujourd'hui, l'AIEA ayant offert à Netanyahu une couverture juridique pour son attaque en remettant en question le respect des engagements de l'Iran quelques jours avant le raid, Téhéran pourrait expulser les inspecteurs et même se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), comme l'a fait la Corée du Nord en 2003.
Les voies diplomatiques restent ouvertes, mais à certaines conditions. L'Iran se dit toujours disposé à participer à des négociations sur le nucléaire, mais uniquement si la communauté internationale met un frein à l'agression de l'État occupant. Le ministre des Affaires étrangères Araghchi est à Moscoupour s'entretenir avec le président russe Vladimir Poutine, et Téhéran participe activement à la réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU.
Entre les deux trahisons et les deux invasions, l'Iran ne se contente pas de réagir, il se réorganise. Avec une patience stratégique et confiant en ses capacités, Téhéran fait une nouvelle fois face à une guerre imposée, comme il l'a fait il y a quarante ans contre l'invasion soutenue par les États-Unis et menée par le défunt président irakien Saddam Hussein. Et tout comme il n'a pas cédé alors, il ne cédera pas aujourd'hui non plus.
Khalil Harb
Article original en anglais : Tehran braces for the long war after twin betrayals from Washington and Tel Aviv, The Cradle, le 23 juin 2025.
Traduit par Spirit of Free Speech
La source originale de cet article est The Cradle
Copyright © Khalil Harb, The Cradle, 2025
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